Samedi 23 avril 2016, place de la République, les mobilisés de la convergence des luttes à l’appel de #nuitdebout sont une centaine à battre la pavé, lancer les slogans, notamment contre la loi El Khomri « retrait, retrait de la loi El Khomri ». Ils revendiquent aussi être le véritable fondement de l’économie, en tant que travailleurs, et veulent la diriger à bon escient. Mathieu, un jeune d’une vingtaine d’années, est mobilisé et comme les autres ce jour-là pour la séparation du Medef et de l’état. Selon la première mouture de la loi travail, il est simple de comprendre pourquoi « Gattaz parle docilement du gouvernement » dans un premier temps. Il compare le rapport symbolique du Medef à la société, à celui du « CRS contre l’habitant ».
Les manifestants s’engouffrent dans le métro. Ils ne peuvent emprunter la sortie Invalide fermée pour cause d’un événement sportif sur l’esplanade. Dans le métro Pierre, qui travaille depuis trente ans, célèbre tout d’abord cette mobilisation générale de tous pour « que ça change », comme une forme artistique « de contrebalancer le déséquilibre des pouvoirs ». Selon lui, si la société doit être « plus productive, vendons nos patrons ». Il est exaspéré du stéréotype véhiculé par cette classe sociale, dont la certitude est « que les patrons sont les seuls à mouiller la chemise ». Or, en tant que travailleur, il affirme ne pas avoir « besoin de patrons dans la vie ». En premier lieu « la démocratie dans l’entreprise doit être rétablie ». Il n’est pas juste de voir le patronat s’arroger les « 50 % » de la force de négociations dans le cadre des rapports de force patron-syndicat institué dans tous les discussions nationales. De plus, les salaires des patrons sont selon lui trop « haut ». Il souhaite voir se créer « une commission travail » dans le courant de #nuitdebout, car « le travail est essentiel ». La sortie du métro se fait un peu plus loin.

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Photo : Amaury Lignon


Regroupés, en haut des marches de la bouche de métro, les manifestants marchent sur le trottoir à l’approche du siège du Medef, avenue Bosquet dans le 7ième arrondissement. Là les forces des CRS sont en surnombre. Les manifestants sont une centaine. Les CRS bloquent l’ensemble de l’avenue avec six fourgons de policiers. En ligne, ils braquent leurs boucliers et l’arme à feu au flanc. Faustine, un peu plus de 20 ans, déplore, « Hollande en 2012 avait promis de taper sur la finance. Ce n’est pas du tout ce qu’il fait. Depuis il tape sur les travailleurs ». Deux intermittentes du spectacle, la vingtaine, Noémie* et Clarence* mettent en lumière que le Medef détient comme des otages « tous les gens qui dépendent des allocations chômage ». À titre professionnel, elles veulent préserver « les annexes 8 et 10 » des accords régissant le monde du travail des intermittents du spectacle. Elles rappellent l’importance de la gestion « au cas par cas » des personnes, au lieu d’un statut unique généralisé qui n’encadre pas la plupart. Elles reprochent les revendications patronales d’économies sur les allocations chômage dont le poids doit être porté aussi par les intermittents du spectacle. Et surtout elles s’insurgent face à la pratique faisant que « les dettes du privé sont payées avec l’argent public », que « 57 % des chômeurs ne bénéficient pas des allocations à cause des conditions si restrictives ».
À ce moment les CRS encerclent les manifestants poussant leurs boucliers contre les manifestants. Deux CRS dirigent la manœuvre. L’un encourage les forces de l’ordre à pousser encore plus. Le second est reconnu comme ayant dirigé le cordon de CRS dressé pour barrer le chemin au premier événement musical de #nuitdebout parti de Nation pour rejoindre place de la République autorisé par autorisation préfectorale le 31 mars 2016. Les manifestants scandent « milice du capital, police nationale ».
Les manifestants sont désormais repoussés par les CRS. Catherine, assistante sociale, ayant vers 40 ans, critique « la vision économique de l’humain, selon laquelle la vie est faite uniquement pour produire des richesses ». À son sens la société pourrait s’organiser pour « la jeunesse, pour la transmission des savoirs », et surtout l’humain « a besoin de plus de temps libre ». Coré (son nom a été modifié), environ 25 ans, rappelle que la « la loi El Khomri a été écrite par le Medef pour le Medef ». Il reproche ce qui est dans l’ADN du Medef. « Les patrons s’organisent pour mieux exploiter les gens ». L’objectif du patronat dit-il est de « de produire toujours plus moins cher selon une logique ultralibérale, dont la flexibilité est la priorité » tandis que « la vraie richesse d’un pays n’est pas dans la croissance du PIB mais dans la répartition de ces richesses. » Les manifestants scandent alors« El Khomri au RMI ».
Les CRS encerclant les manifestants sont finalement entourés par les passants, une deuxième vague de contestataires arrive alors en renfort. Les CRS relâchent la nasse, il devient enfin possible de rejoindre le métro. Sur les quais les manifestants sont environ 150. Anabelle, la trentaine d’années, manifestante, dirigeante d’une société de production de film déclare « sa solidarité avec le mouvement #nuitdebout ». Il faut « changer le système qui ne va pas » et appelle à « un meilleur partage des salaires, le partage et l’allègement des heures de travail pour dégager du temps libre pour l’organisation de la cité ».
Texte : Guillaume Montbobier/Photo : Amaury Lignon
*Prénoms modifiés

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