«Parce qu’il est plus que jamais primordial d’œuvrer pour la paix et le vivre-ensemble», écrivait Marik Fetouh afin d’expliquer la reprise de la Quinzaine de l’égalité après les attentats du 13 novembre. Dans une entrevue accordée au Bondy Blog, l’adjoint au maire de Bordeaux Alain Juppé chargé de l’égalité et la citoyenneté nous parle de son projet, de laïcité et d’espoir.

Le Bondy Blog : Du 5 au 23 novembre, vous avez organisé la deuxième Quinzaine de l’égalité, de la diversité et de la citoyenneté. Pouvez-vous nous en dire plus?

Marik Fetouh : L’idée de la quinzaine est de rassembler différents acteurs qui œuvrent pour le vivre-ensemble, pendant plus de quinze jours avec le soutien de la Mairie. Nous avons mené une cinquantaine d’actions autour de la laïcité, de l’égalité femmes-hommes, de la lutte contre le racisme ou l’homophobie…

Sur l’affiche de l’événement, nous pouvons y voir des personnes issues de différentes culture, est-ce «La France» selon vous ?

L’an dernier nous avions mis d’autres visages, notamment une femme voilée d’origine africaine… C’est toujours compliqué de choisir des visages. Ici, nous avons voulu prendre des gens qui représentent la France dans sa diversité. Le visuel est représentatif de la Ville de Bordeaux et de sa politique inclusive.

À Bordeaux a été lancé un nouvel observatoire de l’égalité, quels ont été les résultats des études menées ?

Alain Juppé a lancé ce nouvel observatoire en octobre 2014. Il est composé de chercheurs, sociologues et juristes, et d’associations. Il élaboré une enquête sur Internet s’étalant du mois d’octobre à celui de mars, à laquelle ont participé plus de 800 Bordelais.

Le diagnostic a décelé différents problèmes. Depuis les événements de Charlie Hebdo, le racisme ressenti dans l’espace public ou les transports a significativement augmenté. Au niveau de la jeunesse, les rapports avec la police semblent parfois compliqués. Le but de l’observatoire est de permettre une prise de conscience de la réalité des discriminations, et de nous servir de base pour rédiger le plan de lutte contre les discriminations de la ville.

Quels sont les principaux volets de votre plan de lutte contre ces discriminations ?

Le 7 novembre, j’ai présenté les premiers axes de ce plan, qui sera voté une fois finalisé début 2016. Il concerne différents domaines : par exemple au niveau des emplois saisonniers, nous allons confier une grande part des recrutements aux missions locales s’occupant de jeunes en difficulté. En outre, la Ville et la Métropole doivent être exemplaires. Nous allons former notre administration, en commençant par les agents en contact avec le public. Nous avons d’ailleurs déjà commencé par des formations à destination de la police municipale, afin de rappeler les principes déontologiques et l’état du droit en matière de discrimination, et les sensibiliser à la question des stéréotypes, qui peuvent influencer le comportement. Nous avons tous des stéréotypes, il faut donc en prendre conscience pour avancer.

Au vu de votre programme, n’auriez vous pas souhaité faire de cette Quinzaine un événement national ?

Je suis adjoint au maire de Bordeaux, cette décision ne m’appartient pas, même si au vue des retours extrêmement positifs ça serait sans doute très utile ! Ici je suis directement en lien avec les associations que j’essaye de mettre en avant. Nous avons une relation de proximité avec les acteurs. Au niveau national ce serait formidable mais on perdrait en proximité. Il faudrait donc que ce soit fait en lien avec les collectivités locales. Dans ce domaine, l’action de l’État est malheureusement décevante. Les commissions de promotion de l’égalité et de la citoyenneté, les COPEC, sont par exemple des coquilles vides, ils font des réunions mais où on se demande parfois un peu sur quoi ça aboutit concrètement.

À propos des inégalités hommes-femmes, que comptez-vous faire ?

