Collants rouges, robe à pois et cheveux courts. Mathilde Levesque n’a pas le profil type de la professeur de français. A peine a-t-elle déposé son scooter que les gens défilent pour venir lui dire bonjour dans ce bar proche de la gare de l’Est. « C’est mon QG », explique-t-elle. Après avoir enseigné pendant cinq années à la Sorbonne en même temps qu’elle réalisait sa thèse sur « le mot d’esprit dans Cyrano de Bergerac », elle prend son premier poste au Raincy en 2011. Elle fait ensuite un remplacement dans le lycée d’Aulnay où elle est en poste fixe depuis maintenant deux ans. « Je vais avec bonheur au lycée, sourit-elle. Ce n’est pas difficile, ce qui est difficile c’est l’histoire de nos élèves. » En Seine-Saint-Denis, cette professeur est confrontée à une réalité sociale parfois compliquée, certains parcours difficiles, des parents qui ne parlent pas toujours très bien le français… « C’est fatiguant, concède-t-elle. Mais je n’ai pas du tout envie d’en partir. »
Originaire de Charentes, elle semble s’être prise d’affection pour ces gamins de banlieue dans lesquels on place peu d’espoir. Quand elle en parle, la professeur s’anime : « Il n’y a pas de mixité. On ne peut pas leur reprocher leur communautarisme quand ils y sont obligés, on ne leur propose rien d’autre. » Elle relate des anecdotes aussi marquantes que tristes sur des situations auxquelles ses élèves sont régulièrement confrontés : contrôlés par la police alors qu’ils se rendent en sortie scolaire au théâtre, arrivées en retard en cours car contrôlés dans les bus…
S’ils manquent d’une culture générale que l’on pourrait qualifier de classique, ses élèves ne manquent néanmoins pas d’intelligence et de répartie.
« Qui a dit : ”l’important c’est de participer” ? Un perdant »
« Je relevais ces répliques à titre personnel, explique-t-elle. L’éditrice m’a proposé de faire un livre mais je ne voyais pas comment. » L’idée pour Mathilde Levesque n’était pas de raconter son expérience de professeur du 93 ni de revaloriser le département mais bien de donner la parole à ses élèves. En voici quelques extraits :
« Et donc comment s’appelle ce courant dont on a coutume de dire, partiellement à tort, qu’il place l’homme au centre de tout ? Le sexisme ! »
« Pardon jeune fille, mais vous n’êtes pas en cours pour faire des selfies avec vos copains ! Oh pardon madame : vous voulez venir avec nous sur la photo ? »
« Qui a dit : ”l’important c’est de participer” ? Un perdant »
« Madame, bon c’est vrai que ”ki” ne s’écrit pas comme ”qui”, mais avouez quand même que quand on l’écrit comme ça, ça redonne un ”petit coup de jeune” à la lettre K ! »
Paru au mois de janvier, ce petit livre prend très vite une autre dimension à la suite des attentats de Charlie Hebdo. Mathilde Levesque est invitée dans tous les médias. « Ca marche très bien parce que les gens avaient besoin d’entendre un autre discours », précise-t-elle. Pour autant, elle ne se cache pas derrière la réussite de son bouquin. « Si on veut s’engager pour ces gamins, ça implique d’y passer soir et weekend, explique-t-elle. Il faut maintenir les cadres en faisant des réunions avec les élèves, les collègues, les parents. Si on ne fait que ça [écrire un livre] ça ne sert à rien. »
Ces jeunes critiquent souvent leur image dans les médias pourtant ils n’osent pas investir le champ médiatique souligne-t-elle. « Je pense qu’ils ne se sentent pas autorisés à le faire, analyse Mathilde Levesque relevant leur pudeur. Ils ont besoin de soutien permanent et d’encouragement. » Si elle ne cherche pas à minimiser les problèmes rencontrés, elle tente néanmoins de remettre les choses dans leur cadre.
Face aux clichés de l’envahissement de l’islam dans les cités et des questions de laïcité régulièrement reposées, elle relativise. En trois ans, elle n’a rencontré le cas que de cinq filles qui portent le voile (en dehors du cadre scolaire). Et si ce n’est pas rose tous les jours, elle en veut plus au système qu’aux gamins qui le subissent. Mais contre cet état de fait, elle n’hésite cependant pas à les mettre devant leurs propres responsabilités. Passionnée et entière, elle n’hésite pas à défendre ses élèves et leurs familles face aux préjugés : absentéisme, parents démissionnaires… Contre tout cela, elle préfère l’humour et n’hésite pas à plaisanter tout comme ses élèves : « D’ailleurs, ça n’a rien à voir mais je me demandais : comment faites-vous à la mer ? – ah ben j’avoue, je garde tout madame, mais alors je me galère, et quand je me baigne avec ma jilab, j’ai l’air d’un nénuphar, j’avoue. »
Charlotte Cosset

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