Comme un coup de massue sur la tête… Six régions où le FN fait la course en tête, totalisant sur l’ensemble du territoire plus de 30% des voix. Une élection, comme toujours depuis plus de dix ans, marquée également par un fort taux d’abstention.

Depuis trente ans, les Français jouent à se faire peur avec le Front National. À chaque nouvelle échéance électorale, le résultat du parti d’extrême droite est plus important. En 2002, la présence au second tour de Jean Marie le Pen avait poussé la presse à parler de « cataclysme politique ». Aujourd’hui, force est de constater que l’on s’habitue doucement à voir le parti mariniste caracoler en tête au premier tour, en témoigne la première manche des régionales dimanche 6 décembre.

Les médias, les autres organisations politiques, les électeurs,  jouent à se faire peur. Ils construisent leurs sujets, leurs campagnes et leurs discussions mondaines autour de ce curieux objet, tantôt adepte de la phrase choc et du coup de poing, tantôt voix persiflante et lancinante aux relents pseudos républicains. Depuis la période où certains cadres du FN tentait de récupérer les skinheads néonazis avinés tout en bombers et barre de fer, que de chemin parcouru. Pourtant, autour, rien n’a changé. Le Front National semble toujours intriguer. Il attire les médias comme des mouches, comme une voiture brûlée en banlieue. On aime tendre le micro à ses ténors et ses commentateurs. Cela fait frissonner dans les chaumières. Les Français regardent, ou lisent. Ils semblent oser dire certaines choses. Ils donnent le sentiment de s’opposer à la langue de bois des énarques chenus de droite et de gauche, et ces derniers suivent comme ils peuvent, toujours avec un train de retard.

Toute la vie publique se construit autour du front. Les intellectuels se positionnent. Ils veulent jouer aussi. De Michel Onfray à Michel Houellebecq en passant par Alain Finkelkraut, on booste ses ventes de bouquins en servant la soupe aux Le Pen, cette famille qui n’en finit plus de dicter le calendrier politico-médiatique. Il faut pourfendre la pseudo « bien-pensance ». Peu importe que cela revienne à déposer une cerise pourrie sur un gâteau périmé. L’odeur nauséabonde du débat est un problème de second ordre. D’autant plus que c’est celui des décideurs. Les intellectuels, eux, sont au dessus, ils débattent, analysent, éclairent. À grand coups de romans fictionnels programmatiques fumeux sur une future démocratie islamique hexagonale. Seulement, ce dimanche 6 décembre, la liste de l’Union des Démocrates Musulmans Français, menée par un ancien de l’UDI, Nizarr Bourchada faisait 0,90% alors même que celle de Marine le Pen dans le Nord faisait près de 41%. Pour la prophétie, il faudra repasser.

La droite « républicaine » aussi aime ce jeu. L’actuel patron de « LR » en est la figure de proue. Ministre de l’intérieur inflexible, qui nettoyait la « racaille » au « Kärcher », et qui créait ensuite en tant que Président de la République le Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale n’a cessé de courir après l’électorat frontiste. Le pâle ersatz a eu cinq années pour empuantir encore le débat. Il a fait bien plus grave que de monter les Français les uns contre les autres et « décomplexer » la droite et ses sympathisants, de Morano à Delon. Il a contribué à rendre l’extrême droite acceptable, et bâti un pont solide pour faire transiter l’opinion entre les partis dits républicains et l’organisation poujadiste. Au point qu’on s’y engouffre aussi à gauche à l’image d’un Manuel Valls de la même trempe.

L’électeur aussi s’amuse. Conscient, au fond, que les précédemment nommés se foutent un peu de lui, il se dit qu’il va jouer la carte de la provoc’. De plus en plus, certains « rouges bruns », déçus d’un PC décédé assument désormais leur transition. Les indécis, qui ont tout essayé se disent « et pourquoi pas ? ». Les chômeurs, comprenant que les organisations classiques communiquent pour mener une politique libérale dans une logique bipartisane se lâchent les dimanches d’élection. Et combien se disent « cela ne peut pas être pire ». Le tout sur fond de désengagement, car les plus nombreux sont ceux qui ne votent plus pour ne pas soutenir Le Pen, ou qui se disent tout simplement, « qu’ils l’élisent une fois pour toute, Marine, ils verront bien, on n’apprend que par l’expérience ».

Sauf que tout ce petit monde oublie que le Front National est une organisation de tradition proprement xénophobe, dangereuse et identitaire. Un parti qui vit de la misère sociale et intellectuelle, qui s’en nourrit, s’en gave et s’en gargarise pour mieux vomir ensuite son flot de haine et de populisme. Le pays reste traumatisé par une vague d’attentats sans précédent. Or non, le Front National n’est pas une solution. Les terroristes peuvent frapper épisodiquement de manière aléatoire. Une organisation politique par nature autoritaire aurait aujourd’hui des outils juridiques en France pour s’asseoir sur la liberté de ses citoyens de manière permanente, notamment avec la loi dite « renseignement » votée en 2015, dans le contexte de l’après « Charlie ». L’état au sens où l’entendait Max Weber bénéficie avant tout sur son territoire du « monopole de la violence légitime ». Chacun sait vers qui cette violence sera exercée si la montée du FN continue jusqu’en 2017.

C’est aussi, localement, un recul drastique concernant le droit des femmes à disposer de leur corps. La bien nommée Marion Maréchal le Pen a affirmé qu’elle supprimerait les subventions au planning familial, qui représente selon elle « une banalisation de l’avortement ». Nous sommes certainement à une semaine de cette triste réalité.

C’est également une obsession monomaniaque de l’islam comme ennemi à détruire au nom de la sacrosainte laïcité dont le concept est détourné à l’envie et vient immédiatement dans le jargon frontiste s’opposer à cette religion, alors même que l’affirmation de laïcité précède celle de liberté religieuse dans la Constitution de 1958. Les dérapages quasi hebdomadaires des frontistes locaux sur la religion musulmane allant bien souvent jusqu’au racisme témoignent de cette islamophobie.

Il faut cesser de jouer à se faire peur avec cet objet politique dangereux. Il faut le combattre sur le terrain des idées, prendre au sérieux les raisons qui poussent les gens à s’accrocher à ses « solutions ». Cesser de s’en amuser, ou de balayer le débat d’un revers de manche hautain et pédant en affirmant qu’il faut être stupide pour y croire. Cesser surtout de toiser le FN de cette crainte curieuse de l’enfant qui sent que le chien gronde mais n’a pas encore été mordu. Cesser, enfin, de crier au loup, d’autant plus que nous l’avons laissé entrer dans la bergerie. Car, à la fin de l’histoire, Pierre se fait boulotter.

Mathieu Blard

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