On ressent encore l’engouement de la veille. Les habitués sont à l’heure. Les pancartes et affiches flottent au vent. Une grosse pancarte Loi Travail fait signe aux abonnés de la nuit debout. Malika, 56 ans, porte le slogan Rêve général, elle est au chômage : « Jeudi, j’étais coincée à Nation. C’était une belle manif. Tout le monde était trempé mais c’était avec enthousiasme. Même si la loi est retirée, il faut vraiment que ça change. Je reste au chômage. J’ai commencé à bosser à 16 ans. On n’est pas respecté, je ne peux pas être piétinée comme ça. Je n’ai pas eu mon bac, certes, mais on nous donne l’impression qu’on a pas d’avenir, qu’on ne peut pas se projeter… ».

Photo :Analia Cid

Photo : Analia Cid


Un peu plus loin, une entrepreneuse-graphiste qui s’est greffé à l’accueil « Jeudi à 5 heures, les gendarmes sont venus nous encerclés, comme d’habitude. On est rentré chez nous de manière pacifique, tout en leur rappelant qu’on allait revenir. A 6h30, il n’y avait plus personnes. On a besoin de rêver peu importe l’étiquette qu’on nous colle. » La presse est également présente. Itele, normal. Mais le stand de l’Humanité m’intrigue « On est là pour montrer notre engagement. Notre ligne éditoriale est connue. On a fait des hors-série sur le sujet. C’est important que la presse soit du côté des personnes qui viennent manifester. Il faut faire parler les voix que l’on n’entend pas » affirme Audrey, une des journalistes.
A 18h30, on vient après le travail. Les cercles se forment. On s’organise pour le prochain rassemblement, c’est le début de la première assemblée générale. On reçoit des nouvelles de Toulouse. « On n’est pas tout seul à Paris, hein § » Ils ont occupé le théâtre Garonne toute la nuit. Le mégaphone passe entre les mains. Un homme prend la parole : « avec les réseaux sociaux, il est plus facile de s’organiser. Tout le monde ne peut pas être présent jusqu’au bout de la nuit pour des raisons familiales. Cela permettrait de faire des roulements. »
Photo :Analia Cid

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On applaudit comme les muets pour montrer son accord. Mardi 5 avril, de nouveaux rassemblements sont prévus. « Il faut trouver le bon rythme. Les médias, le gouvernement, ont très peur de ce qui se passe ici. » Ils se détachent en commission. Une trentaine de personnes se mettent en groupe. On retient les meilleures idées. Comité action directe, logistique, communication… Il faut porter sa voix longtemps face à des militants enragés. Ils ne tarderont pas à se diriger vers le buffet constitué de restes, de nourritures données et de pain prêts à être jetés.
« La grève générale est là pour l’égalité »
Le comité action propose d’étendre de grandes banderoles sur des lieux stratégiques où seront notées le nombre de licenciements et le salaire des patrons. On parle de dégradation festive afin d’assurer de manière permanente la désobéissance. Le comité animation s’organise en parlant des réseaux. Les clochards, bière à la main, animent et mettent de l’ambiance. Les membres de l’organisation ne se connaissent pas tous. Mais la présentation est déjà faite et on passe à l’intervention suivante. Oui parce qu’ il « faut respecter le temps de parole ». On est en démocratie, apparemment. On essaye d’élargir le mouvement. A proximité, les enfants jouent à la craie.
Amalia s’accorde cette zone de la place. Sa maman Tamara l’accompagne « A cet âge-là, il faut vivre le truc. Mes parents sont arrivés en 1975 du Pérou. Ils manifestaient souvent. J’ai grandi avec ça. » Le comité logistique parle d’eau, de surveillance et de toilette. « Je suis passionné par les toilettes sèches » lance l’un. « Il faut qu’on s’abrite, ce qui justifie que l’on ne nous enlève pas le droit de rester » lance l’autre. Dans la masse, j’entends une anecdote de la veille à côté de moi « J’ai dû marcher jusqu’à Gare du nord pour ensuite prendre le métro parce que ma chienne n’était pas muselée. Hier, on a allumé deux feux jusqu’à 5 heures du mat’ ».
Photo :Analia Cid

Photo : Analia Cid


La tente de l’association « Droit au logement » est là depuis trois mois. Fatima, Ourida, Jamila me racontent un bout de leur histoire « Jamila est là depuis 13 ans. Il fait froid, on dort ici, ce n’est pas un cadeau. Avec mon fils, on dormait dans un studio : lui dans la cuisine et moi dans la chambre. Mais pour lui laisser un peu plus d’intimité, je dors ici. Et ça me fait mal aux reins. On est ici pour nous défendre. On vient du XXème, du XIème et du XVIIIème. Beaucoup de logements sont vides. Pourtant, le logement apporte la stabilité. La grève générale est là pour l’égalité. D’accord, je suis une mémère mais, je suis avec vous. » Au son de leurs voix, on décèle un long combat. Elles ne sont pas prêtes de céder. La musique jouée par les étudiants les porte au loin. Mon tour se finit par Elias, jeune graffeur « Quand on rêve, après on agit. Mon rêve, c’est que l’on garde République. ».
La nuit vient de tomber. Elle peut commencer avec le monde de nouveau réuni pour une longue soirée pleine de débats. Affaire à suivre…
Texte : Gouja Yousra/ Photo : Analia Cid

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