[BONDYBLOG-US] A Miami, près de 30 000 Haïtiens habitent le petit quartier de Little Haïti où se côtoient prêtres vaudou et défenseurs de la culture créole. La campagne électorale est loin d’être au cœur des préoccupations.

Ce soir-là, à Little Haïti, on fête les Guédés, la fête des morts dans la religion vaudoue. A cette occasion un concert est organisé au centre culturel du quartier et l’endroit est comble. Habitants ou anciens habitants, ils sont tous là pour l’événement. Le créole raisonne et même le français. Mon accent me trahit et certains habitants s’adressent directement à moi dans la langue de Molière. Ils sont beaucoup à l’avoir apprise en Haïti où le français est une des langues officielles.

Faire preuve de résilience

Au bout de quelques minutes de discussion avec des habitants, tout le monde me renvoie à David Brown, « même s’il n’est pas haïtien par le sang, il fait partie des nôtres ». Auteur d’un livre sur l’histoire du quartier, l’homme raconte comment la communauté haïtienne s’est organisée depuis la forte vague d’immigration de la fin des années 70. Bon nombre d’associations ont été créées et la communauté s’est organisée pour s’offrir une église digne de ce nom par exemple. « Il a fallu dix ans avant qu’elle sorte de terre, le temps de rassembler tous les fonds. Avant, c’est une ancienne école pour filles qui faisait office d’église ».

Lors de leur arrivée à Miami, la principale difficulté rencontrée par les Haïtiens c’était la langue pour eux qui ne parlaient que créole. « Dans le comté de Miami, les écoles sont de très bonne qualité et des professeurs sachant parler créole ont été recrutés pour que les élèves parviennent à se faire comprendre et apprennent plus vite. L’école, c’est très important pour les parents : ils sont prêts à tout pour que leurs enfants aillent à l’université ». C’est pour cette raison qu’en arrivant aux États-Unis, « ils ont pris les emplois dont personne ne voulait pour s’en sortir, comme aller travailler dans les champs de canne à sucre. Et c’est encore le cas aujourd’hui : tout ce que les autres ne veulent pas faire, ce sont les Haïtiens qui le font. Ils font toujours preuve de beaucoup de résilience, regardez quand il y a une catastrophe naturelle chez eux ».

Être à la fois Haïtien et Américain

Comme dans les autres quartiers noirs de la ville, le chômage y est élevé souligne David Brown « mais les choses s’améliorent. Je pourrais vous citer à chaque fois une cinquantaine d’Haïtiens devenus avocats, médecins, ingénieurs… » Gina Chaudry, 43 ans, a grandi dans le quartier. « Little Haïti c’est là où on vit, là où on se sent libres, là ou l’on peut être nous-mêmes », dit-elle pleine d’enthousiasme.

Elle a trois enfants qu’elle élève seule et ses yeux brillent de fierté quand elle dit avoir deux filles qui sont à l’université. « Je fais tout ce que je peux pour mes enfants et pour qu’ils aillent à l’université parce que s’ils restent ici, à Little Haïti, ils ne feront rien, ils ne pourront pas s’en sortir. Nous sommes fiers d’être Haïtiens, c’est ce que nous sommes, mais il faut aussi être Américains et pour ça, il faut sortir du quartier ».

La gentrification menace

Ce quartier, Serge Toussaint, une quarantaine d’années, essaie de le préserver, lui qui est arrivé là avec ses parents en 1994. « Si on ne fait rien, il n’y aura bientôt plus d’Haïtiens dans ce quartier ». Little Haïti est proche de Wynwood, ancien quartier populaire, connu pour ses murs peints par de nombreux artistes de rue et désormais considéré comme le quartier le plus bohème de Miami. « Ici, ils veulent faire la même chose qu’à Wynwood, pour que les loyers augmentent et que les Haïtiens soient obligés de partir. Des sociétés immobilières font même pression pour que le quartier soit rebaptisé Lemon City, parce que c’est plus vendeur. Il y a des artistes blancs de Wynwood qui viennent peindre des tigres, des zèbres sur nos murs pour représenter le quartier, mais il n’y a pas de tigres ni de zèbres à Haïti ! Est-ce que moi je vais aller dessiner Toussaint Louverture sur leurs murs ? », demande-il l’air ahuri. Serge Toussaint est également artiste, « King Serge » peut-on lire sur son tee-shirt et son pantalon.

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Serge Toussaint, a.k.a « King Serge »

« Quand je suis arrivée dans ce quartier, j’ai constaté que tout le monde parlait créole mais que tout était écrit en anglais dans la rue. Alors j’ai dessiné sur tous les commerces. Sur le mur du coiffeur, j’ai par exemple dessiné une femme qui se coiffe, comme ça, pas besoin de parler anglais pour savoir ou c’est. Ça, ça ressemble à Little Haïti ». Serge essaie de mobiliser les habitants autour de la question mais regrette leur naïveté. « On doit protester ensemble et être solidaires sinon ils vont finir pas nous virer d’ici ».

On parle peu de la campagne en cours, seul David Brown porte le petit sticker « j’ai voté » sur le revers de sa veste. Il y a quelques semaines, Donald Trump a fait le déplacement dans le quartier, « pour écouter et comprendre ce que vit la communauté ». Il en a également profité pour critiquer le travail de la fondation Clinton à Haïti. Il a été reproché aux Clinton d’avoir davantage aidé les élites à investir dans l’île (en aidant à la construction de deux hôtels de luxe et d’un parc industriel) plutôt qu’à aider les habitants. Hillary Clinton, quant à elle, y a fait une visite surprise samedi après-midi après son meeting de Pembroke Pines accompagné de la mère de Trayvon Martin.

Mais ce samedi soir, à Little Haiti, c’est plutôt la fête et non la campagne qui bat son plein. Certains sont déguisés et sur une table sont disposées de petites statues vaudoues. Sur la route du retour, j’ai complètement oublié la grimace faite par la réceptionniste à qui j’ai demandé un taxi pour me rendre à Little Haïti, ni de son conseil. « Ne restez pas là-bas après 23h surtout ».

Latifa OULKHOUIR (Miami, Floride)

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