Le gardien de la paix était poursuivi pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », crime passible, pour un policier, de 20 ans de réclusion criminelle. Le parquet avait requis cinq ans de prison avec sursis et une interdiction d’exercer la profession de policier et de porter une arme, pour avoir le 21 avril 2012, tué Amine Bentounsi d’une balle dans le dos. Acquitté, Damien Saboundjian ressort libre de rester policier et de porter une arme.
On y a cru.
Après cinq jours d’un long procès, où tour à tour le parquet et les parties civiles répétaient que « la légitime défense ne se présume pas », on y a cru. Après un réquisitoire limpide de l’avocat général mettant en avant les mensonges d’un des policiers et les éléments troubles de l’enquête, on y a cru. Quand le parquet affirme avec certitude « qu’il n’y a pas légitime défense », on y a cru. Et lorsqu’il conclue dignement, s’adressant aux jurés, leur demandant de ne pas se laisser influencer pas le passé de la victime Amine Bentounsi « Votre intime conviction ne doit pas reposer sur la personnalité de la victime. Les mêmes règles s’appliquent à tous les citoyens, une victime est une victime. Et dans ce dossier, Amine Bentounsi est la victime. C’est le travail de la police d’interpeller les délinquants, ils méritent notre respect et notre soutien. Mais pas à n’importe quelle condition. Vous devez rendre une décision qui ne peut pas être interprétée comme un permis de tuer ». On y a vraiment cru.
S’en suivent plusieurs heures de délibération. Les gens arrivent en nombre pour pouvoir assister au verdict. Des heures interminables où le stress du verdict se mélange au stress de ne pas pouvoir y assister. À tel point que plusieurs dizaines de personnes attendent à l’entrée, debout pendant au moins deux heures, pour être sûrs d’avoir une place à l’intérieur. Deux heures debout à l’affût du moindre geste dans la salle d’audience.
Dans la salle, silence, angoisse et stress
20h15 les lumières s’allument enfin, bousculades dans la foule, tous veulent assister au verdict. Des policiers sont venus en nombre soutenir leur collègue. Des amis de la famille et militants contre les violences policières sont là aussi. Certaines sont venues de loin pour assister au procès. La famille de Wissam El Yamni venue spécialement de Clermont-Ferrand. Gaye Traoré, un autre des frères de Bouna Traoré est lui aussi venu soutenir la famille Bentounsi.
Par crainte de débordements, plusieurs renforts de police ont été prévus, des policiers de la BAC et CRS entourent la salle et les abords du tribunal. Un policier nous explique qu’il va devoir faire rentrer équitablement les soutiens des deux parties, et qu’il est interdit de rester debout dans un tribunal. « Une fois toutes les places assises prises les portes seront fermées » insiste-t-il. Seulement une fois la salle remplie, de nombreux soutiens du policier obtiennent la permission de rester debout par manque de place. Ce qui excède les soutiens de la famille d’Amine Bentounsi, qui protestent, voulant eux aussi bénéficier de la même faveur. C’est finalement l’avocat général qui dénoue la situation et permet aux soutiens de la partie civile qui n’avaient pas pu rentrer d’assister malgré tout au verdict, eux aussi debout.
Dans la salle, silence, angoisse et stress palpable. Le juge et les jurés entrent, le président prend la parole. Président de la cour : « Voici les réponses aux questions apportées par les jurés. À la question Damien Saboundjian a-t-il volontairement commis des violences ? La réponse est oui, à une majorité ».
« À la question : les violences commises par Damine Saboundjian ont-elles entraîné la mort de Monsieur Amine Bentounsi ? La réponse est oui, à une majorité ».
« À la question : les violences ayant entraîné la mort d’Amine Bentounsi ont-elles été effectuées par Damien Saboundjian dans l’exercice de ses fonctions ? La réponse est oui, à une majorité ».
« À la question relative à la clause d’irresponsabilité pénale (…) concernant la légitime défense, la réponse est oui à une majorité. Monsieur Saboundjian vous êtes acquitté »…
Et soudain l’expression le « verdict tombe » prend tout son sens. Quelques secondes suffisent à la salle pour réaliser la douleur du verdict et l’ampleur des dégâts. Cris, larmes, hurlements « la police assassine, la justice acquitte, la police assassine, la justice acquitte… » les policiers tentent de faire sortir l’audience excédée par cette « énième injustice ». « Pas de justice, pas de paix, pas de justice, pas de paix » hurlent des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes, les larmes aux yeux et la rage au ventre. Ce sont les parents d’Amine Bentounsi qui calmeront la salle avec une dignité incroyable.
Plusieurs dizaines de minutes sont nécessaires pour les faire sortir du tribunal. Escortés par les policiers, la BAC, les CRS. Certains policiers ricanent revendiquant « la liberté de rire » ce qui a le dont d’énerver certains jeunes qui hurlent de plus belle. Entre les jeunes et la police, les parents d’Amine Bentounsi font tampon, et tempéreront les jeunes qu’ils escorteront jusqu’au bout. Fin de journée difficile pour tous ceux qui y ont cru jusqu’au bout. Tous sont rentrés chez eux les yeux rougis par les larmes, les voix abîmées, et la foi en la justice brisée…
Widad Ketfi
« L’injustice crée des monstres, je ne demande que la justice »
Quatre ans après la mort d’Amine Bentounsi le procès s’ouvre à Bobigny

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