2/3. AUBERVILLIERS, UN AN APRES. Le 30 mars, cela faisait exactement un an que Pascal Beaudet s’était ré (installé) au poste de maire d’Aubervilliers. Nous avions couvert, à l’époque, l’élection municipale tendue qui l’avait sacré. Nous avons voulu savoir ce que le communiste, ainsi que son équipe, faisaient du mandat de six ans que leur ont confié les électeurs.
À Aubervilliers, la politique prend trop souvent son visage le plus vil. Celui des invectives, des luttes fratricides, des SMS calomniateurs, des animosités personnelles et des tracts infamants. La faute à une division de la gauche vieille de dix ans, entre anciens amis socialistes et communistes. La faute à une pratique particulière de la politique dans « ce village de 80 000 habitants », comme on se plait à le dire ici.
Lors des dernières élections municipales, on a si souvent entendu les électeurs évoquer le changement de maire, le changement d’élus, le changement de personnes. Sans qu’on saisisse bien ce que tous ces gens avaient de très différent. On a alors épluché le programme de Pascal Beaudet. Dialogue, concertations et autres consultations : le vocabulaire avait plus à voir à un discours de la méthode qu’à de réels engagements sur le fond.
« Sur la méthode, il y a une vision claire, confirme Anthony Daguet, maire adjoint aux finances et secrétaire de section du PCF local. On a voulu remettre du dialogue, de la proximité. » Certes. Sur le fond, subsistent pourtant quelques zones grises. « Qu’est-ce que la nouvelle équipe municipale veut faire de la ville ?, s’interrogeait un militant associatif à l’automne dernier. Pour l’instant, c’est un peu le flou complet. » Jacques Salvator, l’ancien maire PS (2008-2014), se fait encore plus sévère. « Beaudet n’a aucune vision pour Aubervilliers. Il est loin de Jack Ralite [son beau-père, maire de 1984 à 2003]. »
Très vite, les élus communistes eurent à gérer l’urgente question des finances. En cause, une baisse des dotations de l’État à hauteur de 2,2 millions d’euros, pour un budget d’environ 120 millions d’euros. Comment gérer une telle « impasse financière » (dixit Daguet) ? « La solution de facilité aurait été d’augmenter les impôts, décrit l’élu aux finances. On a refusé de le faire, parce que ce n’est pas notre vision de la gestion de la ville. Mais ça nous met dans une situation très tendue. » Résultat, une baisse d’environ 6 % sur la quasi-totalité des postes de dépense : indemnités des élus, subventions aux associations, fonctionnement des services… Concrètement, les agents de la ville feront moins d’heures supplémentaires, les départs de certains d’entre eux ne seront pas remplacés et leurs absences ne mèneront plus systématiquement à des remplacements. L’espace Fraternité, salle des fêtes municipales, sera quant à lui fermé.
Il n’en fallait pas plus pour que l’opposition ne dénonce une austérité à la sauce communiste. « Ils font semblant d’avoir un budget difficile, c’est politique, attaque Jacques Salvator, l’ancien maire socialiste. Ils parlent de la baisse de la dotation de l’Etat mais oublient de dire que la ville a gagné plus de 2 millions d’euros grâce à la péréquation. En réalité, on a même un peu plus d’argent en 2015 qu’en 2014. »
Quel projet d’avenir ?
Le patron du PS local garde en travers de la gorge une des premières décisions de Pascal Beaudet : la  fin des activités périscolaires qu’il avait mises en place à la rentrée 2014. L’objet de la discorde ? Une heure de sport, d’activités culturelles ou ludiques proposées à tous les enfants de la ville entre 15h et 16h. Le PS défend le caractère social de la mesure, qui a permis à plusieurs centaines d’enfants d’accéder à des activités extrascolaires jusqu’alors trop chères pour eux. Le PCF critique le coût de la mesure et les 75 embauches qu’elle a engendrées.
1342338641_93001Derrière ces deux sujets de divergence, plusieurs questions majeures restent pourtant en suspens. Jeune et dynamique, Aubervilliers n’a toujours pas construit de réel projet d’avenir. Située aux portes de la capitale, la ville a une série d’atouts qu’elle semble peiner à intégrer à son développement. Les voisines de Pantin, Saint-Ouen ou encore Montreuil ont, par exemple, pris le parti ces dernières années d’accueillir des populations exclues de l’intra-muros par la hausse du prix des loyers. Une voie de la gentifrication sur laquelle commençait à s’engager le PS à la fin de la mandature précédente.
A en croire Jean-François Monino, maire adjoint sous Beaudet après l’avoir été sous Salvator, « ça avait été fait pour des raisons politiciennes et des raisons financières ». Comprendre : accueillir une population volontiers bobo, potentiellement plus proche du PS et plus largement imposable, donc plus rentable pour le budget de la ville. « Changer la typologie de la ville n’est plus à l’ordre du jour, poursuit l’élu écologiste. Ce n’est pas l’histoire d’Aubervilliers que d’arrêter d’accueillir des populations dans le besoin, parfois très pauvres. »
Un discours qui hérisse Jacques Salvator. « On est la deuxième ville la plus pauvre de France, rappelle-t-il. On veut continuer là-dedans ? Qu’est-ce que ça veut dire ? » Symbole de ces désaccords, le projet d’éco-quartier du Fort d’Aubervilliers impulsé avant 2014. Il avait pour objet l’aménagement de 35 hectares aujourd’hui délaissés, malgré une situation idéale à 2 minutes de Paris, desservis par le métro et bientôt par le Grand Paris Express. L’équipe municipale précédente avait décidé d’y ériger 1800 logements, des équipements et des espaces verts qui devaient représenter 75 % du quartier.