Nous avons voté un plan en 30 actions à la Métropole. La plus grande difficulté se trouve dans l’espace public, où le sentiment d’insécurité empêche une appropriation globale et limite les déplacements des femmes. Pour y remédier, nous organisons des diagnostics en marchant avec les femmes habitant un quartier avant qu’il soit réhabilité. Il y a également de forte inégalité salariale. 20% de moins pour le même poste dans le privé, et 10% tout de même dans les collectivités locales. Nous devons agir également à ce niveau.

Vous avez ouvert en 1999 le premier centre LGBT (Lesbienne, Gay, Bi et Trans) à Bordeaux. Quel est votre rapport à la cause homosexuelle ?

Effectivement, c’est ce que les médias retiennent le plus de mon parcours. Je ne le renie pas, mais c’est vrai que sur 20 ans d’engagement citoyen, il y a d’autres périodes de ma vie que l’on pourrait aussi mettre en avant. J’ai par exemple été Président de l’Ordre des kinés de la Gironde, et ça personne ne le dit. C’est la preuve que l’homosexualité reste un sujet. Même si heureusement la situation s’améliore. Une amélioration assez relative d’ailleurs quand on voit qu’il y a encore certains propos homophobes inadmissibles.

«Because it’s 2015» expliquait Justin Trudeau à propos de son gouvernement paritaire et multiculturel. Comment voyez-vous son initiative ?

Je suis pour des représentants politiques à l’image de la société. C’est le levier pour garder un lien avec les jeunes, qui ont besoin d’avoir des élus qui leur ressemblent. Je ne suis en revanche pas pour des politiques de quotas, qui poseraient tout un tas de problèmes.

Madjid Messaoudene, conseiller municipal au front de gauche et Teaki Dupont, conseillère régionale à l’UDI expliquaient exactement la même chose que vous alors que vous êtes au MODEM. Si tout le monde est d’accord, pourquoi rien ne bouge ?

La politique a sa propre logique. Au niveau municipal, il y a une certaines diversités des élus. Mais il faut aussi que les personnes issues de la diversité investissent les partis politiques. Il y a aussi un problème d’orientation dans l’éducation nationale, et d’égalité des chances. Encore trop peu de gens issus de la diversité font Sciences Po, droit ou médecine alors qu’avec ce type de formation, on a plus de chance d’être élu.

Beaucoup de scandales écornent l’image de l’UMP qu’on dit se rapprocher de l’extrême-droite. Êtes-vous en accord avec ces positions ?

Tout d’abord, il faut rappeler qu’Alain Juppé a été le premier à critiquer les paroles de Nadine Morano. Il a toujours rejeté les idées de l’extrême droite, et a toujours été allié aux centristes ici à Bordeaux. Alain Juppé a une vraie préoccupation pour le vivre ensemble et je suis très heureux avec un maire comme lui. Nous avons la même vision, même si nous ne sommes pas dans le même parti. Par contre je n’ai jamais caché que Nicolas Sarkozy n’était pas ma tasse de thé.

Vous êtes avec Pierre de Gaétan Njikam Mouliom les seuls adjoints au maire de Bordeaux issus de la diversité. N’est-ce pas contradictoire avec cette volonté de lutter contre les discriminations ?

Laissez-moi vous demander combien de villes de plus de 100 000 habitants ont deux adjoints issus de la diversité ? Je crois qu’on est la seule ville. Et en plus, Pierre et moi ne sommes pas arrivés là grâce à notre origine mais grâce à nos compétences. Notre parcours explique à lui seul que nous soyons devenus adjoints. Pour Alain Juppé, c’est la compétence qui prime, même s’il est attentif à ce que sa liste municipale soit à l’image de la société. Mais les responsables politiques ne peuvent pas tout. Pour avoir des hommes politiques issus de la diversité il faudrait déjà qu’il y en ait plus qui adhérent à des partis. C’est un problème global. Bordeaux veut être exemplaire en matière d’égalité, et si chacun en France fait son œuvre à son niveau, on devrait pouvoir avancer dans le bon sens.

Propos recueillis par Oumar Diawara

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