Dans un pays où l’Islam est religion d’État et le roi Mohamed VI « commandeur des croyants » les crispations et les désaccords se font surtout entendre sur les questions de « bonnes mœurs ». Ainsi, quand certains saluent le fait que les relations hors mariage demeurent pénalisées d’autres s’en indignent dénonçant une hypocrisie. Il en est de même concernant le fait que le nouveau code continue de pénaliser le fait pour un individu « connu pour être de confession musulmane » de rompre le jeûne durant le mois de Ramadan ou de boire de l’alcool. Également, la loi sur l’avortement qui a fait l’objet d’un arbitrage royal ces derniers jours est insuffisante pour certains lorsqu’elle va trop loin pour d’autres. Cette loi vise à autoriser l’avortement dans les cas de malformation fœtale, de viol ou d’inceste.
Elles furent nombreuses aussi les personnes choquées par l’histoire d’amour entre deux ministres : Habib Choubani et Soumia Benkhaldoun. Le problème ? Lui est déjà marié. Ce qui choque certains Marocains. L’autre problème ? Il l’a demandée en mariage, avec l’accord de sa première épouse, comme le demande l’Islam et la loi marocaine. Et cela, ça choque d’autres Marocains. Peut-être une manière de mettre fin aux railleries et au débat du type « qu’est-ce qui est le plus honnête une maîtresse ou une deuxième épouse ? ». Les deux ministres ont démissionné.
Ce genre de réformes, d’événements et de débats de société font clairement apparaître l’existence de deux Maroc, que quiconque peut voir en se promenant un peu dans le Royaume et en discutant ici et là. Il y a le Maroc de ceux dont on pourrait dire qu’ils sont de culture musulmane, mais pas forcément de religion ou alors qui font leurs arrangements avec Dieu à leur manière ou se déclarent clairement athées. C’est ainsi que vous pourrez trouver des gens qui boivent, mais respectent le jeûne du mois de Ramadan, des gens qui ne mangent pas de porc, mais consomment de la viande non halal ou l’inverse. Egalement des personnes qui consomment de l’alcool, mais respectent leurs cinq prières quotidiennes. Ainsi si vous allez au Maroc et souhaitez aller boire un verre avec des Marocains qui eux aussi veulent se désaltérer avec une petite bière, il faudra aller à la recherche du bar qui sert de l’alcool aux Marocains (et risque donc une amende). A cet égard, le Maroc est une sorte de mosaïque religieuse.
Et puis il y a le Maroc de ceux qui profondément croyants et pratiquants ou tenant juste à une tradition et à une culture millénaires ne souhaitant pas que le Maroc change trop, s’occidentalise. Ils sont nombreux, les jeunes garçons ou les jeunes filles rencontrées qui me disent que si on autorise tout alors ce sera vraiment le chaos, qu’il n’y aura plus de règles et que les gens feront n’importe quoi. Et surtout qu’il faut rendre difficile le fait de commettre un péché pour peut-être faire réfléchir et ramener des personnes sur le droit chemin.
Pourtant tous savent que les avortements se font clandestinement, que l’alcool coule à flots dans de nombreux endroits. Tous savent qu’ils sont nombreux les couples qui se  cachent pour s’aimer, car ils ne sont pas mariés. Mais tous savent aussi qu’ils vivent dans un pays qui est, malgré lui, dans un entre-deux et dont la nature, l’histoire, l’héritage ne lui permettent pas de devenir ou tout l’un : un « régime islamique » ou tout l’autre : un pays complètement laïc.
Latifa Oulkhouir
 

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