Rencontre avec Aude Lancelin, ancienne directrice adjointe de la rédaction de l’Obs, licenciée en mai 2016 pour « raisons politiques » selon elle. Dans son ouvrage paru le 12 octobre, « Le monde libre », elle raconte sa descente aux enfers au sein de la rédaction jusqu’à son éviction, dénonce les renoncements de la gauche de gouvernement et critique la toute puissance d’industriels sur la presse qui tue l’information. 

C’est en mai 2016 qu’Aude Lancelin, alors directrice adjointe de la rédaction de l’Obs, est licenciée. Raisons politiques en raison de ses désaccords avec l’orientation éditoriale prise par l’hebdomadaire, dit la journaliste. Mesures de management en raison d’une réorganisation de la rédaction, se justifie la direction de l’Obs. La parole libre retrouvée, Aude Lancelin a décidé de raconter son éviction dans son ouvrage « Le monde libre » publié le 12 octobre aux éditions « Les liens qui libèrent ». Un livre extrêmement critique envers la gauche de gouvernement, « la gauche de droite » comme elle dit, ses renoncements, ses « pulsions inavouables » sur la question de l’immigration et de l’islam notamment et pointant également du doigt un système médiatique français à la dérive, pris au piège d’intérêts industriels aux antipodes de l’indépendance de la presse.

Extraits de l’interview avec Aude Lancelin : 

Sur la presse aux mains d’industriels et de financiers : 

« On est face à un nouveau type d’actionnariat qui arrive parachuté d’autres planètes, la téléphonie mobile par exemple et qui ne comprend rien au métier, qui n’a qu’une idée en tête, d’une part, une opération de respectabilisation et l’utilité politique des titres. Xavier Niel par exemple, Patrick Drahi, Vincent Bolloré… Quand on voit le massacre de Canal +, on regrette que ce type d’actionnaires puisse mettre les pieds dans les médias. On voit qu’ils s’ont prêts à saccager les audiences au nom d’une rationalité qui doit bien être autre, d’un interêt qui est bien autre. On est forcé de se poser des questions. C’est moins spectaculaire à l’Obs car ce n’est pas la télévision et que les gens n’ont pas les yeux braqués dessus mais c’est exactement la même chose. A partir du moment où un actionnaire décide d’opter pour la ligne gouvernementale, une ligne extrêmement étroite qui ne fédère pas du tout les lecteurs qui se posent les même questions que vous et moi, qui sont très divers, et qui appartiennent à toute les sensibilités de la gauche, on se dit quels intérêts ils ont à le faire. Cet intérêt doit être quelque part. Ces actionnaires n’ont pas intérêt à ce que les journaux marchent véritablement car cela donnerait aux journalistes de l’indépendance financière, de la fierté. Ils ont plutôt intérêt à ce que les journaux ne perdent pas trop d’argent, ne soient pas trop des trous financiers, c’est la raison pour laquelle ils les gèrent à l’économie et parfois ils font des plans sociaux, mais ils n’ont pas intérêt à ce que cela soit davantage que cela. Une presse qui se mettrait à contester frontalement les politiques publiques est une presse qui leur porterait tord et pas une presse qui les servirait. Or, ces gens-là et il faut s’enlever cela de la tête, on l’a entendu pendant des années y compris dans les milieux médiatiques et c’était très pénible, ne sont pas des mécènes, ne sont pas des philanthropes, n’investissent pas dans la presse pour la sauver ni pour sauver l’indépendance de l’opinion française par rapport aux investisseurs étrangers. Ils n’investissent pas pour ces raisons-là et il faut que les journalistes eux-mêmes ouvrent les yeux sur cette affaire-là ».

Sur ses positions concernant le fonctionnement de la presse et les combats à mener en interne : 
« J’ai toujours été dans la lutte au sein des rédactions, je pense que tout le monde peut témoigner, même mes ennemis et a fortiori ceux qui m’ont mise dehors. J’ai toujours essayé de faire avancer certaines idées, essayé d’offrir une opposition, essayé de fédérer des gens autour des idées plus ouvertes. Oui, en effet, je n’ai pas abandonné le combat, je ne me suis pas moi-même jetée au chômage comme certains l’auraient voulu. Quand on aime son métier, et moi j’ai vraiment aimé ce métier et je l’aime toujours, on a l’illusion qu’on peut faire basculer les choses, qu’on peut les changer et c’est vraiment ce que j’ai cru jusqu’a six mois avant les événements ».

Sur la gauche, l’islam et  » ses pulsions inavouables »

« Cette gauche-là est totalement à la dérive y compris sur le plan identitaire puisque jusqu’à une période encore récente c’était un domaine où  il y avait des choses qui ne pouvaient pas se dire sur les immigrés. Je pense que la question du voile aurait été traitée avec plus de finesse et en d’autre temps, mais ça n’est plus possible. Aujourd’hui quiconque remet en question les positions par exemple d’une Elizabeth Badinter passe quasiment pour un prosélyte islamiste, une accusation personnellement que j’ai essuyée à nombreuses reprise, qui m’a collée à la peau des années durant et que je conteste. Simplement, je dénonce et je contiendrai a dénoncer oui, une certaine gauche laicarde qui se planque derrière la question de la laïcité pour dissimuler toutes sorte de pulsions inavouables ».

Propos recueillis par Nassira EL MOADDEM et Fethi ICHOU

Crédit photo : Florentin Coti

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