« Trop de haine tue le web », concluait Philippe Coen, fondateur de Respect Zone, lors de la conférence de son label. Dévoilant les résultats de « 24h de haine sur les réseaux sociaux », l’homme souhaite éveiller les consciences à propos du cyber harcèlement. Son ambition est claire, il veut montrer « comment les rageux s’expriment. » Selon une enquête réalisée avec l’aide de Netino, spécialistes du Web participatif, 27 % des millions de commentaires publiés sur les sites Internet sont rejetés par leurs modérateurs. Les messages comprenant par exemple « bamboula », « goudou » ou encore « hollandouille » sont systématiquement supprimés. Afin de ne pas céder à une haine virtuelle en expansion depuis les attentats de Charlie Hebdo, Respect Zone a réalisé une campagne intitulée « Licornes VS Haters ». Le concept est simple : dès qu’un internaute écrit « un mot interdit », ce dernier se transforme en smiley. Niais, mais efficace, le but étant de surprendre le jeune harceleur tout en restant bon enfant.
Si la cyberviolence concerne aussi bien la diffamation que le racisme, l’enquête révèle que l’insulte est la violence la plus pratiquée. Parmi ces violences, le cyber harcèlement à caractère sexiste est le plus répandu. En 2016, plus personne ne s’étonnera d’apprendre que l’insulte la plus utilisée sur les réseaux sociaux est « pute ».
« On me traite de pute sur Twitter, mais cela m’attriste moins qu’avant », explique Honorine. Harcelée en classe et sur Facebook quand elle était au collège, la jeune femme de 17 ans garde des souvenirs malheureux de cette période : « Dès la 5e, on me traitait d’intello puis de stupide et on me disait que je ne servais à rien. Les mots sur un clavier n’étaient pas plus durs que dans la vie, ils étaient juste plus répétitifs, presque habituels. » Seule contre quatre classes d’élèves, Honorine pense que son caractère à fleur de peau et facilement manipulable a fait d’elle le bouc émissaire idéal. Pour la génération virtuelle, harcèlement scolaire et cyber harcèlement ne font qu’un. « En 4e, une camarade de classe m’a menacé de mort sur Facebook alors que j’avais simplement oublié de donner un devoir » s’insurge-t-elle. Après que sa mère ait contacté la principale, l’élève a été exclue. « Les gens se sentaient supérieurs en me voyant pleurer dans les toilettes. Lorsque je n’ai plus prêté attention aux critiques, ils se sont lassés. »
Aujourd’hui, membre du collectif Féministes contre le cyber harcèlement, la jeune femme d’origine congolaise sensibilise les harceleurs et les harcelés. « J’attends une plus forte modération des sites Internet. L’État, quant à lui, a déjà fait un grand pas avec le projet de loi contre le revenge porn. »
En effet, depuis quelques années, le sexisme virtuel est devenu l’arme des internautes en mal de revanche. « Il a fait ça, car il savait que ça m’atteindrait, parce que je n’ai pas confiance en moi », raconte Emma**. Il y a trois ans, après avoir quitté son copain, ce dernier met en ligne une photo d’elle nue afin de se venger. Ses parties intimes sont gommées à l’aide d’un vulgaire logiciel, mais l’évidence est là. Le cliché reste sur la toile quelques heures avant d’être signalé jusqu’à son retrait définitif. Pour Emma, chaque seconde est une minute, la peur que ses parents tombent sur l’image la renverse. Le lendemain, elle retourne dans sa classe de seconde sans courber l’échine. « Je me sentais trop mal, mais je ne voulais pas qu’il gagne. Beaucoup de gens m’ont dit que je n’aurais pas dû lui envoyer de photos, mais je l’aimais. »
La fille est facile, le garçon un héros
Si Emma a pu se reconstruire et même pardonner, certaines personnes ne sortent pas indemnes d’une telle intrusion. « À l’époque, c’était la mode d’afficher les gens sur Facebook. J’ai reçu des dizaines de demandes d’ajout après que quelqu’un ait écrit que je frappais ma mère et que je faisais des trucs dans les buissons. Je recevais des messages dégueulasses, parfois on toquait même chez moi. C’était insensé, digne d’enfants de 8 ans. J’ai du changer de lycée et de vie », raconte Charlène* qui n’a pas tourné la page et cultive aujourd’hui le goût de la solitude.
