« La police nous fait vivre un enfer » tels sont les mots d’une passante au milieu de la foule rassemblée en marge de la manifestation des forces de police, visant à dénoncer « la haine antiflic ». La foule venait de repartir du cul-de-sac où les forces de l’ordre les avaient repoussés nettoyant la place de la République de sa présence citoyenne.
À leur arrivée sur la place de la République, journalistes, citoyens sont sévèrement contrôlés. Pourtant les mots écrits de la CGT police dans leur tract appelaient « la population à venir rencontrer ses policiers ». La froideur cinglante s’installe, les distances sont prises. « Vous portez un sac ». « Vous avez un casque ». « Vous traversez la place ? ». À 10h00, les barrières de sécurité encerclent toute la place de la République, hier encore libre de circulation et de revendications.

Photo : Joao Bolan©

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La presse pointée du doigt est assignée à une place bien précise
Le premier commentaire de Vincent, 30 ans, animateur à la ville de Paris est « c’est ridicule, je peux comprendre le stress, mais de là à se plaindre en manifestant ça fait sectaire, on se croit revenus au temps de Jules César. S’ils veulent montrer qui ils sont, ils devraient défiler avec leurs enfants, en famille ». Vincent sanctionne « je ne reconnais pas ma France, pas la France qui me défend, mais celle qui m’attaque ».
À 10h15, la ligne serrée des CRS avance et expulse toutes personnes présentes. La police refuse de discuter. Un gendarme mobile marche sur un citoyen hurlant « casse-toi ! ». À 10h20, la place est vide. Ahmed, serveur dans la restauration, 32 ans, voisin de la Place de la République, exprime « c’est un peu injuste, les policiers ne protègent que les autres, mais ils ont droit de manifester, nous sommes dans une démocratie ». Il reconnait que « sur la place de la République, c’est de la provocation » et ce n’est pas normal « une manifestation tout le monde doit pouvoir venir pour participer ».
Photo : Joao Bolan©

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Acculés derrière les grilles de sécurité, les citoyens attendent. Un policier du service d’ordre de l’UNSA exige de l’un d’eux, Edmonn, anglophone, qu’il retire son badge CGT de sa veste, affirmant « vous n’allez pas être apprécié avec ce badge ». Il conservera son autocollant « debout et libre ». Edmonn a été au mouvement Nuit debout. Il dit « ne pas se sentir agressé », mais se souvient que « le 1er mai tout le monde, femmes, enfants, personnes âgées ont été gazées ». Ceci pour lui « ce n’est pas bon ».
Surcroît de menaces, d’intimidations, les gendarmes armés s’alignent devant les grilles de sécurité, avec la volonté de ne faire entrer personne. La foule est repoussée en dehors de la place de la République. Les journalistes sans carte de presse ne peuvent pas rester non plus, et doivent partir. Aucune communication n’est possible. Edmonn continue ses commentaires en ajoutant « la police veut se battre avec tout le monde ». René a répondu à l’appel du Collectif Urgence Notre Police Assassine. Etudiant en histoire contemporaine à la Sorbonne, a 27 ans il travaille dans une épicerie. Il se trouve aux côtés d’Edmonn. Il est atterré, « le décès d’un manifestant au milieu de la forêt au barrage de Sivens est toléré, la perte d’un œil par un militant est toléré ». Puis il ajoute « quand on dit que tout le monde déteste la police, je pense que ce n’est pas vrai. Mais la police déteste tout le monde ». Son constat est le suivant par rapport à l’attitude générale de la police nationale : « un repli corporatiste, où les policiers n’ont plus aucun intérêt pour les gens ».
Photo : Joao Bolan©

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11h10, un gendarme fait vider le premier sac d’un des contre manifestants, majoritairement des hommes entre 20 et 30 ans. La présence des femmes est infime. Victor, étudiant en théâtre, exorcise « non je n’ai pas peur, ils nous menacent. » Antony*, la vingtaine, plombier-chauffagiste à Melun, a investi dans une journée de congé pour venir protester. Il arbore un T-shirt détourné d’Hugo Boss, sur lequel il a écrit en lettres rouges « 49-3 dans le C* ». Il dit être surtout là « contre le 49-3 ».
À 11h30, les citoyens sont toujours perdus dans la nasse des policiers. L’un d’eux met en lumière « après le 49-3, c’est une manière de dissuader les gens de manifester ». Hermine, 19 ans, étudiante en bi-licence allemand-lettres, acquiesce « les policiers cherchent à régner par l’élimination de toute contestation ». Julien, 28 ans, dirigeant d’une entreprise informatique l’ayant fermée car il ne se retrouvait pas dans ce qu’il faisait, ne voulait pas faire plus de profits. Il vient de faire le chemin de Saint-Jacques de Compostelle reliant l’Espagne à la France. Il commente, « on vient d’être fouillé, on a été d’accord, c’est eux qui veulent que ça casse, ils nous ont parqués là comme des animaux, il y a des risques d’énervements ».
Une jeune femme interpelle un CRS en faction, elle a besoin d’aller aux toilettes, le CRS lui désigne la bouche d’égout, au milieu des contre manifestants. Un autre CRS ajoute « vous ne faites pas ce que vous voulez ».  À 11h50, la nasse se resserre encore. Nils, du Gard, la vingtaine, a crée des ateliers constituants dans sa région. Quand il a appris la naissance de #nuitdebout, il a quitté sa vie confortable et vendu son ordinateur. Il explique « je suis dans la rue, je préfère vivre pauvre, que dans un confort gagné sur le dos d’innocents ». Dans son discours lu à ce moment-là, à 12h00, il précise « je ne représente personne et personne ne me représente. »
Photo : Joao Bolan©

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Après cette phrase, les CRS font reculer les résistants dans la rue René Boulanger. Des renforts arrivent. Une jeune femme essaye à nouveau de dialoguer avec l’un des CRS, celui-ci lui répond « je ne m’intéresse pas à vous, vous ne vous intéressez pas à moi ». Les citoyens manifestent, ils essuient un refus, ils ne peuvent toujours pas partir de la nasse. Un CRS arrive et s’arme d’un fusil projecteur de balles dispersantes. Une personne plaide sa situation, il doit partir pour un rendez-vous important, le CRS lui répond « nous sommes d’une méchanceté grave ».
Photo : Felipe Paiva©

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À 12h20, la foule scande au loin vers le trottoir faisant face à la place de la République « Flics, porcs, assassins ». Les citoyens reprennent en chœur « flics, porcs, assassins ». Les CRS repoussent alors les derniers résistants dans l’autre sens, vers l’arrière de leur camion cantine. Il est 12h30. Les contre manifestants sont relâchés vers la place de la République, aucun passage n’est autorisé. Seule la police a le droit de siège de la République. La police le revendique.
Guillaume Montbobier
*prénom modifié

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