Il y a un an, les balles emportaient une grande partie de la rédaction de Charlie Hebdo ainsi que d’autres innocents. La barbarie des frères Kouachi avait comme lancé un sort, transformant l’action et le comportement des médias ainsi que de certains politiques dans un extrême souvent clownesque.

Et soudain tout le monde fut Charlie ou presque.

Cela débuta avec cette fameuse phrase « Je suis Charlie » créé par le graphiste Joachim Roncin. Ce mot d’ordre rassembleur a offert quelques séquences burlesques. Je pense rapidement à l’hommage des stars dans le clip de Canal + où face à la caméra, Gérard Depardieu et Johny Halliday ainsi que d’autres artistes s’identifiant au journal. Mais où étaient-ils, avant, quand Charlie Hebdo vivait des moments difficiles ? Là n’était pas la question, car nous étions subitement tous Charlie. Nous étions les policiers, les juifs voire même les musulmans pour les plus audacieux. Malheur à ceux qui ne communiaient pas dans la douleur nationale. Sur France 2, Nathalie Saint-Cricq appelait à repérer et traiter ceux qui n’étaient pas Charlie. On découvrit rapidement qu’il y en avait plus qu’on ne pensait. Comment demander à ceux qui ont été choqués par les caricatures, à tort ou à raison, d’être Charlie ? Et le monde se divisa en deux catégories. Difficile à ce moment-là d’être contre la doxa générale et de l’assumer publiquement sans subir la foudre de cette subite onde de choc bien-pensante. Sur internet, cette fracture fut vive. Beaucoup envoyaient des dessins et des messages de soutien tandis que d’autres hurlaient à la théorie du complot. On découvrit de nouveaux Kouachi revendiqués sur Twitter par idéologie et surtout par provocation. Dans l’émission C’est à vous, on était presque Charlie pour les représentants des grandes religions monothéistes invités sur le plateau, ce qui compliquait encore davantage le débat. Et que dire devant les réactions internationales ? Obama, le pape François ainsi que la planète entière sont devenus Charlie Hebdo. Comment ne pas rire quand la plus importante manifestation de l’histoire avait en tête de cortège des chefs d’État tels que : Ali Bongo, Viktor Orban ou encore Benjamin Netanyahu, qui n’ont jamais eu beaucoup d’humour. Nicolas Sarkozy se sentit tellement Charlie qu’il se mit d’emblée au premier rang, sans aucune arrière pensée photographique évidemment. L’imposture s’arrêta rapidement quand la Une des survivants représentant le prophète fut censuré par les médias anglo-saxons et européens prouvant ainsi que beaucoup n’étaient pas vraiment Charlie.

Les caricatures étaient surtout médiatiques

Nos propres médias se sont eux aussi caricaturés dans le traitement des événements. Le CSA a quasiment sanctionné toutes les grandes chaines de radios et de télévisions françaises pour manquements et fautes graves durant les trois jours de traque. Les noms des assassins étaient révélés dès le premier jour. Certaines personnes ont été accusées à tort d’être des terroristes. Les otages qui se cachaient étaient découverts par des millions de spectateurs et non par les terroristes. Cette couverture du Point affichant le meurtre du policier en photographie contre l’avis de la famille fut la preuve d’une autre forme d’indécence. Il fallait tout dévoiler et tout montrer. L’irresponsabilité médiatique fut soulevée par des journalistes comme Rue89 ou Arrêt sur Images. De l’autre côté de l’écran, on avait l’impression d’être dans l’action, embarquée par les événements, vibrant à chaque information retransmise en live. La mort d’Amedy Coulibaly fut montrée et diffusée sur France 2 tel l’épilogue d’un film d’action à grand spectacle. Au même moment, les larmes de nombreux invités inondaient les plateaux. Nous étions comme engloutis par l’émotion des passants, des anciens du journal, des amis, tous étaient là. On a pu assister ainsi à des moments gênants comme le déchirement entre la famille de Charb et Jeannette Bougrab imposant à tous, la vie privée du rédacteur en chef. L’info était en continu, l’émotion régnait partout et les réflexions critiques se faisaient bien rares. Avec de bons sentiments, on fait de l’audimat disait Pierre Bourdieu. La preuve, Alain Weil célébrait dans un tweet l’incroyable audience de BFM avant de l’effacer rapidement assailli par les critiques.

Charlie Hebdo est-il en soi une caricature ?

Avant l’attaque, le journal était moribond avec ses 10 000 mille exemplaires vendus par mois. La fin était proche. Ils étaient comme les irréductibles Gaulois continuant à croquer les religions et les politiques sans s’arrêter. Cette extrême vision du monde les caricaturait déjà. Après le drame et les huit millions d’exemplaires distribués, la donne a radicalement changé. L’argent et les abonnements sont là ainsi que les conflits. Zineb El Rhazoui fut mise à pied et reçut une lettre qui précédait à un entretien de licenciement. Une situation pas du tout dans l’ADN du journal pensé par François Cavanna et le professeur Choron. Les survivants se sont pendant un temps déchirés pour savoir comment gérer ce nouveau trésor de guerre de 12 millions d’euros. L’ambiance semble s’être apaisée et des membres de la rédaction ont décidé de partir pour tourner la page. Charlie qui fut tant décrié dans le passé ressemble maintenant à une institution avec ses martyrs. Heureusement, comme le disait le prince Saline dans  Le Guépard : « il faut que tout change pour rien ne change ». Les dessins continuent à susciter des critiques, après les migrants et le crash du Sinaï, c’est la une du numéro anniversaire qui apporte son lot de polémiques avec ce Dieu assassin qui court toujours. C’est sur du long terme que nous verrons si l’esprit est toujours là. Pendant ces quatre jours de janvier 2015, la réalité devint plus caricaturale que les caricatures elles-mêmes. « Tout bien portant est un malade qui s’ignore », énonçait déjà le docteur Knock…

Lloyd Chéry

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