Pour qui vont voter les jeunes après avoir choisi François Hollande en 2012 ? Alors que le président de la République s’est mis hors-jeu et que Manuel Valls s’apprête à quitter Matignon pour se lancer dans la course, deux militants de la MJS reviennent sur ce quinquennat et exposent leur avis sur la primaire de la gauche, à cinq mois de la présidentielle. Témoignages.

Ils sont deux. Youssef Aqira et Antoine Marsaudon. L’un est consultant en management pour une banque, l’autre est en deuxième année de thèse en économie à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Leur point commun est d’avoir milité au Mouvement des jeunes socialistes (MJS) au moment de l’élection présidentielle de 2012 en Île-de-France, distribuant des tracts dans les marchés, allant aux sorties d’université, aux résidences étudiantes ou participant aux meetings de François Hollande jusqu’à sa victoire, le 6 mai 2012. « Ce qui m’a poussé à m’engager en politique, c’est mon histoire personnelle, explique Youssef. Je viens d’une famille qui est assez politisée, qui a des convictions de gauche revendiquées ». Ce qui l’a poussé à rejoindre le MJS à l’époque, « c’est surtout le mandat de Nicolas Sarkozy ».

« J’avais vraiment envie de me battre contre les inégalités sociales, de me battre contre la pauvreté, l’exclusion », assène pour sa part Antoine. J’avais envie de lutter contre un fatalisme ambiant que j’observais autour de moi ». Ses parents ne l’ont pas incité à choisir tel ou tel camp politique. « Ils ont eu à cœur d’essayer d’être le plus neutre possible, de laisser le choix », se souvient-il. Les deux hommes n’ont pas choisi François Hollande lors de la primaire socialiste de 2011. Youssef, qui était dans le camp minoritaire du MJS dans la fédération de Seine-et-Marne, a voté Montebourg au premier tour « car il allait dans le sens de la réforme ». Ce fut Martine Aubry pour Antoine. « J’étais en accord avec ses idées de Martine Aubry », indique Antoine, qui militait dans le 12e arrondissement de Paris à l’époque.

Plusieurs façons de voir l’engagement

Depuis le début du mandat de Hollande, ces deux socialistes ont connu diverses évolutions dans leur engagement politique. D’un côté, Youssef Aqira a continué l’engagement politique, en militant désormais au PS dans la ville de Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne). « C’est quelque chose d’assez naturel. Si tu milites au MJS, c’est pour pouvoir, par la suite, militer au sein du PS », estime-t-il. Une occasion pour le jeune homme de 28 ans de nouer des contacts, de discuter, de débattre avec des militants plus expérimentés. « Échanger avec des personnes plus âgées, ça m’a permis de pousser la réflexion plus loin », soutient-il.

De l’autre, Antoine Marsaudon a préféré arrêter de militer, après une année d’activité au sein du mouvement. « Est-ce vraiment efficace d’avoir une vision purement politique des choses ? », s’est-il demandé. D’où une envie de « rechercher la vérité » qui passe par les études selon lui. « Faire une thèse, obtenir un financement de thèse, présenter un bon projet de thèse, ça exige beaucoup de temps. À un moment donné, je pense qu’on ne peut pas tout faire ». Cela dit, l’homme de 27 ans considère « [qu’] il y a mille façons de lutter, même quelqu’un qui décide de ne pas fermer les yeux sur un problème, c’est quelqu’un qui fait de la politique ». Et de citer son investissement dans l’association Sorbonne Solidaire« qui vient en aide aux étudiants Syriens » comme action politique qui ne s’inscrit pas dans le cadre d’un militantisme de parti politique, même si Antoine ne s’interdit pas de militer dans un parti « à l’avenir ».

Que faut-il garder de ce quinquennat ?

De leurs années de militantisme, les deux hommes gardent surtout le souvenir de rencontres et d’échanges. « Le combat politique est un combat long, estime Youssef Aqira. Il faut avoir des convictions solides. Si tu n’as pas des valeurs chevillées au corps, les déceptions peuvent rapidement te pousser à laisser tomber, à te laisser convaincre dans le discours ambiant ‘la politique, je n’y crois plus’. Je continue à y croire ». Il poursuit, serein. « Ces années de militantisme m’ont fait rendre encore plus optimiste. Ça peut paraître paradoxal mais je pense qu’on peut vraiment changer les choses ». Dans le bilan du pouvoir depuis 2012, « tout n’est pas rose dans ce quinquennat », retient le consultant, dont il relève néanmoins certaines actions gouvernementales qu’il juge bonnes comme la COP21, le CICE qui « redonne de la compétitivité aux entreprises qu’il fallait soutenir », les emplois créés dans l’Education nationale qui devraient atteindre 60.000 à la fin du quinquennat ou encore le Compte personnel d’activité qui « va dans le sens d’un progrès pour les travailleurs ». Mais il y a eu l’émergence des « députés frondeurs », le manque de communication puis l’absence de « mesures symboliques » telles le récépissé par rapport aux discriminations policières et surtout le droit de vote des étrangers. « C’était une mesure très importante qui voulait dire beaucoup de choses », affirme cet homme de 28 ans, né au Maroc et ayant grandi en France après que son père a trouvé du travail dans l’Hexagone, ce qui l’a aidé à être naturalisé Français à l’âge de 16 ans, en même temps que ses parents.

