Abdellah Samata, 40 ans, se lance dans le prêt-à-porter. Ce Palois d’origine marocaine veut mettre son empreinte à la mode parisienne, avec son concept alliant élégance et jeux de mots.

La rencontre a lieu tout près de la plus belle avenue du monde, celle qui inspire Joe Dassin, là où logent les plus prestigieuses marques de la mode française. Après une longue journée de travail, les révélations s’entament autour d’un café près des Champs-Élysées. Abdellah est un homme sympathique, bavard, mais discret. Costaud, le teint nacré, les cheveux rasés, dans sa tenue de bureau assortie en toute sobriété. « Mon père aimait beaucoup la mode… J’ai retrouvé des photos de lui quand il était plus jeune ». La transmission s’opère et va faire naître en Abdellah une passion pour les chaussures. Dans sa scolarité, il se heurte à un mur, une voie de garage : le bâtiment. « J’ai fait un trimestre dans cette filière… L’ambiance ne me plaisait pas, c’était des bagarres tous les jours, je n’étais pas dans mon élément ». L’orientation de cet ainé de 5 enfants ne lui correspond pas, car les activités manuelles sont son talon d’Achille. Le changement semblait vital pour ce jeune palois, il se réoriente et botte en touche le BTP. « À l’époque et encore aujourd’hui, la seule chose que j’aimais faire c’était l’informatique ! ». Pour trouver chaussure à son pied, il devait faire un C.A.P secrétariat/comptabilité. « À mon entrée dans ce lycée privé, j’ai tout de suite vu la différence, les classes étaient moins surchargées ! ».

Il enchaîne de C.A.P à Bac Pro dans le même établissement. « Avec toutes mes années dans ce lycée privé, je connaissais tout le monde, j’aurai pu finir professeur de comptabilité ». Les périodes de stages arrivent logiquement comme les chutes de feuille en automne. On met les petits plats dans les grands, pour suivre les pas de ces hommes en cols blancs. « Quand on sort du lycée, on est pas trop habitué, malgré que j’aimais bien être élégant. On sent que le regard des gens n’est plus le même !». Parti sur une bonne lancée, il poursuit son ascension marche par marche avec un D.U.T comptabilité à Tarbes, suivi d’un D.E.C.F (Diplôme d’Études Comptables et Financières) à Lyon. « Je ne suis pas allé au bout… Financièrement, c’était difficile, entre le logement, les transports, et le niveau de scolaire très accrue. Pour ne rien arranger, j’étais à Lyon 3, une fac de droit réputée d’être politiquement très à droite !». L’élan s’arrête : Abdellah n’avait pas les semelles pour continuer, mais pas le temps se morfondre, il faut rebondir. Abdellah retourne à Pau travailler, faire valoir ses années d’études, répondant à des appels d’offres à droite à gauche.

« L’homme et sa mode » 

« Depuis mon premier stage, j’ai toujours été habillé en costume. Pour l’anecdote, je me suis retrouvé plusieurs fois à faire des entretiens tout en étant mieux habillée que les recruteurs… J’arrive apprêté pendant que lui il est en t-shirt ». Loin d’être une contrainte, la tenue professionnelle allie sérieux et élégance. Au fil des années, il s’est affirmé dans ce style vestimentaire qui fait partie intégrante de sa personnalité. « C’est marrant, j’ai toujours ce réflexe de regarder la manière dont s’habillent les recruteurs, mes collègues… je ne les juge pas, mais je sais reconnaître un connaisseur !». Ayant le talent dans le talon, ce passionné de mode crée un blog du nom de : « Man and Mode ». Peu de temps après, il prend la poudre d’escampette pour s’exiler à Paname, à la suite d’une routine pesante et d’une succession de problèmes personnels. C’était l’occasion de parler de sa passion, donner des conseils grâce à son expérience « Quelquefois, j’avais des demandes du genre : je vais à un mariage, qu’est-ce que je peux mettre ? Je me suis rendu compte que je parlais souvent des autres marques, un jour je me suis dit : pourquoi ne pas faire la mienne ! Quand je suis arrivé à Paris, je suis tombé sur une fashion week, ça été le déclic pour mettre le pied à l’étrier ». Pour ce Palois de 40 ans, Paris lui enlève une épine du pied et augmente les champs des possibles, car il concrétise une idée en une réalité. « J’ai posé le nom de domaine à l’INPI… Je découvrais Paris en même temps que je travaillais autour de ma marque ».

Man an modeSemblable à un journaliste, un poète, il ne flâne jamais sans son bloc-notes, car les rues de la capitale sont son bureau. Il lance sa collection liée au métro : métro Denfert donne « mais trop d’enfer », « mais trop bonne nouvelle ». Il enchaine avec une autre collection liée aux hommes, « l’homme sans cible », « l’homme au teint ». « Je voulais créer au départ des vêtements simples et élégants. Pour vendre des t-shirts basic, blanc et noir, il me fallait quelque chose de particulier, car je ne suis pas le seul sur le marché… Comme j’écrivais beaucoup à côté, je me suis dit, je vais allier ma passion pour les mots avec celle de la mode ». Il s’en souvient comme si c’était la veille, en plus des jeux de mot à double sens, il fait des contrepieds. Avec ce dandy, le parfum de Guerlain : « l’homme idéal est mythe », devient « l’homme idéal est un mytho » ! « Vu que je n’ai pas les moyens de faire de grandes compagnes publicitaires, il faut des choses marquantes, qui restent sur le ton de l’humour, tout en étant positives et respectueuses ». Sa communication se base principalement sur les réseaux sociaux et quelques placements de produit. Il teste ses produits en se promenant avec ses créations et attire la curiosité, la convoitise des badauds. « Je me suis rendu compte que c’était plutôt une clientèle féminine qui commandait… J’ai dû m’adapter en conséquence en créant : “femme sans cible”, “femme Rome antique”». Ses prix varient selon les gammes, un t-shirt va de 30 jusqu’à 70, le sweat va de 50 à 80 euros. Cela fait un an qu’Abdellah a créé sa marque en parallèle de son emploi alimentaire dans le tertiaire. « Aujourd’hui ce qu’il me manque, c’est un financeur pour pouvoir me permettre de pérenniser la marque et faire mes premiers stocks ».

Lansala Delcielo

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