Lyon a scintillé des mille feux de la fête des Lumières ce week-end. Six ans que notre reporter, Saïd Harbaoui, Lyonnais d’origine, n’avait pas vécu l’évènement. De passage dans sa ville d’enfance, il se souvient des lumignons, du chocolat chaud de son enfance et se demande si la fête a encore quelque chose de populaire.

Paris ville sombre pour un gone le 8 décembre. Une phrase que je me répète depuis six ans. Depuis 2010, je regarde l’événement de la fête des Lumières de loin, à contre-cœur. L’an dernier, je devais être le seul pélot d’Épinay-sur-Seine à mettre un lumignon à la fenêtre. Le Lyonnais aime revendiquer sa différence avec le Parisien. De Bassem à Jean Michel Aulas, le vertige ce n’est pas d’être con aux yeux des autres mais plutôt d’oublier de se sentir lyonnais. Le 8 décembre est peut être la nuit la plus longue entre Rhône et Saône. Les lampions décorent les fenêtres et la presqu’île devient noire de monde. Les origines de ces célébrations sont religieuses : depuis des siècles, les Lyonnais qui affrontent les maladies illuminent la ville pour réclamer une protection divine.

Lyon ville traditionnellement catho. Bourgeoise mais rebelle par son histoire qui a vu son agglomération grandir pour devenir la métropole stratégique entre plusieurs grands axes : Paris, Marseille, Genève et Turin. Beaucoup de villes en France et dans le monde pratiquaient ce rituel devenu évènement culturel. La caractéristique géographique de Lyon l’industrielle qui possède une basilique sur la colline, un Hôtel Dieu très réputé et donc un parcours de procession idéal pour réclamer la protection de Dieu, a joué dans l’évolution historique de cet événement.

Odeur de vin chaud et chocolat chaud

Étonnement, mes premiers 8 décembre avaient une odeur de vin chaud. Sur la place rose de mon quartier d’enfance, les mamans restaient discuter non loin de l’école primaire et on avait le droit à notre chocolat chaud en chanson. J’étais en primaire, la fête se limitait à ça. Les premières sorties en dehors du quartier, on s’en souvient souvent comme si c’était un tour du monde en 80 jours. La différence c’est qu’on faisait tout en bande à l’époque.

En 1999, à 12 berges, le peu de jeunes de mon âge dans mon quartier qui avait le droit de sortir était déjà content d’être là. Je me souviens qu’on se suivait comme des militaires pour se rendre à Hôtel de Ville, place Louis Pradel, début du parcours tumultueux mais toujours bon enfant. Je me souviens qu’avant d’être des petits fouteurs de merde, on était drôle et on faisait rire les gens. Les passants timides n’avaient plus de gêne. Je me rappelle du feu d’artifice que j’avais observé du pont Lafayette, c’était peut-être la dernière fois que je regardais naïvement ce genre de spectacle.

Nous voilà en 2016, j’en ai 29. Lyon a changé. Il y a un métro qui va à Vaulx-en-Velin, un tram qui te jette aux Minguettes. La ville s’est depuis réconciliée avec ses fleuves avec des quais du Rhône et de Saône permettant les balades champêtres. Gérard Collomb, sénateur-maire, s’est installé depuis. Ici, on dit que tout vient de lui.

En ce week-end de fête, la ville appelle les habitants à sortir les lumignons. La fête a duré quatre jours, les transports sont gratuits. La première chose que l’on remarque quand on débarque place Louis Pradel c’est le non négligeable dispositif de sécurité qui filtre les entrées. Comme dans les centres commerciaux, les sacs sont fouillés les policiers municipaux et nationaux sont présents un peu partout autour de nous. La fête est « fanzonisée ».

« Ce n’est plus le même esprit qu’avant »

La place des Terreaux projette son spectacle son et lumière. Le théâtre des Célestins fait battre un cœur lumineux, la grande roue de Bellecour projette sa petite histoire, les touristes sont émerveillés. Comme Josie, retraitée venue tout spécialement d’Orthez. « Je ne vais pas tout de suite dire que c’est une fête populaire, je vais attendre de tout faire pour me prononcer mais on est comme des gosses sous le charme ». Même son de cloche pour Aline et Andrée couple récemment installé dans la région. « C’est populaire bien sûr ». Les jeunes Lyonnais présents savent trouver des filons pour gagner quelques sous pendant la fête : stands de vins chaud tous les cents mètres, improvisation de guérîtes pour vendre tout et n’importe quoi.

Antoine et Guillaume chantent « chaud les marrons chaud chaud chaud les marrons » sur un air d’Annie Cordy. Mines bougonnes, ils se sont installés sur le pont de la Guillotière, lieu stratégique avant l’entrée dans le périmètre de sécurité place Bellecour. « Les marrons, ça marche bien avec les Lyonnais et il faut reconnaître qu’il n’y en a pas beaucoup. On va dire qu’ils n’aiment pas trop tout ce flot de touristes, c’est un peu moins leur truc mais on voit des étudiants quand même ». Antoine, le Lyonnais du duo, explique qu' »il y a 15 ans le spectacle, c’était plus sur les fenêtres avec les lumignons. L’évolution est positive pour les commerces mais ce n’est plus le même esprit qu’avant« .

