« La transition écologique : une nouvelle frontière du progrès pour les habitants des quartiers populaires ? » C’était le thème du troisième débat du cycle « Les Heures Innovantes », organisé par le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis ce mercredi 1er février. Objectif : faire émerger des idées nouvelles face à la crise démocratique et sociale. Compte-rendu.

Comment la transition écologique peut être un outil de transformation des quartiers populaires et d’amélioration de la vie quotidienne de ses habitants ? Comment lutter contre la précarité énergétique ? Comment relever les défis de la transition écologique et faire émerger des solutions innovantes ? C’est à toutes ces questions qu’ont essayé de répondre Stéphane Troussel, président du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, Bettina Laville, conseillère d’Etat et présidente du Comité 21, Frédérique Denis, conseillère départementale et présidente du Groupe EELV dans le 93. Le public aussi a été mis à contribution puisqu’il a été invité à participer à des ateliers de réflexion et de propositions d’idées.

Dans le salon d’honneur de la préfecture de Seine-Saint-Denis à Bobigny, Stéphane Troussel lance le débat. « Cette question écologique est devenue centrale. Elle est devenue une priorité d’action pour tous les agendas politiques, institutionnels et pour la société civile. Cette problématique est aussi celle du « comment faire ensemble », car elle permet de questionner et de revivifier l’action citoyenne des individus, qui se regroupent en collectifs, en associations etc. Les quartiers populaires ont un rôle important compte tenu de leur vitalité. Ces territoires ont des solutions à proposer ».

Parmi ces solutions, le président du Conseil départemental pense notamment à la transformation des autoroutes urbaines du département, qui représentent 58 kilomètres sur le territoire. Selon lui, la Seine-Saint-Denis doit devenir une terre de conquête de l’écologie urbaine car sa transformation, son dynamisme et ses projets à venir doivent être mis au service d’un développement durable du territoire, comme le Grand Paris et ses gares ou encore la candidature de Paris aux JO 2024.

Avec un air meilleur, six mois de vie en plus

Après ces explications,  un chiffre apparaît sur le grand écran qui fait face aux grandes tables rondes de la salle. Le chiffre « 6 ». « J’ai choisi ce chiffre car six mois, c’est le gain d’espérance de vie que nous pourrions faire gagner à 30 ans aux habitants de Seine-Saint-Denis en améliorant la qualité de l’air que nous respirons », détaille Stéphane Troussel. Alors que nous avons fait face à de nombreux pics de pollution ces derniers mois, que nous devons faire face à 6 600 décès par an dans la métropole liés à la pollution de l’air, nous devons prendre la mesure de l’urgence d’agir et se construire dans tous les aspects de notre vie en ville ».

Une image s’affiche ensuite, celle d’une façade d’un immeuble en travaux d’isolation qui ouvre une nouvelle page de ce débat : l’habitat durable et la rénovation énergétique. « On estime que trois quarts des logements en Seine-Saint-Denis sont des passoires énergétiques. Bâtis avant 1975, c’est-à-dire avant la première réglementation en matière d’isolation thermique, cela représente 460 000 logements sur le territoire qui nécessitent des travaux de rénovation énergétique alors que nous n’en rénovons que quelques milliers par an ». Et cela a un coût social et sanitaire. « La précarité énergétique pèse sur le pouvoir d’achat mais pose aussi des problèmes de développement de maladies infectieuses dues à la mauvaise isolation des logements. C’est pourquoi je souhaite que l’ensemble des pouvoirs publics investissent massivement dans la rénovation énergétique des logements, avec un objectif très ambitieux de 15 à 20 000 logements par an », rapporte Stéphane Troussel.

« L’écologie n’est pas encore une préoccupation dans les quartiers »

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Aux Heures Innovantes, à Bobigny, chacun est invité à faire part de son idée en matière écologique.

Pour conclure son intervention, Stéphane Troussel ajoute quelques propositions qui pourraient faire de la transition écologique un outil de transformation des quartiers populaires : faire de la Seine-Saint-Denis un laboratoire métropolitain d’une écologie qui profite à tous comme le développement de l’agriculture urbaine, des circuits courts, du bio, qui pourraient s’appuyer sur les huit parcs départementaux pour l’expérimenter. Et enfin installer dans le département un pôle universitaire de formations aux métiers de l’environnement, et développer les baccalauréats professionnels spécialisés. Pour réagir à cette intervention, tout en préparant les prochaines de Frédérique Denis et Bettina Laville, chaque table est alors invitée à proposer des solutions, répondant à quatre points : la résonance particulière de la question de la transition écologique dans le 93 ; comment rendre audible la préoccupation environnementale ; comment faire de la transition écologique un moteur de croissance et d’emploi dans le département ; comment mobiliser tous les acteurs ?

