Après son premier spectacle, Pierre-Emmanuel Barré est un sale con, l’humoriste signe son retour sur scène avec son Nouveau spectacle. De quoi ravir ses admirateurs et faire grincer des dents de ses détracteurs. Jonglant entre humour engagé, décortiquant l’actualité et absurde à la Monty Python, le chroniqueur nous offre un panel large et condensé composant un spectacle drôle et conscient. Interview.

Bondy Blog : Bonjour Pierre-Emmanuel Barré, peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?

Pierre-Emmanuel Barré : Oui, j’ai 18 ans, et je suis en fac de droit à Montpellier du jeudi au mardi. Le reste du temps, j’ai 32 ans et je fais des chroniques sur France Inter ! J’aime les fleurs, les balades sur la plage et les mines antipersonnel. Je suis breton mais avant je disais que j’étais zaïrois, pour rigoler. Mais les gens ne rigolaient pas, alors j’ai arrêté !

(Rires hein !)

Bondy Blog : Quelle est ta définition du métier d’humoriste ?

Pierre-Emmanuel Barré : Ah, ben faut faire des blagues, il n’y a pas de secret. Et des blagues qui marchent de préférence, c’est pour ça que j’ai arrêté de dire que j’étais zaïrois. Après, c’est subjectif, il y a sûrement plein de gens qui ne se marrent pas du tout à mes blagues. Ils ont tort, elles sont super. Je dois avouer que j’ai une préférence pour les blagues avec du fond, mais les blagues gratuites ne me dérangent pas quand je suis fatigué.

(Rires toujours, on est bon public;-)

Bondy Blog : Dans ton dernier spectacle, tu fais intervenir un personnage de manière récurrente, « la connasse de service ». Que représente-t-elle ?

Pierre-Emmanuel Barré : Oui, le spectacle est un peu articulé autour de ça. La connasse de service, on en a tous une, c’est la personne qui vient te faire la morale et très souvent avec les arguments les plus cons du monde. C’est celle qui dit, « si tu ne vas pas voter, t’as pas le droit de te plaindre, si tu les aimes tant les migrants, t’as qu’à les accueillir chez toi… » Et j’ai remarqué que la connasse de service avait systématiquement une voix très désagréable.

Bondy Blog : Contrairement à ton ancien spectacle qui s’appelait Pierre-Emmanuel Barré est un sale con, ton nouveau spectacle n’a pas de titre. Tu as livré ta définition du sale con comme étant un con qui a conscience de l’être. Est-ce une façon d’affirmer ta personne à travers ce nouveau spectacle ?!

Pierre-Emmanuel Barré : Non, c’est beaucoup plus con que ça. En fait, j’ai cherché longtemps un titre chouette mais dès qu’on donne un titre, après, on se dit « merde, je n’aurais pas dû l’appeler comme ça ». Je n’avais pas envie de regretter le titre après dix dates de tournée. Du coup, j’ai fait mon rebelle, j’ai appelé ça Nouveau spectacle. Mais je vais être emmerdé si je fais un nouveau nouveau spectacle, au bout de trois ou quatre nouveaux spectacles, l’affiche devient assez illisible. Merde ! Tu as raison, j’aurais dû les numéroter, ça aurait été plus simple. Eh ben voilà, tu as réussi à me faire regretter le titre que que j’ai choisi de ne pas choisir exprès pour ne pas avoir à le regretter. Je ne te dis pas merci.

(Re-rires)

Bondy Blog : Peut-on dire de toi que tu es un humoriste engagé ? Si oui, quel est cet engagement ?

Pierre-Emmanuel Barré : On peut le dire si on a envie mais personnellement, je ne le dis pas. J’imagine que tout le monde est un minimum engagé, les humoristes qui font des pubs pour les assurances habitation sont peut-être très engagés dans le combat contre les accidents domestiques, qui sait ? Si ça se trouve, quand ils étaient petits, il y a eu un dégat des eaux terrible, leur frère jumeau a été emporté dans la cuvette des chiottes et ça a détruit leur famille. Depuis, ils se jurent tous les matins que tout le monde doit avoir une bonne assurance habitation.

Bondy Blog : Que représente pour toi l’humour quand il s’agit de traiter de l’actualité ? A ton avis, une chronique peut-elle rester dans les mémoires ou est-elle éphémère ?

Pierre-Emmanuel Barré : Non, ça ne reste pas dans les mémoires. Je sais, parce que quand je suis fatigué, je récupère des blagues de 2012, les gens n’y voient que du feu. En plus, c’est pratique parce que c’est toujours la même actualité… Hop, vous vous êtes fait enculer par un évadé fiscal, hop, une loi sécuritaire en plus, hop, machin a touché 5 millions d’euros pour financer sa campagne, hop, truc a été acheté par le lobby agro-alimentaire… Blablabla… C’est toujours les mêmes fils de putes, il suffit de changer les noms et on a une chronique toute neuve.

