Mes cours d’ELCO (Enseignement langues et cultures d’origines) avaient lieu les mercredis après-midi, hors vacances scolaires, dans une salle de classe d’une école d’un quartier populaire de ma ville natale, Romorantin-Lanthenay (41). J’ai commencé à y aller, j’étais en CE1. Ces cours n’avaient aucun caractère obligatoire. C’était aux parents de décider s’ils souhaitaient y inscrire leurs enfants. Je me souviens que je rechignais beaucoup à m’y rendre. Comme n’importe quel enfant, à cet âge, on préfère plutôt faire du vélo avec ses copains ou aller se marrer à la piscine. Comme tous ces gamins d’aujourd’hui qui vont au piano ou au cours d’anglais les mercredi ou samedi et qui préféreraient, de loin, aller s’amuser avec leurs petits copains.
Moi, ma passion, c’était le patinage artistique. J’ai pratiqué ce sport pendant 10 ans. J’étais une fan inconditionnelle de Surya Bonali. À Romorantin-Lanthenay, petite ville d’à peine 20 000 habitants, on avait la chance d’avoir une patinoire. En surface plastique, mais tout de même. Même les « grandes » villes d’à côté, Blois et Vierzon, nous jalousaient ! Et quelques années plus tard, la glace a remplacé le synthétique et on se rêvait de devenir de grands champions. Du coup, à 8 ans, les mercredis après-midi, j’aurais préféré mille fois chausser mes patins plutôt que d’aller en classe. Les cours d’arabe c’était trois heures par semaine chaque mercredi.
Là-bas, j’y ai fait la connaissance d’autres élèves comme moi. Des élèves d’origine algérienne, tunisienne, marocaine dont les parents voulaient qu’ils gardent un lien affectif et intellectuel avec leur pays d’origine. Pour mes parents, pour mon père surtout, c’était quelque chose de très important. Il voulait que l’on soit très bon à l’école publique, que l’on ait les meilleures notes pour faire les longues études qu’il n’a pas pu faire, mais c’était tout aussi important que nous connaissions la langue arabe qu’il maîtrisait lui-même très bien. Les élèves de ces cours venaient des quatre coins de la ville, des villages avoisinants aussi. Nous venions tous d’écoles diverses.
Dans les cours, on commençait par apprendre l’alphabet arabe : alif, ba ta (a, b, c…). Comme n’importe quelle autre langue. Dans ces cours, nous n’y apprenions pas du tout l’arabe dialectal, que certains parlaient, à différents degrés, à la maison, ni le berbère pour ceux qui le parlaient aussi chez eux, mais bien l’arabe littéraire que la très grande majorité découvrait pour la première fois. D’ailleurs beaucoup des parents non plus ne connaissaient pas l’arabe littéraire, n’ayant parfois pas été à l’école dans leur pays d’origine, ou pas suffisamment pour maîtriser l’arabe littéraire. Je me souviens de camarades qui me disaient qu’ils n’arrivaient pas à réviser avec leurs parents à la maison, car ils ne lisaient pas l’arabe. L’apprentissage c’était celui de l’arabe littéraire, pas du dialecte marocain, ni du dialecte tunisien ni du dialecte algérien alors qu’il s’agissait d’enseignements de langues et de cultures d’origine.
Difficile de proposer un enseignement pour chacune des cultures et pays d’origine avec un seul enseignant. Pour les accusations de communautarisme, il faudra donc m’expliquer… Comme n’importe quelle autre langue, nous commencions l’apprentissage par des cours de conjugaison basiques : le présent, le passé, l’impératif. Du vocabulaire aussi : table, chaise, tableau, livre, maman, papa, frères, sœurs, pour les débuts. Les phrases de présentation : je m’appelle… Je suis…. J’ai tel âge… Puis, des formules plus élaborées. Nous avions classe dans une salle qui servait aussi pour les élèves d’origine turque. Je me souviens que dans une des bibliothèques, étaient disposés plusieurs livres en langue turque. Cela m’intriguait beaucoup. J’allais ouvrir les livres parfois et je me rappelle du jour où j’ai découvert que la langue turque s’écrivait en lettres latines. Ça a été une grande surprise pour la gamine que j’étais et qui croyait que les Turcs écrivaient toujours avec l’alphabet arabe !
Peut-être s’agissait-il d’un signe avant-coureur de mon apprentissage, une dizaine d’années plus tard, du turc en Turquie lors d’un échange académique avec Sciences Po et à l’Inalco à Paris, ensuite. Ah la la, ces enseignements qui vous poussent à l’ouverture d’esprit… L’enseignant était marocain, envoyé par le Maroc dans le cadre de la convention passée avec la France. Il s’appelait Lahcen. Il enseignait l’arabe à des élèves dans deux autres villes du département, Blois et Vendôme. Dans ces cours, il n’y avait strictement aucun enseignement religieux. On apprenait seulement à connaître et à écrire les formules de politesse pour les fêtes comme celle célébrant la fin du Ramadan ou la fête de l’Aid el Kebir. Un peu comme les chants de Noël que l’on apprend à l’école publique.
En classe, l’enseignant essayait de donner ses consignes en arabe, mais certains avaient du mal à suivre alors il s’exprimait en français. Il parlait d’ailleurs un très bon français. J’ai poursuivi ces cours jusqu’en lycée. Il y avait une chose qui était problématique pour moi : il n’y avait qu’un seul professeur pour tous les niveaux, réunis dans une seule et même classe. Tous les ans, nous étions donc contraints de revoir quasiment les mêmes choses pour ne pas pénaliser les nouveaux entrants. L’enseignant avait bien décidé de créer deux groupes distincts avec chacun 2 heures de cours, mais cela était insuffisant pour des élèves dont les âges allaient de 8 à 17 ans. Ce système nous a empêché de progresser et de faire que cet apprentissage soit une réelle valeur ajoutée dans notre parcours, comme pourrait l’être l’apprentissage du chinois, de l’allemand, du portugais, de l’espagnol… Ces cours, le suivi attentif de mon père, ma volonté de maîtriser cette belle langue m’ont donné l’envie d’aller plus loin.
À Sciences Po Grenoble où j’ai étudié, je me suis spécialisée dans l’étude du Moyen-Orient et de la Turquie. J’ai pris des cours d’arabe, j’ai effectué un stage au service de presse de l’ambassade de France à Damas où j’ai appris la langue arabe des médias. Puis, j’ai étudié à l’Inalco en licence d’arabe littéraire et en turc. J’ai réalisé ma troisième année d’arabe au Caire en Égypte où j’ai considérablement amélioré mon niveau de maîtrise de la langue arabe. Aujourd’hui, je parle, lis et écris l’arabe littéraire. Aujourd’hui, je suis journaliste, diplômée de Sciences Po Grenoble et de l’École Supérieure de Journalisme de Lille.
Quel dommage de voir certains vilipender l’apprentissage de l’arabe dès la primaire et y voir un vecteur de communautarisme alors qu’il a été, pour moi, au contraire, l’élément déclencheur d’une curiosité et d’une ouverture d’esprit. Le système mériterait plutôt qu’on s’attache à trouver des améliorations plutôt que faire de cet enseignement un instrument politique identitaire et, n’ayons pas peur des mots, xénophobe.
Nassira El Moaddem

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