Aurélien* est arrivé en métropole en 2010. Originaire de Guadeloupe il venait étudier l’histoire dans une grande université francilienne. Chanceux, il a obtenu très vite une chambre, d’abord de 9 mètres carrés, puis rapidement, une plus grande s’est libérée, qu’il a gardée cinq ans. Cinq ans de vie en cité U, avec ce que cela comporte de rencontres, de plaisirs, de magouilles et de galères.
Aurélien, c’est un type sociable. Comme il le dit si bien, « avec une bière fraîche, tu peux t’entendre avec tout le monde ». La cité U et le campus, c’est un peu chez lui maintenant. Il connait tout le monde à son étage. Il faut dire que sa piaule, c’est l’auberge espagnole. Tu peux toquer à n’importe quelle heure, il ouvre, et tu te retrouves à passer ta journée à refaire le monde un spliff à la bouche. Ce qu’il aime ici, c’est les gens : « Tu rencontres plein de gens de cultures différentes. Il y a les Erasmus et avec la culture de la fête, c’est facile de se faire des potes ». Concernant la fête, justement, il n’est pas en reste. « Une fois que tu as ton petit réseau, tu peux faire des soirées tranquilles, mais parfois, ça prend plus d’ampleur ».
La plus mémorable date de sa troisième année, « on était à peu près trente dans l’appart ». Ça fait moins d’un mètre carré par tête de pipe. « On était partis pour un petit truc, mais un des collègues des Eramus faisait son anniversaire en bas alors j’ai dit à tout le monde de monter ». Évidemment, des soirées pareilles, ça fout le bordel. Il n’a pourtant eu que peu de plaintes. En même temps il invitait tout l’étage. Le voisin du dessous, lui, n’a pas trop aimé recevoir sur son balcon le contenu alcoolisé d’un estomac fragile. « Elle a déconné, elle est allée nettoyer ». Pas de quoi fouetter un chat. Boire un coup, ça a aussi du bon : « Ça délie les langues et ça fait enlever les tee-shirts ». Ce ne sont pas les filles en soutien-gorge qui dansaient sur son canapé qui vont dire le contraire. Ledit canapé, qui sert aussi de lit a mal supporté. Depuis, il n’a plus qu’une latte sur deux. « Tous les matins, je me lève et j’ai mal au dos », encore deux ans après.
Il s’est aussi payé un barbecue à 20 balles, et quand le soleil pointe le bout de son nez, il passe quelques coups de fil et fait griller saucisses et merguez sur l’herbe. Le campus, finalement, c’est un peu son jardin. Ce n’est pas tout à fait autorisé, mais dans l’ensemble, les types de la sécurité ne sont pas chiants. Et puis il connait leur patron, à qui il serre la pince chaque fois qu’il le voit. Quand il y pense, il lui demande la permission avant. Sinon, c’est alea jacta est. Au pire, il y a les cuisines de l’immeuble, souvent vides. C’est là qu’il a rencontré certains de ses potes. En même temps, quand il fait une bouffe, à base de colombo de poulet ou d’atelier hamburger, il y a toujours un verre de pinard pour un invité surprise, pour peu qu’il ait une bonne tête et le sourire facile.
« C’est facile de rencontrer des filles »
Malgré tout, la cité U, ce n’est pas que du bonheur. Il n’y a de laves linges communs qu’en bas, et « les machines sont cassées tout le temps ». Pareil pour l’ascenseur, qui sent parfois la pisse. Et puis, il y a les galères administratives. Une année, il a failli ne pas se voir accorder sa chambre. D’un naturel serein, il affirme souvent, « en France, on ne vire pas les gens comme ça ». Pourtant, il a vu tous les ans des locataires mis à la porte. « Le CROUS démagnétise ton badge, et tu ne peux plus rentrer. En général, cela arrive en octobre, juste avant la trêve hivernale ». Pour lui, il faut différencier « ceux qui vivent ici tout le temps de ceux qui rentrent chez leurs parents le week-end. Moi, ma chambre, c’est chez moi ».
C’est tellement chez lui qu’il y a pris ses aises. En 2015, il a acheté un chat « parce que j’avais envie », ce qui est strictement interdit. « C’est propre, ça ne sent pas la merde, et quand je partirai, ils ne verront aucune trace ». Il a aussi fait des petits travaux, par-ci par-là. Il est comme ça Aurélien, c’est un bricoleur. Et il a la main verte. Du coup, tout naturellement, il a un peu modifié une armoire de la chambre fournie par le CROUS. Quelques, trous, un peu de terre, des graines espagnoles, de l’engrais, une ampoule et un filtre à charbon, voilà le meuble changé en champ de cannabis. 50 centimètres carrés de Jamaïque dont il s’est occupé soigneusement pendant plusieurs mois. Il se justifie, « j’ai maté une série, Weeds, et ça m’a donné envie de faire pousser. C’est une série qui donne envie, tous les cannabiculteurs te le diront. En plus, là au moins, je sais ce que je fume ». Comme d’hab, il s’est fait plaisir et a arrosé les potes. « Ça nous a permis de faire quelques bonnes soirées, c’était convivial ».
Il y a bien autre chose de sympa en cité U : « c’est facile de rencontrer des filles ». Pour l’une de ses aventures, il raconte : « Elle habitait en face de chez moi et j’aimais bien la mater quand elle était à poil chez elle. Elle m’a grillé un jour, nous sommes allés nous parler en bas et ça a fini comme ça devait se finir ». Il y a aussi fait la connaissance de sa moitié, avec qui il va bientôt s’installer. Elle habite son étage, deux chambres plus loin. Officiellement du moins. En réalité, sa chambre de 9 mètres carrés, elle n’y fout plus trop les pieds. Elle sert de débarras. Chez Aurélien, c’est plus sympa, et puis il y a le chat, qui est un peu le sien aussi. Elle, c’était un peu la « girl next door » quand elle est arrivée. Un soir une coupure bénie a privé toutes les chambres de l’immeuble d’électricité. « On s’est tous retrouvés dans le couloir à fumer. Je suis allé voir les jolies filles, et je l’ai rencontrée comme ça ».
Après cette demie-décennie riche, il a un peu de mal à la quitter, sa petite chambre, il le reconnait. Il a un peu de mal à quitter la fac aussi, son campus à ciel ouvert, ses barbecues, ses foots improvisés. C’est un peu comme quand les Erasmus rentrent chez eux, pas facile de ne pas avoir la larme à l’œil. Mais il le faut bien, en septembre, il aura un Master 2 pro en poche. Quand il partira, c’est un petit bout de la cité U qui se sera fait la malle. Heureusement, il ne s’installe pas bien loin.
Mathieu Blard
*Prénom modifié

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