Les résidents du foyer Coallia de Boulogne-Billancourt sont en grève de loyers depuis fin juin à la suite de la fermeture de leur grande cuisine collective. Ces espaces disparaissent peu à peu des foyers. C’est pour s’opposer à ces changements qu’une mobilisation aura lieu ce jeudi après-midi devant la mairie de Boulogne. 

Ce jeudi, Bakary Cissokho espère une large mobilisation devant la mairie de Boulogne-Billancourt (92). « Des soutiens d’autres foyers Coallia doivent venir nous rejoindre », indique-t-il. Trois mois déjà que lui et les autres résidents du foyer de Boulogne, ne paient plus leur redevance au gestionnaire Coallia. La raison ? La fermeture de leur grande cuisine où depuis des décennies, des résidents, souvent des travailleurs ou retraités majoritairement d’origine subsaharienne et maghrébine, s’organisent pour que tous puissent se restaurer à bas prix. « Ils ne nous ont même pas prévenus », raconte Bakary Cissokho, employé de restauration et l’un des délégués des résidents de Boulogne. Le 24 mai, six cars de police sont venus accompagner les gestionnaires et les services d’hygiène pour fermer la cuisine collective. Ils ont jeté à la benne tout ce qu’il y a avait dans les frigos et congélateurs. Cela représentait une grande somme d’argent ». Depuis, quarante ans, cette cuisine proposait des plats traditionnels d’Afrique de l’Ouest, comme le mafé et le tieb. Un système informel de solidarité qui rapportait quelques deniers aux femmes qui cuisinaient pour les résidents parmi lesquels un grand nombre d’anciens ouvriers de l’usine Renault voisine.

« Nous vivons seuls, nous avons besoin d’espaces pour nous réunir »

Ce changement a été décidé dans le cadre de la réhabilitation des foyers de travailleurs migrants construits il y a plus d’un demi-siècle. Devant la vétusté grandissante des bâtiments des foyers Coallia, un plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM) a été décidé en 1997 entre l’État et l’Union d’économie sociale pour le logement (UESL). Ce plan initialement quinquennal est toujours en cours. Certains foyers sont démolis, d’autres réhabilités, des espaces sont fermés, d’autres sont parfois rajoutés mais les résidents ne sont pas toujours satisfaits. La fin des cuisines collectives posent problème pour un grand nombre de ces résidents. « Nous ne sommes pas contre les résidences sociales mais nous avons besoin d’espaces collectifs », explique Bakary Cissokho. Nous vivons seuls, nous avons besoin d’être réunis. Il y a des petites cuisines dans les étages mais la grande cuisine, c’est bien aussi pour les repas que nous organisons ensemble. Dans ces cuisines, nous nous réunissons aussi pour parler de nos pays d’origine, pour investir dans des écoles, des dispensaires, ou l‘accès à l’eau potable. C’est impossible à réaliser sans un espace où se retrouver ». De plus à Boulogne, les chambres sont majoritairement des espaces de 9 m² composés de 3 lits pour un loyer de 214 euros par mois chacun.

Nouveau système de restauration collective

Avec ce plan, les foyers deviennent résidences sociales avec des chambres équipées de kitchenettes amenées à accueillir un public précaire plus large. A Aulnay-sous-Bois, des résidents du foyer « Gros Saule » refusent de s’installer dans la nouvelle résidence. Comme à Boulogne, la cuisine est ici aussi au cœur du conflit. « Le gestionnaire a clairement dit qu’il n’y aura pas de cuisine collective , explique Jacqueline Geering, secrétaire du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), une association liée au DAL (l’association Droit au logement). Quelques résidents sont partis dans le nouveau bâtiment, mais les autres ne veulent pas déménager s’il n’y a pas de cuisine collective« . Fondé en 1996 pour soutenir les résidents, le COPAF regroupe aujourd’hui les délégués d’une centaine de foyers de travailleurs migrants en Ile-de-France. Geneviève Petauton, la présidente, qui milite depuis 1972 pour les droits des immigrés, déplore encore aujourd’hui les conditions de vie des résidents. « Il faut intégrer les foyers dans les villes. La première étape du plan de traitement, c’était surtout du replâtrage. La deuxième, c’était construire le plus de studettes possibles, avec le moins d’espace collectif possible ». Pourtant selon elle, l’espace collectif est vital pour les résidents. « Ils ont droit à la vie privée et à la vie collective. Leurs familles sont restées au pays. On ne peut pas vivre quarante ans seul dans une studette. Les gestionnaires ne voient plus que la rentabilité d’un établissement, une cuisine de 150 m², ça peut faire 10 studettes de 15 m² ». Dans d’autres foyers franciliens, quelques cuisines collectives ont été remplacées par un système de restauration collective géré par des associations. C’est le cas dans les foyers de Saint-Denis et Aubervilliers (93) où l’association Tafé Maffé, créée en 2005, organise en atelier d’insertion prépare et vend les repas aux résidents moyennant 3 euros.

