De la punition :
Une expression sur toutes les lèvres qui revient, flux et reflux incessants, débats télévisés, radiophoniques, publics. Une question : déchéance de nationalité pour ou contre ? Arguments invoqués, séparations entre populations à nationalité unique et celles à nationalités doubles, triples… Et puis également, l’invocation de stigmatisation, effective, d’une catégorie de la population. Sans délégitimer le sens de ce débat, on pourrait tenter ne serait-ce qu’un instant un pas de côté, changer de perspective… Dans nos sociétés capitalistes le mode de punition qui est à l’œuvre est enfermant, la prison qui s’étend aujourd’hui même aux faits syndicaux… avec ce but de corriger à travers la rétention les individus condamnés par la justice. Car il est intéressant de noter que l’on ne condamne pas un acte, mais un individu ; d’où ce besoin durant les procès de connaître l’histoire des accusés, comme récemment le cas Jacqueline Sauvage. Et l’enfermement des personnes condamnées suppose surveillance et contrôle afin de corriger leur comportement individuel.
Et pourtant depuis le 23 décembre nous assistons à l’émergence d’un autre mode punition, il s’agit désormais de « procéder à l’éloignement durable du territoire de la République, par la voie de l’expulsion, des personnes dont le caractère dangereux est avéré par la condamnation définitive dont elles ont fait l’objet et à interdire leur retour sur le territoire », punition par l’exil donc dans le cas d’actes terroristes… pourquoi cette exception dans le mode de punition, est-ce uniquement dû à la gravité de l’acte ? Peut-être pas…
Actualisations d’anciens modes punitifs 
Aujourd’hui, la prison nous semble évidente comme système punitif et pourtant on pourrait s’amuser à explorer (dans l’histoire) différents types de punitions. On peut distinguer les sociétés exilantes (la Grèce antique), des « sociétés torturantes ou purifiantes qui soumettent l’accusé à une sorte de rituel punitif ou purificatoire »** et enfin des sociétés enfermantes (la nôtre).
Mais avec le projet de loi d’extension de la déchéance de nationalité, nous sortons du mode punitif enfermant pour nous retrouver dans les deux autres. Le torturant : la déchéance de nationalité en elle-même peut être interprétée comme un rituel punitif, dans les sociétés torturantes, c’est sur le corps supplicié que prenait effet la pénalité, on le voit à l’œuvre actuellement du côté de Daech, coups de fouet, mains coupées…
Dans nos sociétés dites « modernes », la torture est prohibée on ne peut toucher au corps. On va alors appliquer un supplice « symbolique ». Mot emprunté à Manuel Valls qui répète à tue-tête, le terme « symbole » pour évoquer la déchéance de nationalité.  Et plus encore que la déchéance elle-même, c’est le rituel qui importe, car comme pour le corps du supplicié, il faut que les stigmates de la « sanction » soient visibles et pour cela on peut compter sur les relais médiatiques, les sentences chiffrées des plateaux télé « nous avons déchu tant de personnes… ». Tout un rituel que l’on peut considérer comme purificatoire, on purifie la nation de ces êtres qui dérogent aux règles de la République.
L’exilant : la déchéance de nationalité s’accompagne d’une « expulsion », un exil en somme, ainsi le corps social rejette hors de ses « frontières » le coupable « d’actes terroristes ». On ne l’enferme plus, car ce n’est pas son acte qu’on juge, mais l’individu et dans ce cas l’on considère l’individu comme irrécupérable, on parlera de « barbares », de « monstres ». On décrète alors l’impuissance de la prison à recadrer, corriger le comportement du coupable.
Ces deux mouvements de la torture symbolique et de l’expulsion trahissent donc l’impuissance et l’aveu par les porteurs de l’extension de la déchéance de nationalité du moins, l’inefficacité du système carcéral actuel, ainsi tentent-ils de trouver de nouveaux modes punitifs. Mues dans cette recherche par le sens commun, ils se replient de fait sur d’anciens modes pénaux…
Déresponsabiliser le corps étatique et social 
L’appel à ces anciennes manières de punir traduit également une volonté de déresponsabiliser le corps étatique et social. Ainsi Manuel Valls voit dans les auteurs d’actes terroristes des « Français qui ont fait le choix de frapper des Français ». Cette question du choix est très éclairante sur la manière dont des tenants de l’extension de la déchéance de nationalité se représentent les individus coupables d’actes terroristes. On élude « l’excuse sociologique », on élude les ressorts, tous ces cheminements qui ont mené au passage à l’acte. Une manière bien commode de séparer l’individu que l’on condamne du contexte social dans lequel il a baigné, évolué, fait de discriminations, de discours répressifs ambiants. Puisque c’est un choix qu’il a opéré.
Beaucoup argueront que « l’excuse sociologique » ne peut être effective, car d’après des chiffres, toujours les chiffres, nombre d’individus étant passé à l’acte terroriste avaient fait des études supérieures. Un tel réflexe traduit une véritable méconnaissance de la violence, des différents types de violences qui parcourent le champ social actuel… la violence symbolique effective menée par un Finkielkraut, par un Zemmour, validée et reprise par le champ médiatique et politique. On a beau être cadre supérieur, journaliste, on ne peut se défaire de ce discours ambiant, de cette culpabilisation permanente. Et puis il faudrait évoquer également l’éventail de possibilité de remise en cause de l’Etat et du pouvoir exercé qui s’offrent aux individus, l’objet peut-être d’une histoire autre…
Ahmed Slama
 

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