Sur des panneaux, après une demi-heure de réflexion, le public accroche ses propositions sous chaque question. Et il y en a qui font sourire, d’autres réfléchir. « Une monnaie locale du 93 avec une partie des aides sociales en monnaie locale », « transmettre la culture de l’écologie à l’école », « sensibiliser dès la PMI » (ce qui fait un peu tôt mais cela fait sourire l’assemblée), « plus de poubelles près des parcs HLM et sensibiliser au tri », « une COP93 pour sensibiliser tous les acteurs pour réduire les gaz à effet de serre », « développer les lycées horticoles et agricoles en lien avec des fermes ouvertes au public », mais aussi « des jardins partagés et ouvriers ». A l’une des tables, Pascale, participante, déplore que « l’écologie n’est pas encore une préoccupation dans les quartiers », ajoutant qu’il faut « absolument intéresser nos jeunes à ces problématiques écologiques ».

« Créer de l’emploi dans une économie verte »

Les Heures Innovantes, à Bobigny, le mercredi 1er février 2017.

Les Heures Innovantes, à Bobigny, le mercredi 1er février.

Après une lecture de toutes les propositions, Bettina Laville, présidente du Comité 21, association de promotion du développement durable des entreprises et des collectivités, prend la parole. « Je tiens personnellement aux mots “développement durable”. Parler uniquement de “transition énergétique” est dangereux. Le développement durable répond aux questions que vous vous posez », souligne-t-elle. Frédérique Denis, de son côté, ajoute : « Si nous voulons faire entrer le département dans la transition écologique, c’est parce que c’est LA solution à la question sociale. On ne veut pas « boboïser » les quartiers populaires mais aider la problématique sociale ». Une nouvelle fois, la question de la formation des jeunes revient dans le débat et Bettina Laville explique qu’elle dissuade parfois des étudiants à faire des études de développement durable : « Je leur conseille de faire une formation avant ces études pour mieux s’orienter ensuite ».

Frédérique Denis, quant à elle, met en avant la création d’emplois. « Il faut pousser les jeunes entrepreneurs à créer de l’emploi dans une économie verte. Il faut soutenir l’économie sociale et solidaire, avec des emplois locaux, durables, pérennes et non délocalisables. C’est une façon de développer l’emploi par le développement durable », avance-t-elle. Les acteurs associatifs et citoyens sont, pour les intervenantes, au coeur du débat de la transition écologique, et sont invités à se rencontrer, avec le département, pour trouver des solutions concrètes. « Il faut un investissement à l’échelle nationale mais aussi à l’échelle locale et des quartiers », précise l’élue EELV.

« Nous sommes aujourd’hui, dans une situation d’urgence écologique »

Bettina Laville s’accorde avec le public sur l’importance de proposer une sensibilisation dès l’enfance. Et quand un invité s’interroge sur le lien qui pourrait être mis en place entre la démocratie et l’écologie, citant l’eau, la nourriture ou l’air qui ne sont pas toujours sains, Frédérique Denis répond que « les populations doivent avoir le droit et le pouvoir de dire non à la malbouffe, à la pollution de l’air, à des déplacements contraints, subis, c’est vraiment une question de démocratie et d’égalité mais surtout une question de santé. La pollution aux particules fines tue plus que le tabac. Elle touche d’abord les habitants les plus vulnérables de l’est parisien. Enclencher une transition qui permettrait d’ici 5 ans, 10 ans, de ne plus avoir de véhicules diesel sur les routes d’Ile-de-France, c’est d’abord pour la santé des habitants et il faut leur faire comprendre. Les initiatives personnelles ou collectives peuvent devenir des petites flaques, puis des mares et enfin des océans et c’est cet effet colibri qu’il faut mettre en place. C’est cet engagement citoyen qui permettra la transition ».

Pour conclure, Bettina Laville alerte l’assemblée. « Le mot « écologie » est le mot souche car c’est la science du milieu et quand un être vivant quel qu’il soit n’est plus dans l’équilibre de son milieu, il meurt, à petit feu ou tout de suite. Et nous somme aujourd’hui dans une situation d’urgence écologique. Il faut essayer d’éteindre l’incendie par tous les moyens. Il faut un geste personnel, un geste de l’Etat, un engagement de toutes les nations ensemble et des mouvements régionaux ».

Inès EL LABOUDY

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