Nous sommes jeudi matin, nous remontons la rue Turgot (IX° arrondissement) pour retourner au lycée. Le cours d’EPS était fini, il était temps pour nous d’aller en cours de français. C’était sans se douter que des grosses poubelles nous empêcheraient d’entrer. C’était malheureusement une journée assez importante et surchargée pour moi. Ma priorité n’était pas de manifester contre la loi travail, mais de me concentrer sur mes cours, de plus j’avais déjà raté plusieurs cours la semaine dernière. Arrivé devant le lycée j’appelle le lycée pour avoir plus d’informations. Je bouche mon oreille espérant ne plus entendre les cris et le bruit des poubelles qu’on balançait. Je demande à la personne au bout du fil comment entrer au lycée, et sinon, comment les absences seront gérées. « Bah.., tant qu’il n’y aura du bazar devant le lycée personne ne pourra aller en cours ! », répondent-ils.
Nous avons donc attendu, certains se sont énervés contre l’administration, ils ne comprenaient pas : « Mais ils sont sérieux, ils ne veulent même pas nous laisser entrer par la porte des lycéens et ensuite ils vont envoyer des messages d’absence à nos parents » d’autres se sont énervés contre ceux qui faisaient le blocus : « Putain ils sont chiens, ils ne connaissent même pas la loi ils sont juste là pour foutre la merde ! ». J’avais le pressentiment que ça allait durer longtemps j’ai donc appelé mon père pour le prévenir, et je suis allé au café avec quelques amis.
Les tasses de café et de chocolat chaud qui s’empilaient ont confirmé mon pressentiment. La foule débordait déjà, les routes étaient bloquées par des barrières et contrairement au blocus précédent on n’entendait aucune revendication. « Ils bloquent pour bloquer, ils veulent juste être dans la story Paris » me dit un de mes amis. Certains n’étaient même pas du lycée, de nouveaux visages qui t’empêche d’assister à tes cours, c’est étrange, mais ce n’était rien comparé à ce qui allait se passer.
Le temps passe et par la fenêtre du café on voit qu’un feu commençait à grandir dans le tas de poubelles, un feu qui commençait à devenir menaçant. Nous nous disions qu’ils allaient prendre les extincteurs comme au blocus précédent, le problème était que ce qui venait de se passer n’avait rien à voir avec un blocus. Le feu était devenu si menaçant et si grand que je pris l’initiative d’appeler les pompiers.
« – Oui, bonjour je suis un lycéen de Jacques Decour et je vous appelle parce qu’il y a le feu devant le lycée et ça commence à devenir grave…
–  Le lycée avenue Trudaine ?
– Oui !
– Mais les pompiers sont déjà sur place monsieur.
– Mais on ne les voit pas !
– Ils sont sur place. »
C’est en regardant les comptes de certains amis que j’ai vu qu’ils étaient en train d’empêcher les pompiers de passer pour laisser le feu grandir, et pour ceux qui avaient la mauvaise idée de prendre un extincteur, on les menaçait, poussait voire même les frappait. Tout cela était fait avec une telle fierté que s’en est devenu effrayant.
Les quelques minutes qui aurait pu faire en sorte de sauver la porte, vieille de deux siècles, des flammes sont écoulées. Elle prend feu, se consume, tout cela devant des élèves effrayés et d’autres, très fiers, de leur travail. Le feu prend une ampleur telle que le drapeau français qui était en hauteur s’enflamme aussi. Les flammes embrasent mon cœur, je brûle de colère. Les pompiers ont enfin pu passer et ont pu faire leur boulot, ils ont empêché ce bâtiment et son histoire de finir en cendre. Les policiers ont ensuite interpellé les « suspects », ceux qui auraient commis ces actes.
Sentiment étrange, comme si nous étions dans un autre pays. La porte qui était normalement d’un marron clair est devenue noire charbon. Ce noir que l’on porte durant les enterrements, que l’on pleure. C’est un peu la mort de cette jeunesse dont je fais partie, cette jeunesse qui avait l’habitude de réfléchir, cette jeunesse que l’on considérait. J’espère qu’elle renaîtra de ses cendres et que celle qui ne réfléchit pas nous laissera la place. On la pousse à sauter sur les poubelles sans lui expliquer le pourquoi du comment. Ce n’est ni la faute de l’extrême gauche, ni celle du gouvernement comme certains le pensent. La responsabilité appartient à toute la classe politique. Réfléchissons aux conséquences de nos actes. Comment voulez-vous qu’on puisse de nouveau demander de la considération si lorsqu’on nous la donne, nous brûlons nos lycées et nos drapeaux.
Miguel Shema

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