Nappy et fière de l’être. Le mot signifie « crépu » mais il a été détourné en contraction de « natural and happy » (naturel et heureux). De plus en plus de femmes noires sont devenues adeptes du retour au naturel de leurs cheveux crépus. Michaël Mouity Nzamba en a fait une plateforme unique en France. 

Ce matin à Aubervilliers, dans le quartier Sadi Carnot, Binta accueille chez elle Christelle, sa première cliente de la journée. « Le plus souvent je me déplace à domicile, mais il m’arrive de recevoir chez moi et dans ce cas, la cliente paie moins cher. Mais c’est à elle de choisir », raconte cette coiffeuse de 33 ans née au Cameroun. Depuis qu’elle a dix ans, Binta manie le cheveu. Elle n’a jamais autant travaillé que depuis son inscription à la plateforme Be Nappy il y a quelques mois, un site de réservation de coiffure afro à domicile ou chez la coiffeuse, qui lui permet de vivre de son activité. Le nombre de ses clientes a quasiment doublé.  la plateforme met en relation des coiffeuses spécialistes du cheveu africain avec des femmes désireuses de conserver leurs cheveux frisés.

nappyOK.jpgChristelle, 19 ans, a déjà choisi sa coiffure. Quelques jours plus tôt sur le site, elle a sélectionné sa prestation et a payé en avance la somme de 50 euros. « C’est très pratique de tout régler avant », sourit la jeune femme. Elle a fait son choix, ce sera des box braids, des nattes qui partent de la racine des cheveux, avec au bout des rajouts tressés. Plutôt simple en apparence mais même avec une longue expérience, il faut compter environ quatre heures de travail. Sur un fond de musique africaine, Binta, dans son boubou coloré s’affaire. Avec aisance, elle entremêle les mèches et fait apparaître des tresses fines et régulières.

« S’assumer comme on est ! » 

« C’est tout de même plus joli qu’une chevelure défrisée », lance Binta. Le défrisage, elle l’a en horreur. Elle le refuse même à ses propres filles. « J’ai vu les dégâts de cette méthode sur les cheveux, souligne-t-elle. Il faut surtout s’assumer comme on est, et ne pas dénaturer son cheveu ». Binta, comme toutes les coiffeuses du site, ne réalise que des coiffures dites « naturelles ». C’est la condition pour faire partie de l’équipe.

Le fondateur de l’interface, c’est Michaël Mouity Nzamba. Cet entrepreneur franco-gabonais de 29 ans vit à Nice mais se rend souvent à Paris. C’est dans la capitale que se concentrent ses activités. Il rencontre des investisseurs pour développer son interface, donne des interviews à la presse, recherche des partenaires d’évènements. Fin 2016, son site a d’ailleurs participé à l’organisation de l’élection miss Mali-France à Paris. « Je fais en sorte que le service fourni soit de qualité. Si ma cliente n’est pas contente, je demande un recoiffage ou un remboursement », explique-t-il.  Et des clientes, il y en a beaucoup. Dès sa mise en ligne en janvier 2015, Be Nappy connaît un grand succès. En quelques mois, le compte Facebook compte déjà près de 22 000 abonnés. Chaque jour, environ 25 clientes prennent rendez-vous à domicile sur le site.

« L’interface est très intuitive, on trouve rapidement ce que l’on veut », indique une nouvelle cliente. « Les prestations sont bonnes et les filles sont toujours sympas. Puis Michaël veille au grain ! », confie une habituée.  Les clientes ne sont pas les seules à trouver leur compte. Pour les coiffeuses Be Nappy, l’avantage financier n’est pas négligeable. « On a peu de frais contrairement à ceux qui ont des salons et qui doivent payer des loyers, des charges, des salaires. Même en tant qu’employée dans les salons, les commissions s’élèvent entre 30% et 40% », explique Binta. Au sein de Be Nappy, le montant de la commission prélevée par Michaël est de 10%. Les coiffeuses Be Nappy bénéficient également d’une bonne visibilité et d’un réseau étoffé. Le montant des prestations varie entre 30 euros pour une coiffure simple à 90 euros environ pour des locks. En quelques clics, pas de prise de tête ni de crêpage de chignon, on sélectionne la coiffeuse de son choix, la prestation, puis la date et le lieu. Le paiement se fait en ligne et le tour est joué. « L’avantage avec cette plateforme, c’est que la cliente évite les 30 minutes d’attente moyenne dans les salons, avance Michaël Mouity Nzamba. Et de leurs côtés, les coiffeuses sont assurées de la venue des clientes puisque le paiement est fait en amont. Il n’existe aucun autre service de ce genre en France ».

