Cet assemblage de blocs blancs, écarlate depuis peu, a vu le jour dans en 1968 et constitue l’un des plus grands complexes de logements sociaux d’Île-de-France. (1800 logements sur 16 tours de 18 étages). Construite sur un ancien site industriel de production de gaz, cet espace situé au nord de Paris à été pensé de façon excentrée pour protéger les habitations alentour. La résidence a dû subir un enclavement, multiplié par les différentes infrastructures qui viennent l’enfermer, les voies ferrées ou le périphérique.

© Jennifer Grindley

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La « résidence » comme l’appelle depuis peu l’administration parisienne a pu profiter du Grand projet de rénovation urbaine, alias GPRU, qui aurait pour objectif, comme le souligne le site de la mairie de Paris « d’améliorer le cadre et les conditions de vie dans les quartiers prioritaires ». Tout bon usager du RER E n’a pu échapper au lifting de cet amas de tours. Mais si ! C’est bien elle, cette inconnue qu’on croise systématiquement sur notre trajet entre Pantin et Magenta et qui sert maintenant de toile de fond à la toute jeune gare Rosa Parks. Depuis des années nous observons son évolution, mais cela reste courtois.
Arrivée dans ce labyrinthe on peut-être étonné par l’aspect désertique du quartier. Pas un chat. Et cela est accentué par le magnifique, mais non moins glacial parallélisme qu’offre les grandes allées exiguës. On se croirait dans un jardin à la française tant tout est symétrique, carré, aseptisé. Un petit grillage encastré dans un coin entre deux bâtiments laisse apparaître des nuées de vert. Sur la devanture un petit panneau artisanal nous invite vivement à entrer.
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Il s’agit d’un espace de verdure, de fruits et de légumes, on se sent tout de suite au calme, apaisé. Malheureusement ce petit coin de quiétude est presque aussi vide que le reste de la cité. À l’exception de René* responsable du jardin solidaire, il n’y a personne. « On essaie de motiver les gens de la cité à venir au jardin solidaire, mais ce n’est pas facile. D’un côté ils sont happés par la dureté de la vie, les problèmes financiers, les enfants. De l’autre, on sent bien une peur de s’impliquer dans le projet, ils ne se sentent peut-être pas légitimes à participer à ce genre d’activités. C’est un travail de plusieurs mois voir années pour que les habitants s’approprient le lieu, mais on ne baisse pas les bras et régulièrement on propose des activités de voisinages. »
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René rajoute que ces activités de voisinage sont particulièrement importantes depuis la rénovation, car au-delà de ce jardin c’est l’ensemble de la cité que les habitants doivent reconquérir. Un habitant de la cité, membre de l’association de quartier, confie à ce sujet : « C’est vrai que depuis la rénovation les gens sont un peu perdus. Ça a cassé les relations de voisinage. Il y a de grandes grilles autour des immeubles, l’intérieur de la cité fait partie de la voirie public, les gens passent ici comme dans une rue. Certains ont perçu ça comme une violation de leur espace privé. Après ce n’est peut-être pas plus mal, cela évite aussi l’enclavement. »
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Au loin la cabane à outils a subi un petit relooking local, des graffitis ont égayé les murs : « Oui, alors ça, ce sont les jeunes. Quand on ferme le jardin, ils entrent et prennent les chaises. Moi, ça ne me dérange pas, mais ils ne les rendent pas, donc je leur ai dit, car mon but n’est pas de leur faire la guerre, qu’ils peuvent les emprunter, mais je veux qu’ils nous les rendent. Cette histoire a déjà créé des conflits, mais on a essayé d’apaiser les tensions, surtout qu’on accuse souvent les jeunes pour tout et rien donc eux aussi ont tendance à se braquer. Il y a une vraie discrimination anti-jeune. La cité est devenue un lieu de passage, il n’y a pas de bancs où ils peuvent s’asseoir pour discuter ou se retrouver. »