(mdr)

Bondy Blog : Lors de ton spectacle, à propos du vote, tu évoques ton abstention, est-ce vrai ? Si oui, ton métier peut-il jouer un rôle citoyen comme c’est censé être le cas avec le droit de vote ?

Pierre-Emmanuel Barré : Oui, je ne vote pas. Un isoloir, c’est comme une backroom, une fois qu’on est dedans, on n’a plus qu’à choisir par qui on va se faire enculer. Et puis ça leur donne une légitimité le vote. Alors que je ne suis pas du tout d’accord avec leur légitimité. Je le dis tout le temps, je ne veux pas que le chef, ce soit quelqu’un qui veut être le chef. Je trouve ça très malsain et bizarre de vouloir être le chef. Je veux bien d’un chef, si vous voulez absolument d’un chef mais je veux que ce soit un mec qui ne veut pas être le chef. Moi, je fais ça mais les gens font comme ils veulent. Je vous l’ai dit, je ne veux pas être le chef.

Bondy Blog : Dans ton nouveau spectacle, tu abordes des thèmes d’actualité plutôt sensibles : les attentas, Daesh… A quelles réactions as-tu déjà été confronté ?

Pierre-Emmanuel Barré : Il y a des sujets plus lourds mais j’alterne avec des sujets plus légers. Je fais un sketch sur la guerre, un sketch sur la bite, un sketch sur les réfugiés, un sketch sur le caca. Et ainsi de suite. Comme ça, les gens peuvent souffler un peu, malin, non ? Normalement, quand l’alternance est bien faite, le spectacle se passe bien. J’ai eu quelques ratés pour les premières représentations, mais maintenant, ça commence à bien glisser. Surtout le sketch avec du caca. Je sens qu’il y a une vraie demande du public.

Bondy Blog : On te compare souvent à Pierre Desproges. Sa fameuse phrase « on peut rire de tout mais pas avec toute le monde » est-elle une référence pour toi ?

Pierre-Emmanuel Barré : Non, je pense qu’on peut rire de tout avec tout le monde, du moment qu’on a un 9mm chargé dans la poche.

Bondy Blog : Y a-t-il eu parfois intervention de la direction de France Inter ou de la direction pour te dire que tu allais trop loin ?

Pierre-Emmanuel Barré : Non, ils sont vraiment très bien pour ça à France Inter, ils ne nous tiennent même pas au courant des plaintes pour qu’on ne change pas de discours. Une fois, j’ai eu un blâme. Mais c’est parce que j’étais tout nu dans les locaux. Je n’étais même pas au courant que c’était interdit.

Bondy Blog: Le cliché du petit blanc bobo qui travaille chez France Inter t’effraie-t-il ?

Pierre-Emmanuel Barré : Non, parce que je suis zaïrois.

Bondy Blog: A travers ton travail, tu critiques sans cesse la société et le système français. Pourtant, tu as un parcours des plus classiques pour un artiste : provincial qui débarque à Paris, cours Florent, connaît le succès sur Canal + ou encore France Inter. N’es-tu pas trop ancré dans le système pour pouvoir le critiquer ?

Pierre-Emmanuel Barré : Qu’est-ce qui te prend ? Je critique si je veux. Ne le prends pas mal mais ça ressemble un peu à un des arguments de la connasse de service, à un moment du spectacle. « Le mec, il critique la France alors qu’il passe sa vie dedans ». Et alors ? Ça veut dire que je n’ai plus le droit de critiquer ma femme ?

Bondy Blog : Tu tournes souvent en dérision un genre de divertissement très populaire en France qui est porté par des personnes comme Cyril Hanouna ou encore Kev’Adams. L’humour doit-il forcément être porteur de message sérieux, qu’il soit politique ou sociétal ?

Pierre-Emmanuel Barré : Non, les gens font vraiment ce qu’ils veulent comme humour. Libre à moi aussi de critiquer cet humour si je trouve qu’il est naze. Le problème, ça n’est pas vraiment les gens qui font de la merde, le problème, c’est qu’ils ont beaucoup de public. C’est vrai que ça me dérange un peu qu’il y ait autant de gens déconnectés de la réalité par l’abrutissement télévisuel.

Bondy Blog : Jusqu’à quel point peut-on aller dans le cynisme humoristique ?

Pierre-Emmanuel Barré : Si je le savais, je serais au chômage et on ne serait pas en train de faire cette interview.

Bondy Blog : Quand on suit ton travail, on constate que tes critiques sont de plus en plus affirmées et peuvent parfois sortir du domaine humoristique. Peut-on un jour imaginer Pierre-Emmanuel Barré se lancer en politique ?

Pierre-Emmanuel Barré : Ce serait difficile, tu as vu les scores du FN ? Qui voterait pour un Zaïrois ?

Propos recueillis par Fatma TORKHANI

Crédits photo : Ingrid Mareski

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