Chaque jour ou presque, Samuel Gontier, journaliste à Télérama, propose sur son blog un regard acerbe et lucide, une analyse souvent en ironie, parfois en diatribe, sur le meilleur du pire des programmes télévisés. Publié aux éditions La Découverte, Ma Vie au Poste synthétise ses chroniques, huit années d’enquête. Un réquisitoire décapant.

Les éditorialistes politiques sont le sujet de son dernier billet. Samuel Gontier démonte l’unanimisme des réactions des commentateurs qui, suite à la conférence de presse de François Fillon, lundi dernier, ont salué en lui le « chef » incontesté de la droite. La critique fait grincer des dents sans toutefois verser dans la caricature ou la dénonciation simpliste des médias. C’est le travail presque quotidien auquel se livre le journaliste de Télérama sur son blog « Ma vie au poste ».

Huit ans qu’il est assis devant son petit écran toute la journée à observer et décortiquer JT, débats politiques, chaînes d’info en continu, émissions de divertissement… Vingt ans après la sortie de l’essai de Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Samuel Gontier démontre dans son livre Ma vie au poste – Huit ans d’enquête (immobile) sur la télé du quotidien, une version augmentée de ses chroniques, que la machine à formater les esprits continue son travail.

Remplir l’espace rare avec du vide

« Huit ans d’enquête » titre le journaliste. Autant se mettre une balle dans la tête. « Je laissais mes camarades se délecter d’admirables documentaires pour me fader le tout-venant de la télévision », explique-t-il. La télévision passée au crible quotidiennement, un drôle de sacerdoce ! On a encore tous en mémoire Jean-Michel Maire embrassant « maladroitement » le sein de la jeune Soraya à une heure de grande écoute sur le plateau de l’émission Touche pas à mon Poste (TPMP pour les intimes), ou encore la phrase raciste de Jean-Paul Guerlain en 2010 sur le plateau du JT du 13 heures de France 2 ou la chronique « humoristique » de Nicolas Bedos, dans le talk-show On n’est pas couché, imitant un jeune de quartier questionnant le belliqueux Dieudonné, parodie insupportable et insultante de la jeunesse française. « En remplissant ce temps rare avec du vide, on écarte les informations pertinentes que devraient posséder le citoyens pour exercer ses droits démocratiques », résumait Pierre Bourdieu dans son essai sociologique.

Samuel Gontier reprend le flambeau en se lançant dans une mission suicide un peu à la manière du Spurlock avec son Super Size Me de 2004. Sauf qu’ici la bouffe que notre investigateur avale est à base de L’Amour est dans le pré, Les Anges de la Téléréalité, Un dîner presque parfait,… Autant d’émissions fast-food suivant des logiques commerciales et avilissantes. Le journaliste inaugure un nouveau genre journalistique : le journalisme de canapé. Une pirouette langagière pour définir un journalisme d’investigation, en chausson/pyjama, pizza dans la main droite, bière blonde dans la main gauche, tout en tentant d’explorer la myriade de programmes télévisés axés sur les dits consommateurs toujours friands d’émotions.

L’exhibitionnisme forcené

La télévision est bien évidemment un merveilleux outil de propagande et de formatage des consciences. Là n’est pas la question. Il s’agit de la direction qu’on lui assigne, de savoir quel est le public que l’on vise et vers quoi l’on le tend : vers l’autonomie de la pensée ? La conscience citoyenne ? L’information utile ? L’apaisement social ou l’asservissement ? La vacuité, le nombrilisme et la peur de l’autre ?