En se baladant dans la résidence on remarque également qu’à chaque intersection il y a des associations ou des points d’informations. Pour certains habitants c’est une bonne chose : « Le fait qu’il y ait ces associations permet d’ouvrir la cité, ça fait moins “ghetto”. Puis ça montre aussi qu’on n’est pas oublié. C’est bien pour les jeunes ». « Les jeunes », un terme qui ressort sans cesse, entre affection et haine, le sujet de la jeunesse n’en finit pas. Plus loin, l’association Feu vert qui s’occupe justement des jeunes du quartier. À l’intérieur un seul membre, nous arrivons après une réunion. Les murs sont tapissés de photos de ces futurs adultes, anciens enfants, heureux au ski ou à la plage. En discutant de la rénovation avec l’éducateur de l’association, il nous confie que depuis la fin du programme le rôle de leur structure a pris une nouvelle dimension.
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Pour cet intervenant, avant les préoccupations de bien-être des habitants du quartier, la rénovation de la cité Michelet a une fonction sécuritaire qui met surtout en cause la jeunesse des lieux. Au-delà de l’aspect physique, Michelet a subi des modifications juridiques : autrefois l’intérieur de la résidence était privée. Or quand les forces de l’ordre choisissaient de faire une « visite de courtoisie » dans le quartier ils leur étaient compliqués d’entrer dans l’enceinte de la cité. Après la rénovation l’intérieur de la résidence fait désormais partie de la voie publique ! Cela signifie donc que les policiers peuvent se promener librement au sein de la propriété.
La résidence Michelet devient à présent un « piège à souris ». Cela s’additionne à un autre phénomène : les bâtiments désormais entourés de grilles et de digicodes renforcent cet aspect de « piège ». Alors qu’autrefois, un groupe de jeune pouvait s’éparpiller en passant par divers bâtiments, maintenant il leur est impossible de le faire, car tout est fermé. Vous me direz, et alors ? Tout ceci a pour but de sécuriser, et si vous êtes un vieux ronchon vous rajouterez que de toute façon « Les jeunes n’ont pas à trainer dehors comme des petits voyous ! ». Oui, mais voilà, toute cette réorganisation de l’espace a paradoxalement désorganisé la circulation des habitants de la cité.
Michel nous confie à ce sujet : « Maintenant, que l’intérieur de la résidence est composée de petites ruelles on ne peut plus rentrer en voiture. Ce n’est pas pratique on doit marcher quelques fois cinq minutes pour arriver devant notre bâtiment avec toutes nos courses. » Il ajoute « niveau sécurité c’est un bien pour un mal, car toutes les circulations ont été cassées, cela signifie que maintenant on ne peut plus couper la cité pour rentrer chez nous, on doit faire des “zigzags”, et pour les jeunes filles qui rentrent le soir par exemple, elles doivent marcher dix minutes de plus pour arriver chez elles, ce n’est pas forcement rassurant le soir en hiver. »
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Les habitants de la cité Michelet sont heureux de cette rénovation tant attendue qui leur offre un lieu de vie propre avec des activités qui dynamisent et désenclavent socialement la cité. Les habitants ne s’octroient pas toujours le droit de participer à ces dispositifs, mais les acteurs associatifs travaillent sur cette problématique et malgré tout, les habitants se sentent valorisés d’avoir ces infrastructures en bas de chez eux.
En revanche, le point négatif est le fond de cette rénovation : la jeunesse, souvent dénoncée comme la source des insécurités dans la zone, se sent chassée de la vie de quartier. Toute une tranche d’âge a été ignorée voir « combattue » par l’aspect « piège à souris » de l’organisation de la cité qui semble avoir été pensée pour faciliter les descentes de police. Mais cette nouvelle organisation de la voirie à l’intérieur de la résidence ne facilite pas la vie de ses habitants, en les forçant à emprunter des itinéraires incongrus pour se rendre jusqu’à leur bâtiment, en cassant les échanges de voisinages à cause des grilles et digicodes qui individualisent les bâtiments.
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Alors une question a fait immersion : L’aspect sécuritaire de la rénovation urbaine de la cité Michelet a t-elle été pensée pour les habitants de la résidence ou pour les personnes extérieures au quartier ? Cette interrogation prend d’autant plus de force que l’environnement proche du quartier est en voie de « bobofication » avec l’aménagement du boulevard Macdonald, ses bureaux étincelants, ses habitations modernes d’inspiration rive gauche et des commerces aussi beaux que chic.
Myriam Necib
*Prénom modifié.

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