A l’occasion de la sortie du dernier numéro de « D’ailleurs et d’ici« , revue qui ambitionne de favoriser une juste expression des minorités, son directeur Marc Cheb Sun revient sur la nécessité de redonner du sens au débat sur l’identité nationale qui agite la société française.

Bondy Blog : Parlez-nous de votre revue « D’ailleurs et d’ici« . Qu’est-ce que c’est?

Marc Cheb Sun : Ce qui a motivé la publication de cette revue, c’est un constat : toutes les questions qui ont trait à la pluralité de la France, d’un point de vue social, ethnique ou religieux, sont en souffrance. Les débats sur l’identité nationale, commencés sous l’ère Sarkozy, ont induit, très fortement, l’idée que l’identité culturelle française était assiégée de toutes parts et fortement mise en cause par la présence des minorités et par leur contribution.

Bondy Blog : Le multiculturalisme est un échec disait Nicolas Sarkozy quand il était président…

Marc Cheb Sun : Dire que le multiculturalisme est un échecc’est déjà un constat négatif. Maintenant ce qu’on entend c’est « le multiculturalisme est un danger ». Ce discours est porté par une multitude de personnalités, comme Eric Zemmour ou Alain Finkielkraut, qui ont pris une place considérable dans le débat français. Devant leur forte présence dans les medias, notamment dans le service public qui leur a fait une place de roi, je me suis dit qu’il fallait redonner du sens et revenir à l’histoire. Ces populations qui font la richesse de la France ne sont pas rentrées par effraction dans notre pays. Elles sont là parce qu’elles sont la conséquence vivante d’une histoire coloniale d’abord, puis d’une histoire d’immigration. Au lieu d’être constamment sur la défensive, de toujours réagir aux propos qui insultent cette histoire, il était nécessaire d’être dans quelque chose de constructif, de créatif. « D’ailleurs et d’ici » c’était ma façon de dire qu’il y a bien autre chose à faire que de répondre aux propos d’un Zemmour ou d’un Finkielkraut. Il faut le faire, bien sûr mais, à côté, créons ! C’est très important : à chaque fois qu’il y a oppression, il y a une réponse créative.

Bondy Blog : Vous dites qu’on n’existe pas dans l’oppression, qu’on existe dans la création. Mais comment créer quand on nous empêche de le faire ?

Marc Cheb Sun : On crée quand même !  Car, en réalité, personne ne peut vous empêcher de créer. La création c’est une bataille. Ecrire un livre, réaliser un film c’est un acte violent. On ne se dit pas un matin « allez, tiens, formidable, je vais peindre une toile et puis voila c’est fait » ! C’est quelque chose qui prend aux tripes, c’est un combat. On n’a pas autorisé le Hip-Hop à se créer. Au départ c’est un mouvement de pauvres, d’opprimés qui a conquis le monde.

Bondy Blog : Ce troisième numéro est consacré à l’art. Il y a un évènement culturelle et artistique qui a beaucoup fait parler il y a quelques mois. Je parle de la dernière cérémonie des « Molières » en mai dernier. Vous vous en souvenez ?

Marc Cheb Sun : Triste spectacle !

Bondy Blog : Vous voulez parler des artistes qui ont manifesté pour plus de diversité en marge de la cérémonie ou de Touchi-Toucha ?

Marc Cheb Sun : Les deux. Touchi-Toucha, ce grand Noir qui ne dit pas un mot et n’a d’autres fonctions que de toucher du doigt les lauréats pour abréger leurs discours de remerciements, c’est le « bon temps » des colonies. L’impact colonial est là. Il rentre au plus profond des esprits. Il y a des personnes qui ne se rendent absolument pas compte de la reproduction de ces schémas coloniaux dans leur tête. Le monde de la culture en France est un monde très blanc, avec un fort entre-soi, où l’héritage colonial est très peu contesté. Il faut quand même s’interroger là-dessus. Touchi-Toucha aux Etats-Unis n’aurait pas été possible, pas sans forte contestation. Je pense qu’il leur faut un électrochoc salutaire, qu’ils se regardent dans un miroir et qu’on leur dise : « Regardez-vous. Vous êtes à la cérémonie des Molières et le seul Noir sur scène est une reproduction des pires schémas coloniaux ».

Bondy Blog : Le premier article de ce numéro de votre revue « D’ici et d’ailleurs » traite d’un atelier d’écriture de scénario que vous avez animé avec des jeunes victimes d’harcèlements policiers. Qu’avez-vous tiré de cette expérience ?

Marc Cheb Sun : Au départ, les jeunes voulaient faire un documentaire. Je trouvais que ce qu’ils avaient vécu raconte la France d’aujourd’hui. Je leur ai proposé d’écrire une histoire qui parle à tout le monde et donc de l’inventer. Pour les inspirer, nous avons regardé des films. J’en ai choisi un en particulier, Collision (Paul Haggis, 2005). Il y a une scène de ce film surtout qu’on a beaucoup regardé ensemble : celle d’un contrôle policier où deux flics blancs humilient un couple noir de la bonne société de Los Angeles. Je ne voulais pas qu’ils s’inspirent d’un film français. Tout d’abord, parce qu’à part La Haine, il y a très peu de choses qui on été faites sur le sujet et je souhaitais surtout qu’ils s’inspirent d’une autre réalité pour dépasser leur quotidien. J’ai aussi choisi ce film parce que c’était une femme qui se faisait contrôler et humilier. Et s’il est vrai qu’en France ce sont surtout les hommes qui se font contrôler, je n’aime pas qu’on prenne le vécu de la majorité pour en faire une règle. Toutes les souffrances comptent. Au final, cet atelier a accouché d’un scénario. Ils ont créé des personnages complexes, pas du tout manichéens, notamment dans le profil des policiers. L’histoire est du coup très bonne. Le réalisateur Adnane Tragha est prêt à en faire un court métrage. Il ne manque plus que les fonds.

Bondy Blog : Les contributeurs « D’ailleurs et d’ici » viennent d’horizons très différents. C’est voulu ?

Marc Cheb Sun : Ce qui m’intéresse c’est de créer des tas de mixités différentes. De générations, d’origines, de parcours de vie. L’uniformité ne m’intéresse pas.

Propos recueillis par Idir HOCINI

Le Bondy Blog publiera, dans les prochains jours, deux articles de la revue « D’ailleurs et d’ici », (R)évolution culturelle, écrits par deux Bondy Blogueurs Balla Fofana et Idir Hocini. En kiosques et librairies : www.differentnews.org . Pour découvrir le clip de sortie de la revue, cliquez ici

Crédit photo : Thé Birambeau/ »D’ailleurs et d’ici« 

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