Guillaume a rencontré Emanwell Mayassi, représentant de La Casa, troisième parti d’opposition en Angola.

Emanwell Mayassi, dit Patriota Liberal, porte en lui l’histoire de son pays de par les mésaventures historiques de sa famille et son investissement présent à son service par courage. Son leitmotiv est de  « surmonter la peur, car avec la peur on arrivera pas à libérer le pays ». À ce jeune angolais de 37 ans aux cheveux déjà poivre et sel (traduisant certainement l’empreinte du poids du temps, des soucis et des réflexions), l’ensemble des réalités de l’Angola sont quintessentielles. Toutefois son discours n’est pas toujours fluide. Ses phrases sont parfois entrecoupées d’inquiétudes qui lui font ravaler ses propos et demander par sécurité qu’ils ne soient pas mentionnés.

« En Angola, critiquer est possible mais ça ne doit pas être diffusé sinon on est sanctionné » explique-t-il. Aussi, si certains hommes politiques osent le jeu de l’opposition, leurs idées sont contrebalancées par une politique (de l’état) consistant à interdire tout simplement leur diffusion au niveau national, via la télévision ou la radio. Il va sans dire qu’elle doit être oubliée à l’étranger, à l’échelle internationale. Toute critique peut être condamnée par la justice, qui s’arme du délit de diffamation. Le multipartisme n’est autorisé en figuration que depuis 1991, soit 25 ans. Les premières élections dites « libres », qui se sont déroulées en 1992, ont immédiatement fait naître des contestations – celles du résultat des urnes. « Le premier résultat officiel a été une reprise de  la guerre civile entre l’UNITA (Union pour l’Indépendance Totale de l’Angola) et le MPLA  (Mouvement Populaire de Libération de l’Angola) entre 1992 et 2003 » se souvient Patriota Angola. « Les premiers coups de feu de la guerre fratricide ont été donnés en 1975, sur la volonté du président Agostinho Neto, mis en place par l’ancienne puissance coloniale du Portugal, supporté par l’URSS à l’époque et des forces militaires sur place de la République Socialiste de Cuba. Son intention est alors d’expulser l’UNITA de l’Angola. Eduardo dos Santos, leader du MPLA, est à la tête du pouvoir depuis 1979 et le décès d’Agostinho Neto ».

« En Angola, tout le monde est surveillé » poursuit l’opposant. « Les téléphones portables sont sur écoute ». Sa propre histoire révèle réellement la tradition politique de l’Angola, celle de la répression face à  toute expression contestataire pacifique. Ses parents « ont été déportés par le Portugal, dans un camp de concentrations contre les opposants politiques ». À presque 80 ans, sa mère, Justina Matondo et son père, David Mayassi, toujours vivants aujourd’hui, sont ensemble dans le Mouvement de Défense des Intérêts de l’Angola (MDIA) fondé par la diaspora angolaise en 1961 à Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo.  « Ils ont été arrêtés en 1966 après être retourné sur leurs terres d’origine pour demander l’indépendance de l’Angola puis séquestrés dans le camp de concentration de Sao Nicolau de 1966 à 1974 » se rappelle Emanwell Mayassi. Tous les jours son père « part à quatre heures du matin aux travaux forcés ». « Trois de ses frères sont nés dans ce camp ». Ils ne seront libérés qu’en 1974, après la révolution des Oeillets au Portugal.

À leur libération, en 1974, ils s’installent à Luanda, capitale de l’Angola. « Mon père avait une bonne situation à l’époque, il a recouvré son patrimoine et a alors une entreprise de commerce de gros de tissus africains, des pagnes, de la nourritures, possède plusieurs camions ». Mais en 1975 la guerre civile éclate. La famille d’Emanwell Mayassi préfère tout abandonner, fuir tout d’abord dans la province natale d’Uige dans le nord de l’Angola où son père possèdera un restaurant. Dans cette région, le Front National de Libération de l’Angola (FNLA duquel l’UNITA est issue) déclare l’indépendance de l’Angola le 11 novembre 1975. Les parents décident alors de retourner dans la famille de leurs grands-parents, à Kinshasa. Là-bas son père entreprend à nouveau du commerce de gros jusqu’en 1981.

