Il y a un mois, Manuel Valls évoquait  » l’apartheid  » territorial, social et économique. Vous qui êtes élus de Seine-Saint-Denis, partagez-vous cette vision ?
Manon Laporte : Je pense que le terme n’est pas très bien choisit. Cela étant, en Seine-Saint-Denis, vous avez certains quartiers qui sont ghettoïsés car ils n’ont pas été mixés, ils sont complètement isolés. A Montreuil, toute la partie Nord est abandonnée, les transports se font rares et vous avez des cités qui sont empilées les unes avec les autres.
Claude Capillon :  Pour moi, l’apartheid, c’est un mauvais terme que je réfute parce que c’est ce qui s’est passé en Afrique du Sud et on en est à des années lumières de ce qu’ont vécu les noirs dans ce pays. Mais le manque de mixité, le manque d’investissement de l’Etat, ça a en effet créé des ghettos. C’est ce qu’il s’est passé à Clichy-sous-Bois. C’est une ville à 20 kilomètres, à vol d’oiseau de Paris, et on met une heure et demie pour s’y rendre. Ca a créé des zones de non-droit car il n’y a pas de commerce, pas de culture, pas de loisir… Il n’y a rien.
Pensez-vous que les récentes propositions formulées par l’exécutif pour développer la mixité sociale et économique sur les territoires sensibles peut réellement changer la donne ?
CC : ça va dans le bon sens, mais pour moi ça reste au niveau des promesses. Moi, j’essaie d’être un  » maire bâtisseur  » à Rosny. Mais je vois les freins que je peux avoir pour développer des projets de logement, de mixité, d’économie… Les normes que j’ai à subir font qu’un projet immobilier, entre le moment où il est posé et celui où il est réalisé, c’est 4 voire 5 ans ! Après les paroles et les promesses, comment on fait pour les mettre en place ? Pour moi il n’y a rien de nouveau, les outils existent. Par exemple, il faudrait déjà que l’on respecte la loi SRU, celle qui force les maires à faire 20% de logements sociaux. Par contre j’ai toujours pensé que c’est bien de mettre un seuil minimal, mais aussi un seuil maximal ! Est-ce normal qu’il y a des maires qui fassent 60% de logements sociaux ? Qui font que du coup, ce sont des maires qui vivent au crochet de l’Etat, puisqu’ils n’amènent aucune richesse. Une ville, c’est un équilibre sociologique donc si vous avez la majorité des habitants qui ne paient pas d’impôt, comment vous faites pour installer des services ?
Seriez-vous pour forcer la main à Jean-Michel Genestier maire du Raincy (DVD) ?
CC :  C’est pas aussi simple que ça ! Il y a des maires qui ont du foncier et qui ne font pas cet effort-là, bien sûr il faut leur forcer la main. Mais il y a aussi des maires qui n’ont pas de foncier.
Concernant les élections départementales, vous avez évoqué la confusion autour du rôle du conseiller départemental qui n’est pas encore définit. Quel est le problème ?
CC  : Le problème c’est que les compétences actuelles, je les connais, mais les nouvelles sont en cours de discussions à l’Assemblée. Elles ne seront votées qu’au mois d’Avril…
ML  : Donc après le deuxième tour des élections. On vous en dira plus quand on sera élu.
N’est-ce pas étrange de se présenter à des élections sans connaitre les prérogatives qui seront attribuées au vainqueur ?
CC : Bien sûr, c’est vrai qu’on se rend compte que c’est dur de convaincre des gens à aller voter pour des élections dont ils entendent à peine parler, avec un nouveau découpage, sur un binôme homme-femme, des compétences dont on ne sera ce qu’elles seront que demain. Faut pas s’étonner si on a un taux d’abstention important.
Dans vos tracts,  la thématique de la sécurité a l’air d’être plus mise en avant…
ML :  Mais on n’a pas fait que la sécurité, nous parlons aussi de la famille, de la fiscalité et de la voirie…
CC :  On compte créer une compétence qui n’existe pas au conseil départemental, c’est la compétence sécurité et prévention de la délinquance pour donner des moyens au maire de mettre sa ville en protection, assurer la surveillance des collèges…
Une de vos priorités sera donc d’inclure une compétence de sécurité au conseil départemental, qui pour l’instant ne fait pas partie du conseil général ?
ML :  La loi sur les conseils départementaux dit qu’on peut créer des compétences. Mais on n’a pas que la sécurité hein [ndlr : sur leur programme] ! Mais la sécurité c’est la prévention, c’est l’assistance aux victimes. Quand on parle de sécurité, on en parle au sens large du terme parce que la sécurité ne rime pas avec répression.
Pourtant, sur votre tract concernant la sécurité, l’un des premiers paragraphes vante l’augmentation du nombre d’interpellation à Aulnay-sous-Bois depuis que l’UMP est aux commandes…
ML : Nous on met l’accent sur la sécurité locale. On dit qu’il y a une baisse de la délinquance de 50% quand on met des vidéosurveillances, mais on parle aussi de la prévention de la délinquance en créant des postes de médiateurs et on parle de l’amélioration de l’aide aux victimes… Vous savez moi monsieur, je suis avocate donc je ne veux pas faire de la répression à tout prix.
