Lundi 6 mars a démarré à la cour d’assises de Paris le procès en appel du policier accusé d’avoir tué d’une balle dans le dos Amine Bentounsi, le 21 avril 2012 à Noisy-le-Sec. Au cours du premier procès en janvier 2016, Damien Saboudjian a été acquitté. Plus d’un an après, alors que l’affaire Théo ou encore Adama Traoré sont encore dans toutes les têtes, le verdict pourrait, cette fois, être lourd de sens.

Plus d’un an après, comment se sent-elle ? « Toujours pareil. Je suis déter ! », lâche Amal Bentounsi, les traits tirés, en sortant du palais de justice de Paris. Ce lundi 6 mars s’est ouvert le procès en appel du policier qui a tué son frère, Amine Bentounsi, dans sa fuite, en 2012. Une balle dans le dos. A l’époque, le jeune gardien de la paix avait été mis en examen pour homicide volontaire. En janvier 2016 cependant, il est acquitté par le tribunal de Bobigny. « Légitime défense », conclut la cour.

Une version contestée depuis le départ. Pour beaucoup, l’affaire est devenue emblématique de l’impunité policière. Jusqu’à ce vendredi, la cour d’assises de Paris écrira la suite d’une histoire qui avait enflammé le débat en plein milieu de la dernière élection présidentielle. A sept semaines de la prochaine, alors que ce qui est arrivé aux jeunes Adama Traoré et Théo L. a jeté une lumière crue sur les violences policières, l’issue de ce procès pourrait être hautement symbolique.

Quand l’Inspection générale des services vient contredire la version du policier tireur

Samedi 21 avril 2012. La veille du premier tour de l’élection, la France a les yeux rivés sur le duel qui se profile entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. Dans les rues de Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, Amine Bentounsi tente désespérément de semer les quatre policiers qui l’ont pris en chasse, aux alentours de 20h30. Il est recherché. Après une permission, il n’a pas réintégré le centre de détention de Châteaudun, où il purgeait une peine pour vol à main armée. L’une de ses onze condamnations. Un agent le poursuit en voiture, trois autres à pied. Le véhicule dépasse le fugitif et tente de lui barrer la barrer la route. Quatre coups de feu claquent sous le ciel nuageux. Amine Bentounsi s’effondre, face contre terre. Une balle est venue perforer son artère rénale droite et lui a touché le foie. Quelques heures plus tard, il succombe à ses blessures. Il avait 29 ans.

Le gardien de la paix est mis en examen dans la foulée. Homicide volontaire. Deux versions s’affrontent. Celle de Damien Saboundjian, auteur des coups de feux. Il affirme avoir agi en état de légitime défense. Le soir de la course-poursuite, l’homme en fuite aurait lancé une grenade en direction de la voiture dans laquelle le policier le poursuivait. L’arme était factice. Enfin, Amine Bentounsi aurait braqué son revolver sur son poursuivant poussant le policier a tiré. Ce lundi, l’enquêteur à la barre reprend le rapport d’enquête de l’Inspection générale des services (IGS), la police des polices, qui vient contredire cette histoire. Plusieurs témoins de la scène y affirment avoir vu un homme courir derrière le jeune en cavale, le bras tendu, puis avoir entendu des tirs. Selon le rapport du médecin légiste, « le tir est quasi horizontal, d’arrière en avant, quasi perpendiculaire au corps ». Conclusion : Damien Saboudjian lui aurait tiré une balle dans le dos alors qu’il fuyait. Et là, ça n’a plus rien à voir avec de la légitime défense.

« Un tir de légitime défense avec un orifice d’entrée dans le dos, ça pose un problème que tout le monde peut comprendre »

Me Merchat, avocat de la défense, cours d’assises de Paris, 6 mars.

Parce que c’est bien de légitime défense dont il va s’agir toute cette semaine. « Un tir de légitime défense avec un orifice d’entrée dans le dos, ça pose un problème que tout le monde peut comprendre », souligne le président de la cour d’assises de Paris. L’accusé est en pleurs. Toujours policier mais interdit d’exercer sur la voie publique et de porter une arme, il est aujourd’hui opérateur radio pour le 17. Il risque toujours 20 ans de réclusion criminelle pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Pas un jour où il ne pense pas à ce « qui s’est passé, affirme-t-il, Depuis, je vis avec un mort sur la conscience ».

Il y a moins d’une semaine, entrait en vigueur la nouvelle loi de sécurité publique, assouplissant les règles de légitime défense pour les policiers. Me Merchat, avocat de la défense, l’a versée au débat à l’ouverture de l’audience. Pour l’avocat de la partie civile, il ne s’agit justement pas de légitime défense. « Cette loi ne change rien puisque la vie du policier n’a jamais été menacée », explique-t-il. L’avocat relève aussi que « pas un mot n’a été prononcé sur l’état du blessé » par des fonctionnaires plus soucieux de leur carrière que du sort d’Amine Bentounsi.

Autre élément de l’enquête, la réaction du gardien de la paix après avoir tiré : paniqué, recroquevillé et en pleurs. Arrivé le premier sur les lieux après le tir mortel, Zejloko Ilic, alors chef du service de nuit au sein de la police départementale de Seine-Saint-Denis, décrit un homme « choqué » qui tenait des « propos confus, décousus, saccadés ».

Amal Bentounsi, une figure de la lutte contre l’impunité policière

Amal Bentounsi, sœur aînée d’Amine Bentounsi, cour d’assises de Paris, 6 mars.

Amal Bentounsi, 42 ans, est la sœur aînée d’Amine. Rien ne la prédestinait à devenir militante. Et pourtant. « J’y ai sacrifié cinq ans », confie-t-elle à la sortie du premier jour de l’audience, ce lundi soir. Durant des mois, après le drame, elle fait le pied de grue devant le commissariat de Noisy-le-Sec et sillonne les rues de la ville pour y trouver des témoins. Avec le temps, elle est rejointe par d’autres qui ont choisi la voie des armes juridiques pour rétablir la justice. Des noms qui tournent déjà en boucle depuis des années s’associent au sien, comme celui de Lamine Dieng, ou bien des anonymes. Elle fonde le collectif Urgence, notre police assassine (UNPA), qui lutte contre les violences policières, soutient, conseille et accompagne les familles pour les aider à faire valoir leurs droits.

Là, il ne s’agit plus seulement de son petit frère, dont elle n’en fait pas un ange. Il s’agit de lutter contre l’impunité dont jouit la police quand elle doit répondre de ses actes face à la justice. Cette « affaire Bentounsi » devient un emblème de ce combat et Amal en devient l’une des figures de proue. « Mon frère n’est pas un cas isolé, assure-t-elle. Ce procès, c’est celui de l’impunité de la police. Mais juste le fait que le policier soit là, devant la cour d’assises, et qu’il en souffre encore, c’est déjà une petite victoire pour moi ».

Alban ELKAÏM

Crédit Photo : Frédéric BERGEAU

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