Samuel Gontier fouille dans les émissions dites de société, celles censées présenter les vrais sujets du quotidien des Français. Jean-Luc Delarue est le premier jugé. Le journaliste le considère comme étant le précurseur des ces programmes jouant avec nos émotions comme des balles de ping-pong. Ça se discute inaugure le bal de l’exhibitionnisme. « L’animateur devient le champion du chantage à l’émotion », souligne Gontier. C’est l’apogée de l’intimité déballée en public, des solutions biscornues à des situations qui le sont tout autant, une thérapie de groupe devant quelques millions de téléspectateurs. On retrouve ce voyeurisme forcené dans des émissions comme Toute Une Histoire, Tellement Vrai, Pascal le Grand frère,…

Autre divertissement de masse, au vu de l’audimat qu’il engendre, le sport, qui s’inscrit complètement dans la ligne politique et éditoriale des grands groupes télévisés par le côté fédérateur et émotionnel de ses programmes. On peut citer comme exemple l’Euro 2016 qui a réussi le tour de force d’aseptiser la colère d’une partie des Français exprimée par rapport au projet de loi controversé de la Loi Travail et l’utilisation du 49.3 par le gouvernement. La diffusion des matchs de foot a pu faire diversion quelques semaines. « Nos champions ont ceci d’exceptionnel qu’ils procurent moult effusions de joie et de bonheur dans un monde triste et inquiétant. C’est ainsi qu’ils parviennent à mettre la main sur des JT entiers », renchérit Samuel Gontier.

La télévision est-elle sexiste et misogyne ?

« Oui », répond Samuel Gontier qui considère que les femmes sont chosifiées par les annonceurs comme de potentielles acheteuses répondant au modèle archaïque de la famille traditionnelle (le mari qui travaille et la femme au foyer). C’est la femme RDA (responsable des achats). Les mots sont lourds : grivoises, pimbêches, capricieuses, soucieuses de leur apparence. La femme est visée consciemment (par le biais des émissions de télé-achat) ou inconsciemment (Koh-Lanta).

Pourquoi Koh-Lanta ? La popularité de l’émission se joue sur la compétitivité, mettre des hommes et des femmes en situation de survie et les regarder s’unir ou se déchirer entre eux. Une édition opposait les filles aux garçons. « Un choc », nous prévenait Denis Brogniart, l’animateur phare du programme. Il n’y va pas de main morte, tous les clichés y passent. « Avant de passer à table, ces messieurs souhaitent établir une hiérarchie pour plus d’organisation, ce qui est masculin, il faut bien le dire ». Merci Denis !

La télévision ne me reconnaît plus

La télévision, avec l’avènement d’Internet, des chaînes d’infos en continu, des réseaux sociaux, a connu des bouleversements considérables. Samuel Gontier y voit la naissance d’un effet boule de neige : ce qui est sans intérêt, risible, inutile, insignifiant, fait la Une et occulte les informations importantes et pertinentes. « Toujours dans le souci de plaire au plus grand nombre, souligne le journaliste. La hiérarchie de l’information télévisée accorde la plus grande importance à l’insignifiance ». Il y a une sorte de distorsion de la réalité, accrue par la mise en valeur des faits divers, des informations dites « insolites« , qui colonisent nos écrans. Place à de nouveaux genres de populisme et de démagogie. Résultat : il y a un décalage entre les téléspectateurs et les programmes télévisés.

Le plaisir simple de se retrouver devant un programme où l’on se reconnaît s’évanouit peu à peu, laissant place à une société de divertissement démesuré, soumis à la loi rigide de l’audimat. La télévision ne se conçoit désormais que dans une forme d’étroitesse d’esprit, d’uniformisation de la pensée. Les médias nous abreuvent d’enquêtes d’opinion, sondages et micro-trottoir censés nous représenter alors qu’on peut leur faire dire tout ce que l’on veut.

Pamphlet à l’humour ravageur, l’ouvrage de Samuel Gontier est à lire sans modération, ne serait-ce que pour profiter du travail de fourmi du journaliste et des séquences aujourd’hui introuvables et souvent oubliées, la télévision ayant tendance à produire des contenus qui disparaissent aussi vite qu’ils ont été diffusés.

Jimmy SAINT-LOUIS

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