corps« Nous ne sommes pas contre si les prix restent abordables »

Bakary Cissokho, délégué des résidents à Boulogne, préfèrerait qu’un dialogue soit instauré avec le gestionnaire pour la réouverture de la cuisine avec une gestion par les résidents. « Nous ne sommes pas contre si les prix restent abordables. Quand on gagne 1100 euros par mois, on ne peut pas se payer un repas cher midi et soir ». Avec l’ancien système, un repas coûtait deux euros. Il craint aussi que tous ne puissent pas y avoir accès. « Le restaurant collectif, s’il n’est ouvert que de 12h à 16h, celui qui rentre du travail à 17h ne pourra pas y manger ».  

Coallia, dont aucun collaborateur n’était disponible pour nous répondre, précise sur son site internet que la transformation des cuisines collectives en restaurants sociaux fait partie intégrante du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants. « Notre diagnostic montre la nécessité d’en fermer certaines et la possibilité d’en maintenir d’autres […], l’objectif étant de faire de certaines de véritables cuisines de restauration collective à caractère social respectant la réglementation applicable, d’une part aux établissements recevant du public et d’autre part à la restauration collective ».

« Nous ne pouvons pas laisser quelqu’un dormir dehors »

Geneviève Petauton désapprouve l’évolution de ce gestionnaire qui s’occupe, entre autres établissements à caractère social, de 42 foyers de travailleurs migrants, soit plus de 8 000 lits. Elle se bat aussi, par exemple, pour que les résidents obtiennent les mêmes droits que les locataires notamment celui de pouvoir héberger un proche, ce qui n’est pas toujours autorisé. « Le COPAF aide aussi les résidents menacés d’expulsion grâce à notre avocate. La situation peut être réglée par un échéancier lorsqu’il s’agit de redevances impayées. Mais lorsque le motif est l’hébergement d’une personne dans sa chambre, c’est l’expulsion ». « Oui nous hébergeons parfois des gens, un cousin, un frère, de la famille. Mais nous, nous ne pouvons pas laisser quelqu’un dormir dehors ! », s’insurge Bakary Cissokho.

A Creil, dans l’Oise, c’est une salle de prière dans une résidence Coallia qui a définitivement fermé. Les responsables de la résidence de la rue Louis Blanc ont, en avril 2015, annoncé qu’ils entameraient une démarche en justice. Les résidents de confession musulmane continuaient à occuper l’espace pour leurs prières malgré la décision de fermeture. Mais selon Chahinaize Azouza, tout est rentré dans l’ordre. « Nous n’avons pas eu besoin d’aller jusqu’au bout. Avec les résidents, il y a eu un dialogue. En accord avec eux, nous avons donc fait définitivement fermer la salle de prière. Désormais, nous nous apprêtons à ouvrir une salle d’animation pour les résidents. Il y aura du café, des journaux des animations avec sensibilisation aux problématiques de santé, de la de l’aide à l’insertion, des ordinateurs à disposition. Le but est que cette salle devienne un lieu de vieLa mosquée ne se trouve vraiment pas loin. C’est juste une question d’habitude. Nous sommes dans un état laïc, ce n’est pas dans nos valeurs à Coallia d’avoir une salle de prière ». Un an et demi plus tard, l’espace de vie en question censé remplacer la salle de prière n’a toujours pas ouvert, le recrutement des animateurs prenant du retard. A la résidence Coallia de Noyon, dans l’Oise également, la salle de prière a là aussi été fermée. 

Bakary Cissokho approche de la retraite. Après 36 ans en France, dont 36 dans le foyer de Boulogne, il approche aussi du retour au pays. Aujourd’hui, il craint la fermeture de la salle de prière, voire même la fermeture du foyer. « Les voisins nous ont dit que le foyer allait fermer d’ici deux ans, sinon ils n’auraient pas acheté ici ». Il ne se bat plus vraiment pour lui, mais pour les jeunes qui arrivent, seuls. Pour éviter qu’ils ne se retrouvent dans des résidences sociales sans aucun espace de vie commune.

Rouguyata SALL

Crédits photo : Rouguyata SALL

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