Et la lumière ne fut pas au bout de mon chemin dans le quartier d’en face, la Guillotière. Dans le Barbès lyonnais, ce n’est plus « marrons chauds » qu’on entend là-bas mais plutôt « Marlboro Marlboro’, avec un accent qui sent l’huile d’olive. Le quartier de ‘la place du Pont » ou « place dup » est un quartier historique où les anciens immigrés venaient faire leurs emplettes. On croisent encore les Chibanis venus taper la discute. C’est plus les soirs de Ramadan qu’on vous illumine là-bas. Petits, on nous amenait chez le coiffeur et on y achetait notre viande, une sorte d’avant goût des vacances au bled. Ici, pas de jeu de lumière, tout est concentré sur la presqu’île. Pour faire amende honorable, il faut aussi souligner que les animations ne se sont pas étalées non plus dans le 6ème arrondissement, quartier de la jeunesse dorée lyonnaise. Mais le contraste est saisissant.

« C »est un peu plus élitiste »

Non loin de Perrache, Zoubir, 28 ans rentre du travail. Il m’explique pourquoi il n’ira pas voir les illuminations. « Pourtant, j’ai tout pas très loin de chez moi, mais ça a perdu son charme des années précédentes. Avant, tu pouvais voir des gens de tout horizons venir dans le centre ville mais aujourd’hui j’ai l’impression que ça concerne pas tout le monde c’est un peu plus élitiste« . Ses souvenirs reviennent. « Avant, on ne savait pas sur quoi on allait tomber, on rigolait plus, on pouvait se déplacer partout, ce n’était pas stricte et c’était un parcours que tu faisais en famille ».  Zoubir donne un élément de réponse. « On passe à côté de certains trucs, c’est peut être parce qu’on ne nous donne pas envie ».

Perrache relie la banlieue grâce au tramway qui amène jusqu’à l’université et au centre commercial portes des Alpes à St Priest. Nabil et Adil prennent un café avant d’aller en cour du soir. Nabil, qui vient de Caluire, n’est pas allé aux illuminations depuis trois ans. « Pour moi, c’est comme la fête de la musique, c’est une fête populaire mais elle attire des gens concernés par l’activité culturelle de la ville. Moi, dans mes souvenirs, je voyais beaucoup de gens de la presqu’île venir à cette fête ». Adil, lui, est de Saint-Etienne, il compte y aller ce week end si le temps lui permet. « J’aime bien bouger quand il y a des trucs intéressants à faire dans la région j’y vais. Franchement, y a des trucs à voir qui sont classes; quand tu vois des Allemands, des Chinois, des Anglais venir, tu vois que c’est important ». Dans la discussion, c’est la qualification de fête populaire qui suscite la réflexion. Adil émet quelques nuances. « Franchement, on va pas se mentir, quand t’y vas, tu te rends compte que le public présent est plutôt blanc, âgé, touriste. La diversité est pauvre, y a pas trop de cousins, pas trop de personnes de couleur, c’est marrant parce que j’ai beaucoup de familles en banlieue lyonnaises mais ils ne se sentent absolument pas concernés par ce qui se passe là-bas ». Le prétexte religieux n’est pas une explication. « Les gens ils n’y vont pas tout simplement parce que c’est loin ».  « S’ils avaient mis de l’animation vers chez moi, je serais sûrement allé voir », précise Nabil.

« C’est comme si j’étais parti la veille »

Une fête esthétique, une fierté régionale, une réussite municipale c’est incontestable. Gérard Collomb a réussi son pari : faire de Lyon, l’ancienne endormie des années 80, la ville la plus culturelle des grandes provinces françaises. Le musée des Confluences est flambant neuf est une preuve d’un Lyon qui s’ouvre de plus en plus.

Mais cette ouverture ne se limite-t-elle pas qu’aux touristes, aux investisseurs, aux amateurs de foot et de bonne table ? La fête des Lumières m’a renvoyé à mon histoire personnelle, celle qui a fait que je n’ai réussi à apprécier la richesse culturelle de ma ville qu’en la quittant. Six ans après, j’ai revu des attitudes, des accents et des clivages frappant entre une population concernée par la vie de la cité et une autre dans l’ombre silencieuse qui laisse passer les événements sans véritable intérêt. Tout ceci dans un contexte de parano collective … Populaire, Lyon ne l’est presque que dans sa périphérie. Biolay souligne avec justesse la presqu’île éternelle : « C’est comme si j’étais parti la veille ».

Saïd HARBAOUI

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