Depuis les attentats du 13 novembre, les perquisitions administratives de musulmans lambdas se multiplient de façon plus ou moins grossières. Samir, un informaticien, et Daoud, atteint de cécité totale, en sont deux exemples.

Il a rendez-vous avec la BBC juste après notre entretien. Peu de médias français ont relayé son témoignage. La veille, une journaliste du Parisien est venue chez lui pour l’interviewer avec sa famille. Ça a fini en brève au coin du journal. Mais Samir Oueldi n’en veut pas à la journaliste, « je pense qu’elle a fait son travail mais que ça a bloqué au niveau de sa hiérarchie. » Il faut dire qu’hier encore, les histoires de perquisitions administratives de musulmans lambdas restaient de l’ordre de la supposition.

22 heures. La petite famille de Samir Oueldi se couche tôt en semaine. Tous sont déjà dans les bras de Morphée. Des boums dans la porte. « Je pensais que je commençais à rêver. Puis les bruits violents enchaînés m’ont tiré de mon lit. » Machinalement, il se dirige à l’entrée pour ouvrir la porte sur le point d’être défoncée. Pistolet sur la tempe. « Deux policiers braquent leurs armes dans ma direction. Je suis aveuglé par des lampes torches. Mains sur la tête ». Que la fouille commence.

Il est extrait de l’appartement, plaqué à terre. Sa femme aussi. « Il y avait peut-être 20, 30 policiers suréquipés dans la cage d’escaliers. » Tout ça pour lui ? Les enfants -un bébé de trois mois, une fillette de 5 ans- sont dans leur chambre. « La petite est restée figée dans son lit, elle a mis les mains sur la tête en voyant les policiers débarquer au seuil de son lit. Mon bébé leur souriait ».

Samir et son épouse sont prévenus : la perquisition va durer jusqu’à 6 heures du matin. Les agents sur place ne s’intéressent qu’à une chose : tous les supports numériques. Samir est informaticien et collabore régulièrement avec des associations de charité musulmane à l’image d’Ummah Charity ou BarakaCity -cette dernière ayant elle-même fait l’objet d’une perquisition dans ses locaux à Courcouronnes, jeudi 26 novembre. Peut-être la prise de vessies pour des lanternes qui a mis les enquêteurs sur la piste.

In extenso, appareil par appareil, les fichiers sont analysés sur place, un à un. « À un moment, ils tombent sur un dossier nommé « Cendrillon ». Fiers comme Artagan, « ils l’ouvrent et disent qu’ils vont vérifier qu’il ne s’agit pas là d’une entourloupe. La plupart des fichiers étaient les dessins animés des enfants » raconte Samir Oueldi.

Ils n’ont trouvé que de la pantoufle de vair, du tapis volant et des photos de famille. La perquisition se termine finalement plus tôt que prévue, vers 3 heures du matin. L’appartement est en chantier. Les esprits des parents et enfants sens dessus-dessous. « Étant donné que des personnes ont été perquisitionnées deux fois, désormais, dès que j’entends un bruit, je me réveille. Nous ne dormons pas beaucoup la nuit ».

Ce que Samir Oueldi dénonce, ce n’est pas le fait d’être perquisitionné, mais l’arsenal et l’intensité utilisés durant ces visites nocturnes. « Je peux comprendre, nous sommes dans un contexte d’état d’urgence. Mais pourquoi toute cette casse et ces dégâts psychologiques ? », interroge le père de famille, « c’est étrange de vivre ce que mon oncle a vécu en Tunisie quand elle était encore dirigée par un dictateur. »

L’état d’urgence mêlé à des manœuvres florentines ?

Les histoires analogues à celle de Samir Oueldi se succèdent en rafale ces dernières semaines. Quatorze jours après les attentats, on compte déjà pas moins de 1 616 perquisitions menées sur le territoire selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Dans cette masse de descentes, avec 211 interpellations recensées, la part de celles qui n’ont rien donné – 8 sur 10 – interroge sur les possibles abus sur le fil du rasoir. À Avignon, le cas de Daoud, 21 ans, atteint de cécité totale, en témoigne. Dans la nuit du 15 au 16 novembre, veille de son départ pour un séjour au Maroc, les policiers ont débarqué chez lui à une heure du matin. Toujours avec la teneur d’un armada digne de la traque d’un ennemi public numéro un. Il a alors passé 48 heures en garde-à-vue. Daoud se dit victime d’une délation affabulatrice. « C’est la voisine qui a prévenu la police après les attentats, car elle a remarqué que j’avais rasé ma barbe ».

Au téléphone, ce jeune homme de 21 ans livre son récit à tombeau ouvert. Il a un rendez-vous important dans à peine une heure. Son emploi du temps n’a jamais été aussi contraignant. Assigné à résidence -de facto, pour une durée indéterminée le temps de l’état d’urgence- il doit pointer trois fois par jour au commissariat à 8 heures, 15 heures et 19 heures. « Étant donné que je suis aveugle, je dois prendre plusieurs bus pour me rendre à chaque fois chez la police, ce n’est pas facile. »

D’abord livré à lui-même, Daoud a vite reçu le soutien de personnes qui se relaient pour l’accompagner, au quotidien, signer. À l’image de Nadia. « Une fois, Daoud est arrivé à 19h01 et l’agent l’a sévèrement réprimandé. Quand il arrive en avance, on ne le ménage pas non plus. » Aucune indulgence pour cet aveugle, « une fois on lui a même dit que sa cécité n’était pas avérée mais que son radicalisme oui » confie la jeune femme. Depuis, Daoud a fourni un certificat médical attestant de son handicap. « Je suis très mal, la nuit je cherche le sommeil et le jour je suis stressé avant chaque rendez-vous. J’aurais préféré avoir un bracelet électronique et que l’on m’interdise de sortir de chez moi » affirme-t-il, résigné.

Pendu au flou de son assignation à résidence, Daoud et son avocat ont formé un recours administratif pour contester la décision. Ils devraient être convoqué le 17 décembre prochain. D’autres requêtes devant les tribunaux administratifs sont déposées en même temps que l’État prend les devant en prévenant le Conseil de L’Europe qu’en l’état actuel des choses, le pays risque de passer outre la Convention européenne des droits de l’Homme. Comme pour se prémunir de dérapages (in)contrôlés.

Hanane Kaddour

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