Invité de la troisième Masterclass de la saison, le jeune journaliste David Perrotin raconte son parcours qui l’a mené jusqu’à la rédaction de BuzzFeed, où il s’occupe de la thématique société/discriminations. L’occasion aussi de rappeler que censure et menaces existent sur des sujets liés à la religion ou les banlieues.

« Le boulot de journaliste, c’est le boulot d’un enquêteur. Ça prend énormément de temps ». C’est par cette métaphore définissant le travail de journaliste, que David Perrotin conclut la troisième Masterclass du Bondy Blog, devant la vingtaine de personnes présentes depuis 14h au sein de la rédaction pour écouter son parcours de jeune journaliste (26 ans) et échanger avec lui. Pourtant, rien de destinait David Perrotin vers le journalisme durant son enfance passée à Sceaux, dans les Hauts-de-Seine. « Je voulais être juge pour enfants », indique-t-il. Mais les révoltes de 2005 ont chamboulé son esprit. « Je me suis senti impuissant face à un fait de société », avoue-t-il. Il fait alors un exposé « sur le traitement médiatique des révoltes de 2005 » lors de sa scolarité au lycée Lakanal de Sceaux.

Durant cette période, des blocus ont lieu devant ce prestigieux lycée au moment de la réforme Darcos (2008). David Perrotin donne alors ses premières interviews auprès des médias sur ce sujet. Faisant référence à Edwy Plenel, David Perrotin s’est orienté vers le journalisme par le biais du militantisme, de l’engagement citoyen, dont il considérait à l’époque que « la frontière était poreuse ». Lors de ses études en droit et en prépa pour Normale Sup, il fonde un site avec des camarades, et publie « des éditos, des reportages, des enquêtes », ajoute-t-il. « C’était sous le signe du syndrome de l’étudiant révolutionnaire », confesse-t-il.

Crédit mutuel et Père Noël

Considérant ses études comme « trop théoriques », le journaliste prend « une année sabbatique » pour travailler en tant que serveur. « Ça m’a fait un bien fou ! », assure-t-il. Par la suite, dans le cadre de ses études à l’Institut Européen du Journalisme, il fait un premier stage dans la rédaction de Rue89. Son premier papier porte sur une pub du Crédit mutuel pendant la période de Noël, indiquant que le père Noël n’existe pas. « J’ai compris qu’il fallait faire attention à ce qu’on écrit. Les mots ont une influence », analyse-t-il. « La sortie de l’école fut flippante pour moi ». La suite ? Un stage de quatre mois au desk de Metronews « où je devais bâtonner environ cinq dépêches AFP par jour ». Et ce, en plus d’articles pour la thématique société que David Perrotin définit de la manière suivante : « Un champ très large, allant de la voiture caillassée au fait divers, en passant par la Manif pour tous ». Après Metronews, il enchaîne avec un stage de trois mois à Libération, où il écrit des articles à la fois pour le papier et pour le web. « C’était un autre univers, c’était plus compliqué de se faire une place », explique-t-il.

Une fois les études terminées, la recherche d’un travail au sein d’une rédaction devient la priorité du jeune journaliste. Metronews lui propose rapidement un CDD au sein des services société et politique. Pour son premier reportage politique, David Perrotin mène l’enquête sur Thomas Thévenoud : le député, alors englué dans ses problèmes de « phobie administrative », avait omis de déclarer au fisc une société qui lui appartenait. Il le questionne alors sur ce point et recueille des propos exclusifs. Après ce joli coup, de nombreuses portes se sont ouvertes au journaliste qui a décroché son premier CDI à Rue89.

BuzzFeed, une rédaction qui grandit

C’est durant ce passage à Rue89 que la direction française de BuzzFeed le contacte pour l’engager au sein du pôle actu, avec l’opportunité de faire des reportages, des enquêtes et avec le soutien financier de la maison-mère, située aux États-Unis. Après quelques mois d’hésitation, David Perrotin accepte la proposition. « Un an et demi après le lancement de BuzzFeed France, on est passé de deux à treize journalistes, qui sont tous en CDI (…) Le directeur du pôle news a été récemment embauché, en provenance de l’AFP. (…) Il n’y a pas de SDJ pour l’instant car la question ne s’est pas posée ». Ce qui ne veut pas dire que ça ne se ferait pas à l’avenir. Face à certaines critiques estimant que BuzzFeed fait des articles « putes à clics », David Perrotin préfère mettre en avant le travail des journalistes : « Derrière un clic, il y a forcément un journaliste qui a envie d’être lu ».

Au cours des échanges avec le public, David Perrotin est notamment revenu sur l’affaire Adama Traoré et sur l’émission de M6, « Dossier Tabou », centré sur l’islam. Dans les deux cas, une certaine défiance envers les médias s’exprime. « Le rôle du journaliste est remis en question », selon lui. Sur la mort d’Adama Traoré, David Perrotin avait suivi sur le réseau social Periscope la conférence de presse de la famille de la victime qui s’est tenue à Beaumont-sur-Oise. Il garde en souvenir le moment où un des proches de la victime interpelle le journaliste de BFM TV présent durant cette conférence de presse très tendue. Par rapport à l’émission « Dossier Tabou » de M6 portant sur l’islam et l’extrait portant sur « l’agression » de Bernard de La Villardière par des jeunes de Sevran, David Perrotin est revenu sur ce passage en voulant entendre la version des protagonistes ainsi que celle de la chaîne. Il a diffusé une vidéo prise par un des jeunes de Sevran donnant une version longue de l’altercation et montrant un Bernard de La Villardière plus hautain que dans l’extrait diffusé sur M6 ; mais surtout, David Perrotin a pu avoir les témoignages de cette bande d’amis de la cité des « Radars », à Sevran, présentés comme « dealers et salafistes » alors qu’ils ont des activités professionnelles (salarié de la Fnac, chauffeur VTC pour Uber, brancardier). Ces derniers ont pu donner leur version des faits, insistant sur le manque de respect de l’animateur de M6 à leur encontre. Ils adressent un reproche aux médias de ne s’intéresser aux banlieues que quand il y aurait des choses négatives. Du côté de M6, le journaliste n’a pas eu de réponse de la chaîne mais après la publication de ces témoignages, cette dernière a voulu répondre en diffusant une vidéo où Bernard de La Villardière salue les jeunes avant l’altercation, dans un autre site (Pure Médias) avant de l’envoyer à BuzzFeed.

« Essayer de se rapprocher de la vérité »

L’objectif à chaque enquête, c’est « d’essayer de se rapprocher de la vérité« . Et par conséquent, rechercher toutes les versions possibles. « En faisant des articles prenant en compte d’autres versions que celle de la police, je risque de perdre des sources policières et ça pourrait rendre mon travail moins efficace », craint-il, devant un public qui estime, pour sa part, qu’un grand nombre de médias se contente de la version policière, grandement relayée par les dépêches AFP, pour parler de faits divers.

La discussion s’emballe autour des médias. Les réactions de certains confrères à ses articles, l’accusant d’islamo-gauchisme, ne le laissent pas indifférent. « Aujourd’hui, ça devient plus politiquement correct d’être anti-musulman que l’inverse », assure-t-il. Le journaliste rappelle les menaces de mort que la fachosphère lui adresse, suite à ses articles considérés comme « islamo-gauchistes » ainsi qu’une agression dont il fut victime lors d’une manifestation de la Ligue de défense juive, devant le siège de l’AFP. Journaliste, un métier loin d’être sans risques.

Jonathan BAUDOIN

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