À Aubervilliers, le théâtre de la Commune a ouvert ses portes à l’Euro 2016, diffusant tous les matches de la compétition à partir des quarts de finale. Une initiative séduisante qui a conquis, jeudi pour la demi-finale, environ trois cents personnes. Loin de l’image de banlieues qui bouderaient les Bleus, les jeunes d’Aubervilliers présents ce soir-là ont affiché un soutien quasi-unanime à l’équipe de France. Reportage. 

Où étaient Ayoub, Mamadou, Massiré et leurs copains jeudi, soir de demi-finale d’Euro ? Réponse :  au théâtre. Pour comprendre cette sortie plutôt inhabituelle pour ces adolescents d’Aubervilliers, il faut pénétrer l’enceinte du Théâtre de la Commune. Dans la grande salle de ce centre national dramatique réputé bien au-delà des frontières de la ville, ils sont un peu plus de trois cents à avoir pris place. Sous leurs yeux, il n’y a ni drame shakespearien ni comédie en trois actes mais… La retransmission sur grand écran du match du soir entre la France et l’Allemagne.

Et l’ambiance n’a rien à voir avec l’atmosphère feutrée dont les lieux ont l’habitude. On y crie, on y chante, on y acclame les uns et hue les autres. C’est un stade de football en intérieur. Lorsque l’équipe de France obtient deux situations dangereuses devant le but allemand, le public applaudit et se chauffe comme s’il était à Marseille, tout près des joueurs, et qu’il fallait leur clameur pour leur permettre de se transcender. « Allez Griezmann, c’est pour toi là ! », crie un jeune d’une vingtaine d’années, présent avec ses amis à l’avant-dernier rang.

Drapeau et klaxons aux couleurs de la France

L’idée est venue des responsables du théâtre en accord avec la municipalité, dont Fethi Chouder, le maire-adjoint à la jeunesse. « On voulait trouver un moyen d’être associé à cet Euro 2016, explique Valérie Perriot-Morlac, la directrice des relations avec le public. Alors est venue l’idée d’ouvrir notre théâtre à ce public que l’on voit toute l’année autour de notre théâtre. Qu’ils comprennent que ce lieu leur appartient aussi ».

Une intention louable et un pari qui était loin d’être gagné, tant les jeunes peinent à s’approprier habituellement ce haut-lieu de la culture locale. Wafa Aït Amer, salariée du théâtre et « Albertivillarienne pure et dure » comme elle se définit elle-même, le reconnaît sans ambages : « Les jeunes nous le disent : pour beaucoup d’entre eux, c’est la première fois qu’ils entrent au théâtre de la Commune. À ce niveau-là, cette opération est une réussite ».

Reste une énigme, que nous n’avions pas encore résolue en entrant dans l’enceinte : Aubervilliers soutient-elle cette équipe de France ? Depuis le début de la compétition, flottait comme un désamour entre cette sélection et les quartiers populaires. La mise à l’écart, pour des raisons différentes, d’Hatem Ben Arfa et Karim Benzema, avait souvent été exposée comme le coup de grâce porté par Didier Deschamps à l’amour des banlieusards.

« Nous, on a vécu ça en 1998, on veut que les jeunes le vivent maintenant »

Pourtant, il n’y a rien de tout ça, ou si peu, ce soir-là à Aubervilliers. La foule soutient la France, s’extasie quand Griezmann ouvre le score, se lève quand Lloris sort les parades des grands soirs et explose littéralement quand le même Griezmann s’offre un doublé et scelle la victoire des Bleus. Guven, un jeune de la ville présent en tant que technicien vidéo de la municipalité, a même sorti le drapeau et le klaxon aux couleurs de la France, qu’il déploie et fait entendre à la moindre occasion.

Ousman, animateur à l’OMJA (l’Office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers), est venu avec plusieurs jeunes du quartier du Pont-Blanc. « Et le reste est à la fan-zone du Champ de Mars ! », glisse-t-il d’emblée. Lui a sorti le maillot de la France pour l’occasion. « À leur âge, on a vécu le Mondial 98 comme un grand moment, et c’est encore gravé en nous,explique-t-il. On veut leur offrir la même chose avec cet Euro, qu’ils ne passent pas à côté ». À le voir bondir et hurler au coup de sifflet final, on devine que cet amour pour les Bleus est loin d’être feint.

Mais quid des jeunes qui l’accompagnent ? Deux d’entre eux, Ayoub et Abbas, ont des t-shirts à l’effigie des Bleus. Le premier raconte : « Bien sûr que je supporte la France ! Je suis Français, et tout ce qui m’intéresse, c’est de savoir s’ils gagnent ou pas. Je les ai soutenus dès le premier jour donc je suis content qu’ils soient en finale aujourd’hui ! ».

Une communion éphémère mais salutaire

Avec eux, pourtant, il y a Massiré, qui s’affiche ostensiblement, non sans une bonne dose de taquinerie, pour l’équipe d’Allemagne. « Dans nos potes, il y en a beaucoup qui ne sont pas vraiment pour la France » reconnaît Ayoub, par ailleurs footballeur en herbe au club d’Aubervilliers, qui évolue en championnat national des moins de 17 ans. Ousman, l’animateur, tente malgré tout d’évoquer le reste de la bande : « Chérif, Adib et tout, ils les soutiennent quand même, eux… ». Les jeunes font la moue de ceux qui ne sont pas convaincus.

Mamadou explique : « On entend tout le temps que c’est une vieille équipe, qu’ils n’ont pas pris Benzema et Ben Arfa, etc… Mais ça reste notre équipe. Moi, tout ce que je veux, c’est qu’ils gagnent. D’ailleurs, à partir d’aujourd’hui, on va en voir beaucoup qui vont commencer à les soutenir ! (rires) »

Pendant notre discussion, le ballet des voitures, des klaxons, des drapeaux et des cris en tout genre s’intensifie derrière nous, dans l’avenue qui se dirige vers le centre-ville d’Aubervilliers. Et, aux abords du théâtre, se mêlent ceux qui s’étaient à peine regardés au début de la projection : des pères et mères de famille, des enfants, des groupes de jeunes des quartiers venus seuls, des adultes… Une partie de foot improvisée démarre même sur le parvis.

Comme si les « On est en finale » clamés avaient créé, en un peu moins de deux heures, des liens au sein même de la population albertivillarienne. Pour beaucoup, le football ne leur sera d’aucune aidé quand il s’agira, dès le lendemain matin, de revenir à leurs tracas d’adolescents, dans une ville au contexte socio-économique morose. Mais il aura au moins servi à ça… Et c’est loin d’être négligeable.

Ilyes Ramdani

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