Le maire peine à faire comprendre sa vision de la ville
Symbole de l’innovation pour les uns, paradis à bobos pour d’autres, le projet n’est plus franchement d’actualité. Pourtant validé par Plaine Commune, la communauté d’agglomération, ainsi que l’État, il est même en stand-by, faute de volonté politique. « C’était une hérésie, justifie Jean-François Monino. Il y avait beaucoup trop de logements et pas assez d’équipements. Plus globalement, nous voulons réduire la folie des constructions dans tous les sens. »
« Réduire » : le mot est plus symbolique qu’il n’y paraît. Au cours de cette première année de mandat, l’équipe municipale a souvent paru reculer, refuser, sinon détricoter. « Leur priorité, c’était de défaire tout ce qu’on avait fait », tacle Salvator. « C’était une année de transition », concède tout juste Monino. Sur la culture, le maire a fait grand-bruit en abandonnant le projet d’usine de films amateurs, validé par son prédécesseur sous l’impulsion du cinéaste Michel Gondry.
Un signal culturel négatif qui a terni l’image de l’action municipale. Comme lorsque l’incendie de la rue des Postes, quelques semaines après son élection, avait laissé place dans les médias à certains discours négatifs des anciens habitants de l’immeuble à son encontre. Même logique pour la fermeture de l’internat d’excellence de Bury, décidée courant mars. L’établissement, qui scolarisait dans l’Oise une vingtaine de collégiens d’Aubervilliers au bon niveau scolaire, mais aux difficultés sociales ou familiales, avait vu ses crédits coupés par l’État.
« Le maire s’est battu pour sauver chacun de ses projets, assure Anthony Daguet. Il était profondément sincère. » Pourtant, à chaque fois, Pascal Beaudet a perdu la bataille de la communication. Et ouvert un boulevard à ses opposants pour dénoncer « ses reculs », « ses mensonges » et « son inaction ». Un autre de ses dossiers symbolise la difficulté du maire à faire comprendre sa vision de la ville : la relation avec la communauté musulmane. Jacques Salvator avait fait grande publicité de ses excellents rapports avec l’influente association des musulmans d’Aubervilliers (AMA), à qui il avait permis de signer un bail emphytéotique avantageux pour la construction de la mosquée. Depuis un an, le dossier du futur complexe cultuel et culturel est pourtant au point mort. Pire encore : l’AMA s’est fendue, quelques jours avant les élections départementales, d’une lettre ouverte cinglante dans laquelle elle dénonçait « le manque de volonté » du maire et le « décalage entre (ses) promesses de campagne » et « la réalité du terrain. »
Une culture de l’indignation
Il est pourtant des sujets sur lesquels la communication du maire se fait entendre. « Il passe son temps à revendiquer, à faire des manifestations et des pétitions », raille Jacques Salvator. En un an, nombreuses sont les thématiques qui ont poussé la majorité municipale à s’indigner (le plus souvent contre l’État) : la fermeture du bureau de poste des Quatre-Chemins, le retard de l’arrivée du métro en centre-ville, la baisse des dotations de l’État, la fermeture du centre de radiothérapie de la ville, la hausse du nombre d’élèves par classes dans un des lycées de la ville…
D’un conseil municipal extraordinaire organisé devant les caméras à des manifestations relayées par la presse locale en passant par diverses opérations coup-de-poing : Pascal Beaudet a continué, depuis son arrivée à l’Hôtel de Ville, à se faire entendre comme il le faisait durant ses années dans l’opposition. « Tout cela est très communiste », sourit un cadre de l’administration. Lorsque le PCF local relaie une pétition de citoyens après l’agression d’une octogénaire à la Maladrerie, les critiques se font moins indulgentes : « On leur demande d’agir, d’avoir une vision, pas de s’indigner avec nous ! »
Depuis, la question de la sécurité a connu quelques avancées à Aubervilliers. La mairie s’est ainsi prononcée en faveur d’un développement de la vidéo-protection. Elle a également prolongé la mission des médiateurs de nuit, chargés de barouder dans les quartiers. Les médiateurs de jour, également mis en place sous la précédente mandature, ont été redéployés : ils sont désormais essentiellement affectés à la surveillance des sorties de collèges. Pour le reste, un proche du maire nous promet : « Il a beaucoup parlé, beaucoup reçu, beaucoup écouté pendant un an. C’est sa façon de faire. Aujourd’hui, il est prêt à décider. Il veut faire d’Aubervilliers la ville à laquelle il croit. »
Ilyes Ramdani

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