C’est un véritable match de volley-ball de rue qui est en train de s’organiser. Un ballon en plastique est envoyé d’un coin à l’autre de la petite place, avec des acclamations bruyantes à chacune des nouvelles frappes vers le ciel. A quelques heures du match entre les deux nations, le Vieux Port voit cohabiter, dans la joie, quelques petites centaines de supporters français et albanais.
Cela peut avoir l’air anodin dit comme ça mais, à Marseille, chacun a su apprécier ces scènes à leur juste valeur. Ce mercredi, la cité phocéenne se relevait à peine du traumatisme causé par le déchaînement de violence du samedi précédent. Les rixes entre hooligans anglais et russes avaient fait un mort, des blessés et fait des dégâts matériels majeurs dans le centre-ville, sans compter l’image désastreuse de la ville que cela a offert à l’Europe.
« C’était très dur, franchement, confie Fanny, une habitante du centre-ville âgée d’une trentaine d’années. Tout le monde a eu peur, personne n’a compris… On ne s’y attendait tellement pas. Après cela, on s’est demandé si ça valait vraiment le coup d’accueillir l’Euro. » Chacun a donc attendu ce deuxième match prévu à Marseille – le plus important, celui des Bleus – dans la crainte d’éventuels nouveaux débordements.
Marseillaises et volley-ball
A commencer par les autorités. Pointées du doigt après le fiasco anglo-russe, les forces de l’ordre sont omniprésentes dans la ville. Quand l’attroupement commence sur le Vieux Port, on sent une petite montée de tension chez les différents policiers, CRS et autres. Mais l’ambiance de fête prend vite le dessus. A intervalles réguliers, la Marseillaise est entonnée par les centaines de maillots bleus que compte le parvis.
Venus en nombre (« mais ça n’a rien à voir avec samedi », confie Rachid, taxi et observateur assidu de tout ce petit monde), les Albanais occupent aussi les terrasses de l’avenue. Souvent venus en famille, ils s’amusent, pour beaucoup, de la partie de volley improvisée qui se joue devant leurs yeux. Laquelle connaît un premier temps mort imprévu : un jeune Français, probablement désireux de faire l’étalage de sa force, a frappé tellement fort qu’il a… perché le ballon à l’étage d’un immeuble voisin.
Magie du sport, Français et Albanais s’unissent pour huer, avec le sourire, le gaffeur qui ne sait plus trop où se mettre. Et puis, comme dans une publicité, une jeune femme se présente à un balcon voisin, tout sourire, un nouveau ballon entre les mains. Acclamations du public. La demoiselle s’en amuse, fait un peu durer le suspense. « Le ballon ! Le ballon ! » : la foule lui réclame, elle s’offre quelques pas de danse au rythme de ces cris. Puis finit par lâcher le Graal en l’air. Effusion de joie dans la foule. Et deuxième set en marche.
Quelques mètres plus loin, France Info a installé son studio pour un 17/20 enregistré en direct du Vieux Port. René Maleville, emblématique supporter de l’OM, actif sur Twitter malgré ses 70 ans, explique, plein de gouaille, au micro de la radio publique : « L’OM, ça restera toujours plus important que l’équipe de France pour nous… Mais on soutiendra les Bleus ce soir, bien sûr ! » A la fin de son intervention, les jeunes lui accordent une ovation bruyante et font la queue pour prendre un selfie avec lui.
Au milieu de cette agitation, les coups de klaxon et la musique se font entendre, le chassé-croisé du métro un soir de semaine survit à la parenthèse enchantée de l’Euro et nombreux sont les Marseillais à s’arrêter quelques instants sur la place. « C’est magnifique, ça vit, ça met l’ambiance, s’enthousiasme Najma, une étudiante. J’aime bien cette atmosphère. » A quelques pas, des jeunes Marseillais sortent leur téléphone pour immortaliser (eux disent « snapper », c’est bien aussi) les chants des supporters français et albanais.
Même les policiers semblent s’être fondus dans le moule de cette ambiance bon enfant. L’un d’entre eux baisse la vitre, fait parler son accent et sourire : « Soyez prudents, hein ! Allez, amusez-vous bien, bon match ! ». Nouvelles acclamations dans la foule, qui n’a décidément besoin de pas grand-chose pour s’enflammer.
Allan et Mounir, eux, n’iront pas au stade
Deux heures plus tard, aux abords du stade Vélodrome, l’ambiance n’a pas beaucoup changé. Une masse de supporters, souvent venus de loin, se dirige vers le stade. Mais il y a là comme une dichotomie qui s’installe. Le long de l’avenue du Prado, il n’y a pas que la foule joyeuse des heureux détenteurs de billets. Il y a l’autre, celle qui redescend l’avenue, pour vivre le match un peu loin : à la fanzone, installée sur la plage du Prado, dans des cafés, bars, kebabs…
A l’entrée du stade, où le public attend en meute les contrôles de sécurité, des jeunes Marseillais sont là, sourire aux lèvres, vêtus de ces survêtement de clubs pros qui font ravage chez les ados. « On est là, on kiffe un peu l’ambiance, quoi, explique Mounir, 16 ans. Nous, on n’a pas de place pour le match. On va le regarder entre potes, tranquille. » Un peu plus loin, Allan* a bien quelques tickets en main. Mais il ne posera le pied dans les gradins du Vélodrome. « Je les achète au prix le plus bas possible, en négociant, raconte-t-il un peu gêné. Puis je les revends pour me faire un peu d’argent. Je ne m’en suis gardé aucun pour moi, je te jure ! »
Une fois ses billets revendus (50, 60 ou 70 euros), lui ira, comme les autres, regarder le match sur écran. Avec cette sensation paradoxale d’avoir le plus gros événement du football européen se passer là, chez eux, dans ces rues et sur ces places où ils ont tant l’habitude de galérer, sans pouvoir le vivre pleinement. Allan, Mounir et les autres Marseillais aiment le foot, pourtant. Mais ils n’étaient ni du match de volley du Vieux Port, ni des « Ola » du Vélodrome. A vrai dire, ils n’y étaient pas franchement invités.
Ilyes Ramdani

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