« Toutes ces insultes sont dues à beaucoup de clichés sur les femmes. Cette femme qui n’a pas le droit d’assumer sa sexualité » déplore Honorine. « Une fille qui assume ses besoins, tout de suite c’est une salope. On enferme les filles dans une case, la libertine ou la sainte nitouche », ajoute Emma. Touchées par des mots plus forts que des poings, ces trois jeunes femmes ne sont que des noms sur une longue liste de femmes harcelées sur les réseaux sociaux par un inconnu, une connaissance, un « ami » ou encore un ex. L’une des dernières en date, Chloé Florin, a été massivement agressée puis soutenue par la toile après que des photos d’elle en train de coucher avec un garçon à une soirée aient été postées sur la toile et envoyées à ses proches. Sur ce « snap », deux intimes faisant la même chose et pourtant, aux yeux des jeunes gens, la fille est facile, le garçon est un héros.
Dire que le cyber harcèlement ne concerne que la gent féminine serait nier une grande partie du phénomène de la violence sur la toile. Effectivement, dans la famille « Pute », les internautes demandent parfois le fils. Depuis quelques jours, Math Podcast, jeune youtuber de 19 ans, est devenu « l’ennemi virtuel numéro un ». Accusé et coupable de plagiat, sa page Facebook est devenue le mur de la honte. « Je n’aimais déjà pas ce youtuber à cause de ses vidéos à la con qui n’apportent rien à ma culture, alors là », explique Arthur qui a traité Math Podcast de « petite pute » sur Facebook, Twitter et Youtube. Sur le web, les interfaces sont nombreuses afin de démultiplier sa rage.
« Les gens le traitent de “pute” en référence aux putes à clique, à la fameuse chanson de Kaaris et à son sens premier : un mec ou une femme qui vend son corps voire son âme. » Ici le terme prend différents sens jusqu’à ne plus en avoir aucun. Il est habituel de voir une insulte changer de signification en fonction de son contexte. La solution n’est donc pas toujours de se braquer, mais de comprendre ce nouveau type de langage. Le jeune homme de 19 ans tempère d’ailleurs son propos en expliquant qu’il« ne souhaite pas voir le jeune homme se suicider », mais juste que celui-ci soit plus honnête. À voir certains commentaires, le doute était permis.
Si Honorine expliquait que les internautes se sentent pousser des ailes derrière leur ordinateur, Arthur ne partage pas cet avis: « Ce n’est pas une question d’écran. Je n’irais jamais l’insulter dans la vraie vie, j’ai autre chose à faire. Il reflète une image répugnante du Youtube francophone et c’est désolant, mais de là à l’insulter dans la vraie vie, non. Si je le fais sur internet, c’est pour montrer mon mécontentement et une sorte de solidarité envers ceux qui prônent l’honnêteté. »
« Avec le 18-25, on va le démolir » écrit un collégien du haut de ses 15 ans et demi. Celui-ci fait référence au forum du site jeuxvidéos.com qui a révélé les excès de la starlette. Maître de l’ownage (ridiculiser une personne sur la toile), le site internet est plébiscité grâce à sa liberté de ton. « On peut parler de tout et de rien, n’importe quand et avec n’importe qui », explique un habitué du forum. « Dans un cas comme celui de Math Podcast, je dirais qu’au nom du bon prétexte beaucoup y voient l’occasion de se défouler avec de la haine gratuite, d’autres ont à nouveau l’occasion d’avoir l’impression de faire partie d’une communauté. »
Ainsi le cyber harcèlement devient une arme de vengeance pour l’amoureux déchu et un jeu de séduction pour l’ami en quête d’une famille. Se découvrir grâce à la haine que nous inspire le web. Ouvrir la page de trop.
Oumar Diawara
*Rapport Blaya, 2013
*Prénoms modifiés

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