Youssef en veut surtout au Premier ministre. « Manuel Valls, avec son discours sur le burkini, sur la laïcité, ça a fait du mal à la gauche, regrette-t-il. C’est un discours qui a été emprunté à la droite. […] Cette conception ultra-laïcarde, cette laïcité d’exclusion, j’en garde un goût amer. […] Sur la loi Travail, je suis plutôt pour faire des réformes. J’estime qu’il y a des choses qui doivent être revues et réformées. Mais le passage en force, alors qu’on est dans un État démocratique, faire fi du Parlement qui ne vote pas la mesure, mais vouloir le faire absolument passer en force, c’est quelque chose qui a du mal à être accepté par les gens ». Il n’épargne pas non plus François Hollande dans sa critique, sur la question du débat sur la déchéance de nationalité dont « l’effet fut dévastateur pour la gauche. C’était instaurer une espèce de tri entre les Français. Quand tu as des valeurs de gauche, des valeurs d’égalité, c’est une idée difficile à accepter », martèle-t-il.

« Je pense qu’on perd un peu le fond »

Alors, l’idée de la tenue de primaires à gauche se pose forcément même si les avis sur la question sont partagés. Pour Youssef Aqira, cette démarche est un bienfait pour la démocratie, en raison du succès de celles de 2011. Un positionnement qui ne convainc guère Antoine Marsaudon, plus sceptique sur le rôle démocratique des primaires. « Je ne sais pas trop si c’est plus démocratique, j’ai surtout l’impression qu’il y a des comportements stratégiques. On tend vraiment vers une américanisation de la politique. Quand je vois la manière dont la politique est faite en ce moment, il y a l’UMP qui s’appelle Les Républicains, il y a l’émission Ambition Intime de Karine Le Marchand, où on fait inviter des gens du monde politique et ils viennent là pour parler de leur vie, et pas du tout de leur programme. […] Je pense qu’on perd un peu le fond », regrette-t-il.

Certains candidats à la primaire socialiste trouvent-ils grâce aux yeux de ces deux militants ? Youssef, tenté de voter à nouveau Montebourg, comme en 2011, n’est pas insensible à l’idée d’un revenu universel défendue par Benoît Hamon. Son choix n’est pas encore fixé. Pareillement pour le thésard, qui attend de voir la liste officielle des candidats à la primaire, sachant que la campagne officielle commencera le 15 décembre prochain. Sur la candidature du Premier ministre qui ne fait désormais plus aucun doute, les deux hommes sont plus nuancés. Du côté de Youssef, la loyauté est de rigueur. « Si je soutiens cette démarche des primaires, c’est que forcément, je soutiendrai le candidat qui sera gagnant de ces primaires, même si ce n’est pas le candidat que j’aurai choisi initialement, explique-t-il. « Ça dépend de qui il y aura en face aussi et ça dépendra vraiment de ce qu’ils défendent comme programme », juge l’étudiant en doctorat en économie de la santé.

Pour le consultant, c’est l’après-élection qui compte, la question de la recomposition à gauche le préoccupe. « Le PS est dans une situation très difficile, analyse-t-il. Parce qu’on est serré, à gauche, par Jean-Luc Mélenchon. Et à droite, par Macron. Au milieu, il y a différents courants qui peuvent se mettre d’accord sur certaines positions mais restent en désaccord sur d’autres lignes. Et faire vivre ces courants-là, avec une ligne directrice et avec un projet, et un sens, ça va être très difficile ». Le changement passe par un renouvellement générationnel selon lui. « On arrivera à un moment où il faudra changer de système politique. Ceux qui arrivent en fin de vingtaine, début de trentaine, ce sont eux qui arriveront aux manettes, ils auront énormément de responsabilités. Pour faire ce qui n’a pas été fait, et pour prendre des bonnes décisions », conclut-il, optimiste sur l’avenir de la politique. En attendant, reste à connaître le candidat qui représentera le PS aux présidentielles de 2017.

 Jonathan BAUDOIN

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