Les étudiants ne sont pas contents, du tout. Depuis plusieurs semaines, ils manifestent, se mobilisent, braillent, chantent, dessinent, écrivent contre la loi travail. Les grèves nationales se répètent de semaine en semaine. La rue attend une réaction de la part des politiques.
Cette mobilisation ne se résume pas qu’à une manifestation hebdomadaire, dans certaines universités le mouvement est quotidien. L’université Paris VIII Vincennes Saint-Denis est connue pour son caractère (très, hyper, méga, supra) militant. Un matin sur deux, des étudiants sont présents à l’entrée de l’université pour distribuer des tracts qui appellent à des mobilisations pour l’accueil des étudiants sans-papiers, la condition féminine au travail, un concert de soutien à Gaza, un pique-nique dans le parc.
À force, tu t’y habitues. Par automatisme, tu prends le bout de papier que tu froisses dans un coin de ton sac, esquisses un sourire-merci, et traces. Il y a les rassemblements dans le hall du bâtiment A qui deviennent récurrents aussi. En passant devant tu ralentis pour voir s’il y a du monde ou pas, si les gens sont peace ou vénères.
Et puis, il y a évidemment les inscriptions murales. Philosophiques, politiques, humoristiques, il y en a de toutes sortes et partout. Dans les toilettes, au-dessus des tableaux, dans les couloirs, partout. À Paris VIII, le militantisme c’est donc comme la journée de la femme, « c’est toute l’année ».
Sauf que depuis le début du mouvement général contre la loi travail, à Paris VIII c’est encore plus animé que d’habitude. Depuis le 9 mars, date de la première grève nationale à Paris VIII c’est la « révolution » : rassemblements, succession d’assemblées générales, fermeture de certaines UFR (Unité de Formation et de Recherche), blocus à répétition.
Beaucoup (pour ne pas dire la plupart) des étudiants, des professeurs ne sont pas d’accord avec le fond de cette loi. Et ils le font savoir par leur large mobilisation. En fonction des UFR et des professeurs, les absences en TD (Travaux dirigés) ne sont plus comptabilisées pour ne pas pénaliser les grévistes. Certains ont réfléchi avec leurs élèves à la modification des modalités d’évaluation en raison du nombre de cours supprimés : certains partiels sont annulés, d’autres sont remplacés par des dossiers.
Les profs sont relativement indulgents sur la question, certains pensent d’ailleurs que l’engagement militant fait partie intégrante de l’expérience universitaire. Abel, étudiant en droit, m’explique que ce mouvement c’est aussi un ras-le-bol général de la politique actuelle « enfin pour ma part » précise-t-il rapidement « j’en ai marre de voir un gouvernement de gauche mettre en place une politique de droite !! Le droit de vote des étrangers : on n’a rien dit, l’abandon du récépissé pour lutter contre le contrôle au faciès : on n’a rien dit, la déchéance de nationalité : on n’a rien dit, mais là cette loi… c’est clairement du foutage de gueule ».
Sur les réseaux sociaux, les étudiants sont également fâchés. D’un côte il y a ceux qui appellent à la mobilisation, qui rappellent les dates des assemblées générales, des manifestations. De l’autre, ceux qui en ont marre de cette grève. « Trois semaines, c’est long ! Et ça ne semble pas fini… – s’impatiente Gaëlle elle aussi étudiante – à trop crier au loup, on finit par ne plus y croire, comme on dit. Je suis pourtant moi aussi en désaccord avec cette loi, mais on ne va pas faire grève jusqu’à la fin du mandat de François Hollande, avant d’arriver sur le marché du travail il faut un diplôme ».
Ce mardi la fac est « bloquée » : des tables, des chaises, de palettes de livraison, des barrières de sécurité empêchent l’accès à tous les bâtiments du campus. Opération de choc réussie. En une heure, toutes les story snapchat des étudiants présents sur place comptent au moins une photo de ce blocus. Alors que certains cherchent le meilleur angle pour photographier le spectacle, d’autres se demandent si la situation va se décanter. Parmi eux, Nina : « je me suis tapé près de deux heures de transports pour venir, le RER A ET la ligne 13 je précise, et en fait je viens pour regarder un tas de chaises et de tables ? Ça commence sérieusement à devenir relou ! ».
Certains secrétariats ont banalisé des semaines entières de cours. Gaëlle considère que cela est néfaste aux étudiants : « El Khomri elle s’en fout de savoir si on est en cours ou pas, ce n’est pas notre CPE. C’est nous que ça pénalise ! Comment valider un diplôme en ratant tant de cours ? ».
Des amis de Gaëlle me confient que lorsque les cours sont annulés ils ne participent plus aux manifestations organisées, qu’ils ne sont pas motivés pour réviser leurs cours : « en fait, on a un peu l’impression d’être en vacances » bien que les absences ne soient pas comptabilisées, les étudiants ne sont pas pour autant poussés à déserter l’université, au contraire, des ateliers de sensibilisation à la mobilisation sont organisés pour que les étudiants comprennent le mouvement, la loi travail, le but de cette contestation.
L’université a été relookée depuis le début du mouvement : les tags sont encore plus nombreux qu’avant. « Ça a le mérite d’être explicite », constate Abel qui fixe un mur sur lequel il est écrit « la révolution a commencé ». Sur les pages Facebook liées à l’université, certains sont scandalisés par l’étendue de ces inscriptions et parlent même de « dégradation de bien public ». Abel n’est pas de cet avis : « ça donne un style et puis de toute façon ce n’est pas comme si de base les locaux étaient très beaux… ».
Sur ces pages Facebook, chacun y va de son petit message. Certains sont politiques, d’autres plus humoristiques : « tu sais que t’es à Paris 8 quand la dernière fois que tu as eu cours, Marseille gagnait encore à domicile », par exemple. Ce vendredi, une énième assemblée générale se tient à Paris 8. Les étudiants voteront la reconduction (ou pas) de la grève.
Sarah Ichou

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