Grâce au statut de contractuel, à 23 ans Sophia* s’est retrouvée professeure de mathématiques du jour au lendemain. Et pourtant, cette jeune femme a toujours voulu travailler dans l’aéronautique. À la légendaire question « tu voudras faire quoi quand tu seras grande ? », sa réponse était toute faite. Petite, elle jouait aux avions avec son frère, demandait des avions Barbie pour son anniversaire. Son projet s’est précisé avec les années. Elle choisit un parcours scolaire en adéquation avec son rêve de petite fille et doit tenir tête face aux pressions des « grands ».
Ses recherches concernant cette orientation, elle les a faites toute seule. « J’ai évité du mieux possible la conseillère d’orientation » confie-t-elle en souriant. Persévérante et ambitieuse, Sophia se donne les moyens pour accéder à son domaine de prédilection. Brevet et baccalauréat avec mention, licence de physique-chimie, école d’ingénieur reconnue et un stage à Dassault aviation, Sophia est enfin sur le marché du travail.
Elle ne perd pas de temps et présente sa candidature à plusieurs grosses entreprises. Toutes lui rétorquent la même chose : « vous avez un profil très intéressant mais en raison de la conjoncture nous n’embauchons pas en ce moment ».Un mois, deux mois, six mois passent et Sophia est toujours au point mort dans ses recherches. En raison de ses qualités scientifiques, depuis ses années lycée, elle propose des cours de maths, de physique-chimie et de SVT aux particuliers. Étant donné sa situation, elle décide de postuler au rectorat comme professeure contractuel. Tout se passe sur internet, du dépôt du CV au choix des académies. Sophia n’est pas compliquée : Versailles, Paris, Créteil. Du moment qu’elle travaille, tout lui va.
« Il m’a simplement montré où il en était dans le programme »
Deux jours après cette opération informatique, elle reçoit un coup de fil d’une inspectrice qui lui propose un entretien le lendemain. Celui-ci durera dix minutes : « vu le nombre d’entretiens que j’ai fait après mon école, je connais le concept maintenant : lorsqu’un entretien dure si peu de temps, généralement c’est que tu ne corresponds pas au profil ».
Et pourtant 48 heures plus tard elle est contactée par le proviseur d’un collège des Hauts-de-Seine (92). Ils se rencontrent le lendemain. En un claquement de doigts, elle est embauchée pour six mois : « j’ai rencontré le professeur que je remplace, il m’a simplement montré où il en était dans le programme, m’a donné les listes des classes en m’indiquant les élèves les plus turbulents ». Les jours suivant, Sophia reçoit son emploi du temps, achète un cartable et des stylos rouges.
Si Sophia a un certain sens de la pédagogie acquis avec les cours particuliers qu’elle donne depuis plusieurs années, elle n’a jamais été face à une classe. Elle n’a jamais corrigé de copies. Elle n’a jamais réellement préparé de cours. Elle n’a jamais assisté à un conseil de classe, elle n’a jamais eu besoin de gérer des problèmes de discipline.
« De toute façon dans la vie il faut se lancer »
« À la fin de l’entretien, l’inspectrice m’a donné un carnet sur lequel elle a souligné un lien », ce lien c’est le site sur lequel Sophia est invitée à se former pour remédier à son manque d’expérience en terme d’enseignement. Comme si, une formation autonome en ligne pouvait suffire à gérer une classe de collégiens. Lors de sa première rencontre avec le proviseur, elle lui a fait part de son manque d’expérience face à la mission qui l’attend. Sa réponse lui est restée en travers de la gorge : « Mademoiselle, vous êtes jeune et dynamique et de toute façon dans la vie il faut se lancer ».
La première classe devant laquelle elle doit faire cours est une classe de troisième. Elle le sait d’avance, pour ces élèves elle ne sera pas une prof contractuelle, une prof de secours, non ce sera une prof tout court. Sophia procède à une présentation rapide, elle explique en quelques mots son parcours, sa passion pour les avions : « en parlant d’avion j’ai tout de suite retenu leur attention ils m’ont dit “wah madame vous êtes quelqu’un de la vraie vie » ». Finalement, l’intégration de Sophia dans cet établissement se passe bien.
L’équipe pédagogique, selon elle, y est pour beaucoup. Seulement, elle constate que jusqu’à présent un grand nombre de questions reste sans réponses : Est-ce normal que personne n’ait encore jamais vérifié ses diplômes ? Pourquoi demander à un professeur contractuel de se lancer dans des projets pour l’année suivante alors que son contrat se termine en juin ? Pourquoi est-ce qu’une formation rapide n’est pas imposée à ces nouveaux profs sans expérience et qui pourtant accèdent à des formations dédiées aux profs diplômés ? Pourquoi est-ce qu’un prof stagiaire Capes ne peut faire cours à des classes de troisième alors qu’un professeur contractuel moins expérimenté peut le faire ?
« Merci madame, j’ai enfin compris les racines carrées »
Sophia a pris goût à la vie de prof. Même si au départ elle trouvait bizarre de se faire appeler « madame » et d’être accueillie par des élèves debout ; même si elle confie craquer parfois avec certaines copies, rester stupéfaite face aux comportements de certains élèves et parents, elle aime ce qu’elle fait : « quand un élève vient te voir à la fin du cours pour te dire “merci madame j’ai enfin compris les racines carrées”, tu surkiffes ».
Son contrat se termine à la fin de l’année scolaire. Sophia est presque déjà nostalgique : « c’est du travail et beaucoup d’énergie mais c’est tellement enrichissant de transmettre son savoir…». Si cette mission devait durer quelques mois et permettre à Sophia d’avoir une activité professionnelle pour renflouer les caisses, elle se découvre peut-être une vocation. C’est pour cette raison qu’elle s’interroge elle-même sur son avenir : reprendre ses études pour se spécialiser dans son domaine ou bien passer le Capes et devenir prof ? Elle ne sait pas encore vers quelle voie s’orienter. Une situation paradoxale pour une professeure qui guide ses troisièmes dans leurs choix d’orientation.
D’ici la fin de son contrat, elle a prévu de lier ses deux passions et de confectionner un avion en 3D sur papier mâché avec une de ses classes. Une manière de leur prouver que les maths, « ça peut servir dans la vraie vie ».
Sarah Ichou
*prénom modifié

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