«Votre boulangerie participe à l’opération solidaire « Baguette en attente ». Vous achetez deux baguettes une pour vous et l’autre sera mise de côté pour une personne dans le besoin qui pourra faire la demande ici directement». L’affiche accrochée derrière le comptoir résume ce concept simple et efficace : avec 90 centimes on transforme l’acte anodin d’aller chez le boulanger en une baguette magique pour les nécessiteux. Lancée en mai 2013 dans deux villages du Puy-de-Dôme, «la baguette en attente» a gagné la capitale en début d’année 2014.
Parmi les boulangers ayant adopté le concept figure Abdalla Kaissa, responsable de la boulangerie de la place Falguière dans le 15e arrondissement parisien. Il fait partie des fervents défenseurs de cette démarche citoyenne. Il explique avoir eu l’initiative de proposer ce concept dans sa boulangerie par conviction personnelle : «c’est une évidence selon moi de participer à la solidarité nationale. Je souhaite que personne ne puisse se dire qu’il n’a pas de quoi manger une simple baguette».
20 baguettes sont mises en attente chaque mois
Il insiste sur le fait que le besoin et la demande sont très présents. «Tous les jours, 5 personnes en moyenne viennent me demander une baguette. Ce sont principalement des SDF, des Roms.» Pour nourrir cette demi-dizaine de personnes quotidiennement il faudrait logiquement plus de 120 actes solidaires dans le mois. Malheureusement, le calendrier récapitulant le nombre de «victoires» ne compte qu’une seule croix pour le mois de mars 2015. Abdalla Kaissa explique que 20 baguettes sont mises en attente par les clients en moyenne chaque mois.
En janvier 2014, Jean-Manuel Prime, initiateur de l’opération en France, avançait le chiffre de 10 baguettes par jour au minimum dans chaque boulangerie. Un an plus tard, on constate amèrement que cette opération n’a pas fait recette. Très peu de gens savent que le concept de la baguette en attente, populaire en Italie, a été exporté en France. Le bref bouche-à-oreille s’est essoufflé, la baguette suspendue est retombée. On aurait pu croire qu’Abdalla Kaissa refuserait donc de donner des baguettes impayées aux personnes dans le besoin, qu’il couperait court à un concept où la demande est nettement supérieure à l’offre. «Jamais je ne refuserai à quelqu’un un morceau de pain» répond-il sereinement.
De plus, il rétorque qu’un boulanger a tout à gagner en offrant des baguettes. «Le marché fait qu’on doit remplir nos vitrines, c’est le même problème pour tout le monde: on ferme à 21h, personne ne peut venir récupérer les restes alors on jette tout. Il y a quelque temps un homme qui travaillait pour l’armée du salut venait récupérer le surplus à l’aide de très gros chariots. Il est venu durant trois mois, est tombé malade, n’est plus jamais revenu. On a laissé tomber.»
Alors Mr Kaissa a signé un partenariat avec un centre Emmaüs Solidarité situé à proximité.
Là-bas sont accueillis et accompagnés des sans-abris ou des personnes en situation de grande précarité. Des enfants venus d’un peu partout dans le monde s’y retrouvent, jouent avec leurs familles et avec insouciance. Dans leurs mains des crêpes au chocolat et à la chantilly. Dix baguettes sont offertes chaque jour au centre par la boulangerie de la place Falguière. Le souvenir d’un client ayant payé dix baguettes en attente d’un seul coup vient égayer son propos. Mais il ne que déplorer le fait que ce soit inhabituel. Il espère encore que le concept se développera et rencontrera un succès sur la durée. Car « une baguette en attente », ça ne mange pas de pain !
Oumar Diawara
Une baguette en attente ça mange pas de pain
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