Depuis le 30 mai dernier, les salariés chargés du traitement des déchets de la ville de Paris sont en grève. Guillaume s’est rendu sur le site de l’usine d’incinération de Paris XIIIème/Ivry-sur-Seine. Reportage.

Ce jeudi matin, nous sommes le 9 juin 2016, il est 10h40 et sur le site de l’usine d’incinération d’Ivry-Paris XIII, les salariés chargés du traitement des déchets sont en grève. Le blocage, effectif depuis le lundi 30 mai, reconduit au mardi 14 juin, est motivé par le retrait de la loi El Khomri et l’abrogation de l’article 49-3 de la Constitution. Soutenus dans leur lutte par le blocage de l’entrepôt, les conducteurs et les mécaniciens des bennes à ordures sont venus se joindre à eux. Résultat : aucun camion benne ne sort. Les salariés des deux entreprises sont en grève à hauteur de 90%.

« Je le fais pour mes enfants » explique Veronique Arfi, chef d’équipe, mère de trois enfants, habitante de Bondy. Jean-Pierre, récupérateur, l’assure de suite : « Ils retirent la loi, dans la minute qui suit on est reparti ». Le retrait de la « Loi El connerie » comme l’étiquette ce gréviste est la condition sine qua non. On notera que tous les grévistes sont syndiqués à la CGT. La gestion de l’incinérateur a été déléguée au Syndicat Intercommunal de Traitement des Ordures Ménagères (Syctom). Devant le portail de son entrée, les chaises où les grévistes s’assoient sont en ligne. Les grévistes de l’incinérateur regardent plus ou moins le feu doux alimenté par l’amoncellement d’ordures déposées entre le portail et la route, prêtes à alimenter le foyer pour encore plusieurs jours. Les grévistes font simplement attention de dégager le passage des camions de l’usine de cimenterie voisine. Devant le site des garages des bennes, le symbolisme syndicaliste gréviste est assuré par les drapeaux de la CGT, et un grillage bloquant l’entrée de la circulation au deux tiers.

Les conditions de travail dans l’usine d’incinération pour cette mission de salubrité et d’hygiène publiques sont difficiles. « L’été, la chaleur, ou en hiver, qu’il pleuve, neige ou qu’il vente, on est dehors » décrit Jean-Pierre, un homme de cinquante ans avec lunettes sur le nez. Son travail consiste à récupérer les déchets aux pieds des immeubles. « C’est dangereux pour la santé » continue-t-il. Son collègue, Jean-François, est aussi sur le piquet de grève. Dix-huit ans à la ville, atelier numéro 2 du IVème arrondissement de Paris, récupérateur également, il porte aussi des lunettes. L’homme au crâne poli dépeint : « Ça fait mal au dos , il y a de plus en plus de vrac ». Leurs collègues de l’incinération ne sont pas mieux lotis. Jean-Pierre évoque à son tour leur quotidien : « Les camions sont vidés par terre, après une tractopelle les amène à l’incinérateur, une grue les met dans le four. Il y a toujours des rejets, même s’il y a de super filtres ».

Ils disent l’un comme l’autre avoir choisi ce métier « pour la sécurité de l’emploi ». Jean-Pierre était pâtissier avant, il se rappelle encore « des horaires impensables et le salaire de misère ». Il préfère l’emploi de récupérateur pour la vie de famille, pour le salaire, qu’il estime « meilleur ». « On a un statut spécifique qui prend en compte la souillure et la pénibilité de l’emploi », met-il en avant. Jean-François a lui un CAP BEP restauration en poche. Bien que Jean-Pierre s’inquiète : « Si on les écoute, on n’arrivera jamais à la retraite parce qu’on sera clamsé avant ».

