Les Bergers urbains parcourent les villes avec leurs moutons à la rencontre des citadins. L’idée de la coopérative : faire de l’animal un vecteur social. Les cinq bergers installés en Seine-Saint-Denis possèdent un troupeau de plus de 60 bêtes et proposent un service d’éco-pâturage aux municipalités. A Saint-Denis, la transhumance est aussi l’occasion de (re)découvrir les rues de la ville.

Il est 10h du matin. Heure de départ de la transhumance du côté de La Plaine Saint-Denis où le projet des Bergers Urbains a pris forme sur la parcelle 126, il y a de cela 5 ans. Cet évènement, organisé par la région Île-de-France à l’occasion des Journées du Patrimoine, est le moyen de se réapproprier, le long du sentier de grande randonnée 12, la richesse des paysages et l’histoire de la ville de Saint-Denis. Les animateurs sont en place. Ils nous annoncent que la balade, ponctuée d’étapes, sera commentée par des chargés de la valorisation du patrimoine.

Parmi les curieux venus participer à l’expérience, un petit garçon, perplexe, interroge son père : « Ils vont dire quoi au micro, papa ? » Réponse :« Ils vont nous expliquer des choses sur la ville. Et les moutons aussi vont nous expliquer des choses ». Le père a vu juste. C’est en quelque sorte le troupeau d’une trentaine de moutons qui va nous guider et nous permettre de découvrir la ville autrement, à travers ce que l’équipe de bergers appelle le « regard mouton ». En suivant ces bêtes qui se dirigent vers les endroits où elles peuvent se nourrir, elles nous rapprochent des espaces naturels souvent oubliés de nos grandes villes.

Se réapproprier l’histoire de la ville

Pauline, qui fait partie de la coopérative des Bergers Urbains, lance l’assaut : la marche peut commencer. Au niveau du Canal Saint-Denis, construit il y a 200 ans sous Napoléon Bonaparte, l’un des commentateurs de la balade nous rappelle combien Saint-Denis fut une ville importante à l’époque médiévale. La présence de son abbaye mais aussi celle de la foire du Lendit, qui attirait des marchands venus de toute l’Europe, en ont fait une référence. courtille okLa ville a également été un haut lieu de la révolution industrielle, dès le début du XIXème siècle, par l’arrivée de nombreuses entreprises et industries, dont les usines à gaz. La croissance conséquente et rapide qu’elle connait la transforme en grande ville ouvrière avec de nombreux logements sociaux à l’architecture très rudimentaire. Les offices HLM ont ensuite pris le relais des entreprises dans les années 1960 pour construire ce qui fait aujourd’hui partie du paysage contemporain de la ville. Un arrêt à la cité de La Courtille, un peu plus tard dans la journée, viendra illustrer ces propos.

Nous voilà à La Chaufferie. C’est ici que l’équipe des Bergers urbains s’est installée pendant un an, c’est ici que tout a démarré pour la coopérative, entre la cité du Franc-Moisin et la cité des 4000 à La Courneuve. Pauline, Valentin, Simone, Guillaume et Julie ne disposaient alors que de 8 moutons. Initialement paysagiste, architecte, développeur territorial en économie sociale et solidaire ou encore ostéopathe, tous sont urbains. Pauline est la seule parisienne du groupe : « Notre installation sur le site de l’usine nous a permis de profiter de la sécurité de ce lieu très surveillé. Les salariés, eux, étaient contents de nous voir et de retrouver les moutons tous les jours sur leur lieu de travail, ça égayait leur journée. » 

« Saint-Denis est un territoire de liberté »

Le passage du troupeau à Saint-Denis n’a pas non plus laissé indifférents les badauds lors de la balade. Adolescents en overboard et enfants en trottinette se sont volontiers arrêtés. Il y a les amusés tout sourire à la vue du troupeau. Il y a également les curieux qui s’interrogent, se demandent ce qu’il se passe puis finissent par prendre des photos avec les bêtes. Les enfants, émerveillés, impressionnés ou incommodés par l’odeur n’avaient pour la plupart qu’une idée en tête : caresser les moutons. Guillaume se souvient de la réaction des enfants des quartiers de la chaufferie au passage du troupeau: « Ils venaient jouer avec les bêtes ! » Le berger avait alors improvisé des ateliers jardinage avec les petits afin de canaliser leur enthousiasme face à la présence des moutons.

basilique okSi pour bon nombre de personnes, il s’agit d’une démarche insolite et d’autant plus surprenante à Saint-Denis, pour Pauline, cela reste finalement très naturel « vu l’ambiance du coin » : « Saint-Denis est un territoire de liberté. Le projet des Bergers Urbains aurait certainement eu beaucoup plus de mal à se développer ailleurs. »

Tisser des liens 

Outre son côté insolite, l’installation des Bergers urbains en Seine-Saint-Denis a permis à des publics de se découvrir, de se rencontrer. Le groupe qui suit la balade du jour est intergénérationnel et interculturel. Parmi les personnes inscrites, certaines n’avaient jamais mis les pieds dans le département du 93.

« L’objectif principal des Bergers urbains est de créer du lien social, ce dont nous manquons cruellement dans nos villes », raconte Pauline. Les ateliers laine que les bergers ont l’habitude d’organiser près du Canal Saint-Denis sont fédérateurs et nous renvoient à notre propre histoire. Nous avons tous un lien ou un souvenir avec le milieu rural, souvent à travers notre héritage familial. Ces ateliers sont l’occasion pour des femmes Kabyles, des Roumaines, ou encore des Maliennes de partager des moments privilégiés, d’échanger, de raconter leur rapport à la laine, les méthodes de traitement qu’elles connaissent…

maisonLa vente de laine et de viande de mouton se fait au travers de l’association Clinamen, fondée en 2012 et dont les 10 membres actifs se retrouvent actuellement sur le campus de l’Université Paris 13. La structure développe des pratiques paysannes en Seine-Saint-Denis. Ce travail bénévole aide les bergers à mener des projets indépendants mais ne leur assure pas suffisamment de revenus. C’est pour cette raison que la coopérative est née en 2014 et permet à ses 5 salariés d’alimenter l’association en diversifiant ses activités. Ils sont présents, par leur expertise, aux côtés des municipalités qui souhaitent ouvrir la voie à l’éco-pâturage, une agriculture urbaine, sans avoir tous les outils nécessaires pour le faire. Un projet avec la Toison dyonisienne, collectif d’artistes spécialisés dans la laine, est en cours avec pour idée de créer une ligne de vêtements dédiée aux bergers des villes. De quoi compléter le modèle économique de l’entreprise.

La balade aura donc permis d’entrevoir l’étendue du riche patrimoine de la ville, notamment à travers les visites du Musée d’Art et d’Histoire mais également de la Basilique. Elle aura surtout été l’occasion de découvrir des lieux insoupçonnés comme les jardins partagés du Fort de l’Est. Cette promenade s’est faite au rythme des moutons, bien loin de la frénésie francilienne qui ne nous laisse plus le temps d’apprécier ce qui nous entoure. Et si vous adoptiez à votre tour le « regard mouton » pour apprécier Saint-Denis comme vous ne l’avez jamais vue ?

Yasmine MRIDA

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