CC : Moi, j’ai une longue expérience de 12 ans en tant qu’adjoint politique de la ville à Rosny, et la politique de la ville, c’est à la fois la sécurité mais aussi la prévention de la délinquance, l’aide aux victimes, la création de la maison des femmes battues par exemple… Il n’y en a que quatre en Seine-Saint-Denis sur 40 villes ! Alors qu’on est dans un département où c’est un fléau, malheureusement, important.
Beaucoup évoquent le basculement du conseil général de la Seine-Saint-Denis à droite. Quels seraient concrètement les changements pour les citoyens si cela arrivait ?
ML : On aurait une gestion rigoureuse, on n’aurait pas 2 milliards de dette.
CC :  La première chose qu’on fera, c’est un audit complet des comptes du conseil général. C’est une gestion opaque, il n’y a aucune visibilité sur ce que votent les conseillers généraux, il y a un saupoudrage des subventions, il y a des inégalités entre les territoires, qui s’expliquent par des relations ami-ami. Par exemple, j’ai inauguré la piste d’athlétisme il y a quatre ans et la subvention promise à l’époque par Claude Bartolone, je viens de la toucher il y a deux mois. Et puis au lieu de la toucher en une fois, ils me la font en dix fois.
ML : On serait également attentif à la lisibilité car il s’agit de l’argent des contribuables. Chaque euro utilisé par le conseil général doit être dépensé utilement. La transparence c’est pas un concept abstrait. C’est voir les budgets prévisionnels, dresser la liste des actions effectuées sur un site… Un département comme la Seine-Saint-Denis qui est riche en potentiel, en ressources humaines, sportives, économiques… c’est inadmissible qu’il y ait des gens aussi pauvres c’est inadmissible.
CC :  Certains disent qu’il y a une différence de traitement entre les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis. Or, le ratio de richesse par habitant c’est 1240 euros dans le 92 et 1349 euros dans le 93. Le problème, c’est que les dépenses ne sont pas du tout gérées pareil. La Seine-Saint-Denis dépense trop en fonctionnement et n’investit pas assez.
Le 3 mars dernier, vous avez reçu Alain Juppé pour un meeting. Etes-vous plus proche du maire de Bordeaux que de Nicolas Sarkozy ?
CC – Pas du tout. D’ailleurs quand on regarde les articles de presse qui concernent l’élection du président de l’UMP, j’ai été cité pour avoir fait la campagne de Nicolas Sarkozy. Moi je traite une élection après l’autre, et pour l’instant, je ne sais même pas ce que je ferai pour les primaires UMP. Pour Alain Juppé, c’était son premier déplacement en Ile-de-France et il voulait venir à Montreuil. C’est quelqu’un qui a des choses à dire, et notamment aux habitants de Seine-Saint Denis.
Nicolas Sarkozy a mis le PS et le FN sur un pied d’égalité en parlant de « FNPS »… Qu’en pensez-vous ?
ML : C’est quand même le PS qui a fait que le FN monte en flèche depuis les années 1980. Peut-être que le terme n’est pas très bien choisit mais c’est quand même une réalité.
CC : On essaye toujours de stigmatiser les militants de droite par rapport à leur position vis-à-vis du FN. Moi je connais des gens qui votaient socialistes et qui aujourd’hui votent FN. Il faut que les politiques se posent les bonnes questions : pourquoi il y a tant de personnes qui ont dérivé ? Parce que dans les 30% de gens qui veulent voter FN, je ne suis pas sûr qu’ils soient tous islamophobes, antisémites… Selon moi, les emportements du Premier Ministre contre les uns et les autres font que le FN progresse. La politique, c’est l’écoute, c’est pas la guerre ! Quand j’écoute Valls, que j’ai connu en tant que maire, qui était un homme ouvert, je remarque qu’il n’y a pas une prise de parole qui n’est faite sans colère. Ça donne l’impression d’avoir quelqu’un qui a une peur bleue et qui se retranche dans une posture de haine.
Le grand vainqueur de ces élections : l’abstention et le FN ?
CC :  Je ne sais pas si on peut dire que ce sera le vainqueur…
ML : L’abstention, peut être oui. D’abord car les électeurs ne comprennent pas les objectifs des départementales parce que finalement il n’y a pas eu assez de pédagogie et d’explications sur les objectifs de ces élections. Quand c’est trop compliqué, on n’y va plus.
CC : L’abstention en 2011 a été de 65% en Seine-Saint-Denis, moi je dis qu’elle atteindra les 70% pour les départementales.
Avez-vous des pronostics pour le 22 mars prochain sur votre canton ?
CC : On va gagner et je sens vraiment quelque chose se passer sur le terrain, c’est comme pour les municipales, les gens en ont assez. Et ça je l’ai senti encore plus à Montreuil qu’à Rosny.
Avec le nouveau découpage électoral, Rosny qui vote plutôt à droite et Montreuil Nord qui vote plutôt à gauche, vous n’avez pas peur de perdre ?
ML : Les choses peuvent toujours être changées ! En 50 ans, ils ont complètement paupérisé le territoire… Pour les gens qui se disent égaux en droit, en justice sociale, fiscale… C’est paradoxal.
CC : Qui aurait pensé que Bobigny ou Saint-Ouen passerait à droite ? Quelque chose d’incroyable, c’est la division à gauche ! Nous on se retrouve quand même contre trois candidats de gauche, un candidat du FN… Comme il faut faire 12,5% des inscrits pour accéder au second tour.
 
Propos recueillis par Tom Lanneau

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