En alliant la puissance de mon Bac S et les supers pouvoirs de ma carte de presse on obtient cette équation : (Banlieue + Reportage)/Prime time = polémique². Quartiers sensibles : le vrai visage des nouveaux ghettos diffusé dans Zone interdite sur M6, le 12 avril dernier, n’a pas échappé à l’implacable logique des mathématiques. Les réseaux sociaux se sont faits un plaisir d’en commenter « les bons passages ». Il faut dire que les petits moineaux de Twiiter avaient de quoi picorer leur biscuit. Quelques heures après la diffusion du sujet, les Jeunes communistes de Bobigny(93) – une partie du reportage a été tourné dans cette ville – ont annoncé leur volonté de porter plainte contre M6 pour diffamation.
Pour en rajouter une couche, un des fixeurs du reportage joignait dans la foulée Rue 89 assurant qu’il portait plainte aussi. Selon ses mots, rapporté par Ramsès Kefi, un de chez nous qui bosse désormais là bas, Giraf Prod voulait « soi-disant » faire un reportage positif sur la banlieue, « loin des clichés« . A la fin du tournage, voyant que « cela ne fonctionnait pas« , ils aurait voulu pimenter le truc avec l’une des potions magiques habituelles pour booster l’audimat : des barbus, de la viande halal et de la beuh vendue sous le manteau.
Les reportages sur les banlieues c’est vieux comme l’ORTF. Jusqu’à l’ère d’internet, la diffusion de tels sujets n’entrainait que rarement critiques et polémiques. Les gens regardaient ça à la maison, avec pour les plus High-tech d’entre eux une télécommande dans les mains grosse comme une machine à coudre. Libre à chacun de raconter sa palpitante soirée télé dans la micheline, au boulot ou le dimanche durant le repas de famille. L’avis que les spectateurs pouvaient avoir sur un reportage tourné dans leur quartier restait dans le quartier. Et puis pour être honnête, à l’époque, passer à la télé, même assis dans le public, c’était comme gagner la coupe du monde. Personne ne pensait se plaindre d’un reportage, où si on le faisait ça se limitait à une lettre à la chaîne. Les journalistes avaient dès lors tout loisir de s’en gratter le dos, et le plaignant avait perdu un timbre.
Comme à Kaboul
Maintenant avec internet, les gens se parlent, commentent, et quand ils ne sont pas contents les moyens de se faire entendre ne manquent pas. Zone Interdite avaient déjà fait gausser les réseaux sociaux l’année dernières avec un reportage sur Sarcelles (95), certains spectateurs habitant la ville découvraient qu’ils vivaient dans « Scarface ». Idem pour le quartier de la Villeneuve, dans les environs de Grenoble. Les habitants ont porté plainte contre France 2 en 2013 après un reportage d’Envoyé Spécial.
Pourquoi le travail des journalistes est-il si mal perçu quand il est fait en banlieue ? Avant toute chose, c’est le journalisme de télévision qui est le plus remis en question, un reportage papier est rarement autant décrié. Pourtant dans les deux cas, le principe reste le même, enseigné dans toutes les écoles de journalisme : on ne parle du train que quand il arrive en retard. Seulement, la SNCF vous le confirmera, les trains qui arrivent à l’heure sont les plus nombreux. C’est la raison pour laquelle les habitants des quartiers populaires ne se reconnaissent pas dans un reportage sur le trafic de drogues, par ce que ce fléau ne résume pas à lui seul toute la réalité qu’ils vivent. La drogue dans les halls c’est une partie de l’histoire, comme les chiottes ne sont qu’une partie de la maison. Les journalistes, eux, ne filment que le rouleau de P-cul et ils ont besoin de fixeurs pour ça. Comme à Kaboul.
A contrario, quand le député-maire débarque dans le quartier, ses habitants n’ont pas intérêt à étaler les meilleurs côtés de leur vie, parce qu’au fond, ils savent que dans un monde plus juste, leur quotidien devrait être plus agréable. La banlieue ce n’est pas tout noir, ce n’est pas tout blanc, c’est comme son béton : tout gris. Le meilleur se mélange avec le pire. Malheureusement, l’exhaustivité est impossible dans un reportage télé. Les images doivent s’enchainer vite donnant l’impression de feuilleter un album de caricatures, deformant notre perception de la réalité.
J’ai vu un nombre incalculable de reportages sur les putes en Thaïlande (merci La Villardière). Sur place, quelle ne fut pas ma surprise de trouver une mosquée dans chaque village de l’île de Phuket. Et contrairement à ce qu’affirment mes copains qui ont écouté mes récits de voyages, ce sont de vrais lieux de culte, sans barre de lap dance à l’intérieur.
Les reportages en banlieue se succèdent et se ressemblent. En allant fouiner dans les archives de l’INA, on peut dénicher des images en noir et blanc d’un reportage en banlieue. Malheureusement je ne me rappelle plus dans quelle ville, mais ça se passe au début des années 1960 et on y voit un jeune interrogé par un journaliste racontant sans quotidien désœuvré au pied des bâtiments. On est dans les Trente Glorieuses, c’est le plein emploi, les cités viennent juste de sortir de terre mais le fond du problème est le même qu’aujourd’hui : la pauvreté. C’est elle qui est la source de toute chose, la mère de tous les problèmes en banlieue. Ce que les journalistes filment, le trafic de drogue et la délinquance, lui doivent tout. Comme l’ascenseur social, la méritocratie, la promotion par les diplômes sont en passe de devenir des utopies dans nos quartiers, les mêmes reportages, et les polémiques qu’ils entrainent risquent de se succéder pour encore pas mal de temps.
Idir Hocini

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