« Comme si les femmes aux cheveux crépus ne pouvaient pas être belles au naturel »

Michaël Mouity Nzamba est né au Gabon où il a vécu jusqu’à ses 17 ans, avant de venir étudier à Paris avec ses frères et sœurs. Ses parents sont restés au pays, tous les deux à la retraite aujourd’hui. Sa mère était professeur d’anglais et son père, ancien diplomate et professeur de philosophie à l’université. Son père, son « héros » comme Michaël l’appelle, lui a transmis des valeurs  auxquelles il continue de croire. La famille de Michaël a été de nombreuses fois victime de tentatives d’intimidation, mais les parents ont toujours résisté, et ont campé sur leurs positions. Pour Michaël il n’y a pas de hasard, c’est de là qu’il tient son esprit fort et combatif.

Cette expérience du cheveu est nouvelle pour lui. Lui-même n’est pas coiffeur, ce sont toutes les femmes de son entourage qui l’ont aiguillé sur les attentes des clientes. « Je me suis beaucoup investi », confie Michaël. Son idée lui vient après son constat que la plupart des femmes noires en France mais surtout en Afrique, ont les cheveux lisses. Pour lui, cette mode correspond à des codes esthétiques occidentaux. « Comme si elles ne pouvaient pas être belles au naturel », argue Michaël. Selon lui, c’est une sorte d’aliénation et il aimerait les en délivrer. Il n’est pas le seul à penser ainsi. Des activistes, des citoyens lambda, mais aussi des sociologues espèrent un retour au naturel.  C’est le cas de Juliette Sméralda, une sociologue martiniquaise, qui  a consacré un essai intitulé « Peau noire, cheveux crépus, l’histoire d’une aliénation » publié en 2005, une étude anthropologique et psychologique pour retracer « le cheminement de l’image de soi » dans la diaspora noire. Dans cet ouvrage, la sociologue explique que l’invention du défrisage remonte à l’esclavage. Les mères espéraient que leurs enfants ne soient pas trop noirs, que leurs cheveux ne soient pas trop crépus afin qu’ils aient une chance de survivre. Ce sont elles qui auraient mis au point les premières techniques de défrisage. Toujours d’après le livre de Juliette Sméralda, même si les femmes d’aujourd’hui pensent être libres de leurs choix esthétiques, l’usage généralisé des défrisages et des perruques prend sa source dans ce passé tragique. « Par la pratique du défrisage, il s’agit de soustraire les cheveux à la tyrannie du regard qui pénalise socialement. Crépu étant synonyme de disgrâce, d’imperfection (…) ce cheveu-là doit disparaître« , écrit-elle.

En Île-de-France, à Lille et à Bordeaux, bientôt Lyon

Sur les réseaux sociaux, les polémiques sont nombreuses à ce sujet. « Non je ne cherche pas à ressembler à une blanche », « Et Michelle Obama et Beyoncé, elles sont noires et assumées, leurs cheveux ne sont pas naturels ! », « c’est juste que le défrisage c’est beaucoup moins d’entretien » arguent les adeptes du défrisage. En tout cas, toutes semblent d’accord pour dire que les spécialistes, qui savent coiffer le cheveu crépu au naturel ne courent pas les rues.

Michaël s’est étonné de faire le même constat après quelques études. C’est pourquoi il a procédé à un recrutement très sélectif. Sur les 500 candidates testées, seules 30, maîtresses dans l’art du nappy ont été choisies pour être référencées.  Aujourd’hui,  son affaire ne lui permet pas aisément d’en vivre mais il a bon espoir, car les demandes continuent d’augmenter et le potentiel, dit-il, encore inexploité L’étude de marché qu’a lancé Michaël avant de commencer, a révélé qu’à elle seule, l’Ile-de-France concentre 120 000 clientes potentielles. Aujourd’hui, la plateforme est accessible en Île-de-France, à Lille et à Bordeaux. Il aimerait, dans les prochains mois, étendre ses services dans d’autres grandes villes françaises, comme Lyon. A plus long terme, l’entrepreneur a des projets plus ambitieux. « J’aimerais développer cette interface sur le continent africain où là-bas, les clientes seraient ravies de bénéficier de l’organisation d’un service  de qualité ». Pour lui, s’implanter en Afrique serait une sorte de consécration, une façon de boucler la boucle.

Soumaya LAALOU

Crédit photo : Julien Autier

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