Le Bondy Blog : Aujourd’hui, vous cosignez une tribune dans Libération où vous dénoncez le manque de diversité en politique et en particulier au Front de gauche. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Madjid Messaoudene : l’objectif de cette tribune est de prouver qu’il y a un « Nous » différent d’un « Eux » qui dirige. Ce « Nous » est multiculturel et ressemble à la France d’aujourd’hui. Même si nous savons que nous n’allons pas nous faire que des amis, nous pensons qu’il est salutaire de le faire. C’est une déclaration d’amour au front de gauche qui s’essouffle. Nous avons fait cette tribune car il est par exemple intolérable qu’un trio de personnes blanches à savoir Pierre Laurent, Clémentine Autain et Eric Coquerel représentent l’Île de France.
Nous centrons notre propos sur le Front de gauche car nous en sommes sympathisants. Ce que font les autres partis nous choque moins. Selon moi, le Front de gauche est censé représenter au mieux les gens de banlieue. Je ne peux parler que de ce que je connais et de ce qui m’atteint. Il est de notre responsabilité, en tant que militants, de dénoncer ce manque de représentativité. C’est une question de sincérité.
Pourquoi avoir choisi de vous exprimer lors des élections régionales ?
Le taux d’abstention lors des régionales risque d’être très élevé, ce n’est donc pas pour souligner l’importance de ces élections mais simplement pour être entendu. Nous n’avons jamais eu de réponses hors périodes électorales alors nous tentons maintenant pour ne pas pisser dans un violon.
Dans cette tribune, vous écrivez à propos de cette « chasse gardée d’hommes blancs, plutôt âgés, appartenant aux classes moyennes-supérieures ». N’avez vous l’impression de les stigmatiser comme certains stigmatisent ces « jeunes de banlieues » ?
Non, tout ce que l’on dit c’est qu’il n’est pas normal qu’un parti participant à la marche ne présente aucune tête de liste extra-européenne. C’est inconcevable ! Nous ne dénonçons pas le fait qu’ils soient blancs mais qu’ils soient tous blancs ! Comme si il n’y avait pas d’Arabes ou de Noirs en France.
Vous utilisez le terme « race blanche », renvoyant aux propos de Nadine Morano. Quelle est votre intention ?
C’est volontairement provocateur. Nous savons que la France n’est pas de « race blanche », c’est pour cela que mettre que des blancs est une faute politique. C’est une déconnexion totale et insupportable. Demain, je peux vous présenter des personnes noires et arabes capables d’occuper de grands postes. Il n’y a pas besoin de faire de grandes écoles pour savoir lire et écrire.
Comment expliquez-vous justement que les hommes politiques préfèrent mettre des « blancs » dans les hauts rangs du pouvoir ?
Je ne sais pas, peut-être les pensent-ils plus contrôlables. J’ai un camarade dans le 92 qui aurait pu être tête de liste. C’est finalement l’avocate de Jean Luc Mélenchon, Raquel Garrido qui a été choisie alors qu’elle n’est même pas de la région. Elle a été parachutée. Personnellement, ça ne me viendrait jamais à l’idée de me présenter ailleurs de là où j’habite. La loi le permet mais c’est intolérable pour un parti qui souhaite faire de la politique autrement. Même si ces élus parachutés ne concernent que le 92 et le 77, deux cas sont deux de trop.
Pensez-vous que le manque de diversité est le principal problème de la politique française ? Qu’apporterait-elle réellement ?
Le manque de diversité en politique est un problème important. Pour redonner envie aux gens de voter, il faut que leurs dirigeants leur ressemblent. Tant qu’ils ne seront pas représentés, il n’y aura pas d’adhésion populaire. C’est sur le programme que l’on jugera ensuite.
Je ne demande pas qu’on mette un noir pour mettre un noir. Je préfère un blanc anti austérité, qu’un noir libéral mais faisons plus confiance aux gens issus du métissage. Saint-Denis, c’est 100 nationalités. Ce n’est pas que des hommes blancs de plus de 50 ans.
Déjà en 2011, vous écriviez dans une tribune publiée dans le journal le Monde qu’en Seine-Saint-Denis, « 90% des élus de la diversité sont cantonnés aux délégations jeunesse et sports ». Vous songiez également à établir des listes alternatives pour les sénatoriales, qu’en est-il aujourd’hui ?
Je pense que le constat, même si je n’ai pas été très attentif aux municipales, serait sensiblement le même si l’on faisait un recensement  Ce ne sont toujours pas des postes à l’emploi, au logement ou aux finances que l’on attribue à ces élus. Personnellement, je ne me suis pas présenté aux régionales car je savais que c’était perdu d’avance.
En 2011, nous souhaitions créer des listes alternatives afin de mettre un coup de pied dans la fourmilière et je ne m’interdis pas de le faire aux prochaines élections sénatoriales si nous n’avons pas de garantie sur la représentativité des candidats.
Si vous vous attardez sur le Front de gauche, vous n’hésitez tout de même pas à écrire que « la politique du PS (est) dans la lignée de celle de la droite raciste ». N’est-ce pas un peu fort ?
Aujourd’hui, ce que je vois avec le parti socialiste, c’est Manuel Valls et ses propos sur les Roms, ce sont les expulsions de sans-papiers. Où est la « fraternité » dans la politique gouvernementale actuelle ?
Quelles solutions proposez-vous ? Vous parlez de « mouvements alternatifs et autonomes », quels sont-ils ?
Ce sont des associations ! Dans nos villes, elles sont très actives et font le boulot. Les associations doivent rester à leur place mais il faut créer des ponts pour que ça ne reste pas cloisonné. En tant que conseiller municipal délégué, mon but est de donner le plus possible la parole aux habitants, on organise des débats sur des questions sociétales etc…
« 10 ans qu’ont eu lieu les révoltes des quartiers populaires » écrivez-vous en guise de rappel. Que pensez-vous de ces événements, dix ans après ?
Je pense que Zyed et Bouna sont morts pour rien. Peu de choses ont changé. Hier, on dénonçait un racisme d’état et aujourd’hui on met toujours plus d’argent pour l’éducation à Paris que pour celle à Saint-Denis. Ils ont peut être rénové mais c’est toujours la même merde derrière la dernière couche de peinture.
Propos recueillis par Oumar Diawara
Article initialement publié le 10/11/2015.

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