Pour ces deux mouvements, aucune caisse de grève n’a été mise en place. Richard, la cinquantaine et chauffeur de camion benne ne s’atermoie pas. « De toute manière, on n’a jamais assez d’argent. Avec cette grève, à la fin du mois, on va y laisser des plumes ». Dominique, chauffeur, donne de son côté de l’espoir : « Il y a plein de communes qui se mettent en grève ».  « Dont Marseille » ajoute Jean-François. En pleine Coupe d’Europe de football, les déchets s’amoncellent dans les rues. « Le mouvement social contestataire et revendicatif est quelque peu amoindri par le travail concurrentiel des entreprises privées qui ramassent les déchets à la place du service public » explique Stéphane, mécanicien, qui s’est joint au cercle des personnes réunies sur le site et qui ont pris la parole. « Ce matin tôt, plusieurs centaines de travailleurs ont bloqué le site du marché de Rungis » se réjouit Alex.  Les revendications et mobilisations sont fruit de l’esprit d’intérêt de solidarité. Ils en sont conscients. Ainsi quand Jean-Pierre accuse « on commence par le privé, après ils essaieront dans le public ». Lorsqu’il évoque l’attaque contre les droits des travailleurs, des syndicats, que constitue l’adoption de la loi El Khomri. « on se bat pour le privé » le certifie Jean-Pierre. Pierre, un autre conducteur d’un peu plus de 50 ans, les cheveux blancs dressés à la brosse, courts, dénonce : « Depuis que je travaille c’est la première fois qu’on s’attaque au code du travail ».

L’ambiance est bon enfant sur les piquets de grève devant les deux sites bloquant la gestion des déchets de Paris et villes avoisinantes. Alex, étudiant en première année de licence de lettres à l’université, veut devenir professeur de Français. Il représente Nuit Debout au site de l’incinérateur. Venu gouter ladite ambiance, il a tellement apprécié qu’il est resté. Son projet est de devenir « bientôt fonctionnaire de la ville [pour l’usine d’incinération] pour travailler parallèlement à [ses] études ». Sa situation est pour le moins difficile : il est SDF. Il rentre dans l’usine, dont l’entrée reste fermée aux visiteurs et revient pour présenter Véronique Arfi. Cette dernière précise qu’elle est « la seule femme présente jour et nuit sur  le site en grève ». Quelques femmes viennent le jour. Reprend son parcours, elle explique d’abord avoir été « administratrice réseau », c’est-à-dire qu’elle gérait des plateformes téléphoniques. Après la naissance de son premier enfant son chef lui demande de refaire une formation, ce qu’elle n’a « pas trop voulu ». Après la naissance de son troisième enfant, elle s’est occupée de sa famille. Dilan, neuf ans, Kevin sept ans, Sarah, 5 ans sont scolarisés à l’école privée de l’Assomption, à Bondy. Elle éclaire sa nouvelle fonction dans le traitement des ordures : « Il n’y a pas de sous métiers ». Son cheminement professionnel a poursuivi simplement sa route : une amie, travaillant sur le site, lui parle « du concours de chef d’équipe », qu’elle réussit. Mais elle n’hésite pas à aller  sur le terrain, à monter derrière la benne. Depuis une semaine de mobilisation, l’organisation de sa vie a changé. Présente nuit et jour, elle met ses enfants au lit à 21h le soir puis elle repart jusqu’à 6h30 le matin, heure à laquelle elle va les réveiller. Le samedi 4 juin, elle les avait d’ailleurs amenés sur le site, « pour leur faire voir pourquoi maman fait grève ». Son deuxième fils, Kevin, est déjà un vrai  « syndicaliste ». Aux enfants de son âge, il fait du prosélytisme : « Ma maman, elle fait ça aujourd’hui pour notre avenir de mon frère, de ma sœur, de moi-même ». Ce qui n’a pas manqué d’émouvoir sa mère. Même si c’est un peu compliqué, qu »il la voient moins, « ils ont le téléphone ». Elle le tient d’ailleurs toujours à la main, jouant avec les clés de sa voiture, tandis que des lunettes de soleil la protège. « Mon homme a les épaules très larges, me sachant en grève, il prépare à manger », confie-t-elle, précisant qu’elle le voit « un peu tous les jours ».  Mais, « sûre de ne pas se battre pour rien » elle maintiendra qu’elle « trouve ça logique de défendre l’avenir de [ses] enfants ».

Nombreux sont ceux qui pensent comme elle : mardi 14 juin 2016, un nouveau rassemblement national de convergence des luttes mobilisera la France à l’appel de l’intersyndical, des associations affinitaires, Nuit Debout contre la Loi Travail et son retrait.

Guillaume Montbobier

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