Photo : João Victor Novelletto Bolan©

Photo : João Victor Novelletto Bolan©

« En cette période, les conflits restent dans les régions isolées en guérilla » retrace Emanwell Mayassi. « Mais il est possible de voyager entre Kinshasa et Luanda ». Sa mère le met au monde dans un hôpital du quartier Combatentes, les combattants en portugais, à Luanda. En 1981 sa  famille fait son retour dans la capitale angolaise. En 1982, ils quittent leur pied-à-terre chez un oncle pour gagner leur totale indépendance.

« Depuis lors, mon père n’a plus eu grand chose. Il n’a jamais pu regagner ses affaires, même s’il a souvent reconnu les bâtiments et les camions qu’il possédait. Dans nos mésaventures, ma famille a perdu les papiers permettant de prouver leurs propriétés », déplore Emanwell Mayassi. En effet, sa famille est en proie aux mêmes achoppements que la majeure partie de la population.  « Sans carte du parti au pouvoir, le MPLA, il n’était pas possible de gagner bien sa vie ». Il faut être partisan du MPLA pour obtenir les droits d’entreprendre, permis de construire, droits de propriété. « La société angolaise est une société très politisée, très divisée et inégalitaire » met en lumière Emanwell Mayassi, avant d’ajouter que « l’Angola a une très forte croissance de son PIB, avec un taux de croissance à deux chiffres ».  Pourtant la majorité de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. « La société est détenue par les agents de sécurité véritables milices, de plus les forces de police de manière souterraine préfèrent arrêter les opposants politiques en marge de manifestations, les battre et les relâcher à des kilomètres de leur arrestation ». Seule certaines personnalités, protégées par leur notoriété internationale, ont un véritable droit d’expression, telles que Makhita Nkondo.

Poussé par ses parents, Emanwell Mayassi part en exil et arrive en France en 1993, accompagné dans l’avion d’une connaissance de sa famille. À son arrivée, il s’adresse directement aux services de la Préfecture qui lui donnent le droit de rester en France et l’attribuent au service de l’Aide Sociale à l’Enfance. Il commence alors à vivre dans un foyer en Corrèze, où « une photographie avec M. Le Président Jacques Chirac immortalise son passage », se souvient-il. Il apprend rapidement le français à l’aide d’un dictionnaire pendant que ses amis regardent le football à la télévision. Il est alors « habité d’une rage d’apprendre ». Il dit avoir eu de la chance. En effet, son plaidoyer reprend alors l’histoire de bon nombre de ses compatriotes qui, dans les tumultes de l’Histoire, ont perdu leurs papiers d’identité nationale angolaise. De sorte qu’ils ne peuvent plus prouver leur nationalité angolaise, voyager en Angola, exercer leurs droits civiques angolais, notamment le vote. « Ainsi que la constitution angolaise en donne le droit aux expatriés », déplore Patriota Liberal.

En 2012, Emanwell Mayassi est devenu le représentant en France du parti politique d’opposition CASA-CE (Large Convergence pour le Salut de l’Angola – Coalition Electorale) dirigé par Abel Epalanga Chivukuvuku, militant de l’UNITA de 1974 à 2012. Ce dirigeant se permet toutes les critiques dans les conditions énoncées au deuxième paragraphe. Le parti CASA-CE s’est vu attribué un taux de « 6% des suffrages électoraux aux élections présidentielles de 2012 », mentionne Emanwell Mayassi. Plein d’espoir, il déclare « qu’il faut prendre le temps, le temps qu’il faut pour arriver à des changements par la voie démocratique. La guerre civile a déjà fait suffisamment de morts (plus de 500000), les accrochages de violences physiques existent encore entre le MPLA et l’UNITA » atteste-t-il.

Pendant ce temps-là au pays, Eduardo Dos Santos a rendu public sa maladie. Les prochaines élections doivent avoir lieu en 2017. Il vient d’affirmer, en mars 2016, qu’il quitte la vie politique en 2018…

Guillaume Montbobier

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