[LES BÂTISSEURS] A l’occasion de Pessah, des jeunes Français musulmans et juifs ont passé une matinée riche en échanges dans une synagogue du 15ème arrondissement de Paris grâce au programme Sadaqa-Tsedaka de la Fondation for Ethnic Understanding. Le Bondy Blog y était. Reportage.

Il est 10h et déjà, dans la grande salle de la synagogue Beaugrenelle dans le 15ème arrondissement de Paris, plusieurs tables à nappes blanches sont dressées, couvertes de plateaux du Séder, le repas traditionnel de Pessah, la Pâque juive. Nous sommes au 4ème étage de la synagogue MJLF, le mouvement juif libéral de France.

Les 6 jeunes Juifs, tous volontaires, sont prêts pour la mise en place de l’atelier calligraphie. C’est le programme Sadaqa-Tsedaka qui en est à l’origine, un projet mis en place et financé par la Fondation for Ethnic Understanding dont Samia Hathroubi est la directrice de la branche européenne. Faire connaissance en s’appropriant la langue de l’autre, tel est le principe de cette matinée. C’est au tour des jeunes de Sevran d’arriver, accompagnés de l’un des initiateurs du projet : Yacine Hilmi, directeur de l’institut de formation HOZES basé à Sevran. L’association forme les imams et propose des cours en arabe. Avec Revital Berger Schloman, membre du MJLF et directrice du Talmud Tora, ils participent tous deux au dialogue interreligieux, et ce, sans limite d’âge. Les encres noires et les calames, ces roseaux taillés en pointe pour la calligraphie arabe, s’échangent joyeusement.

Revital Berger Schloman est féministe. Tout en s’appliquant à écrire la lettre « Alef », elle raconte les avancées de la place de la femme dans son culte. « Deux des trois rabbins du mouvementMJLF à Paris sont des femmes et les filles lisent même la Torah le jour de la Bar Mitsva », explique-t-elle. Elle explique les avancées que propose le mouvement libéral : il suffit que l’un des grands parents ou parents soit juif pour que l’enfant le soit, ce qui pour les orthodoxes est inconcevable puisque la religion se transmet par la mère.

La calligraphie comme outil de connaissance mutuelle

Atelier calligraphique mis en place par la « Fondation for Ethnic Understanding », synagogue Beaugrenelle, Paris 15ème.

Sur la rangée en face de Revital, Simon Freeman, 16 ans, essaie d’écrire son prénom en arabe. Il habite le quartier et a apprécié la dernière activité proposée par le programme. Avec le groupe, ils ont confectionné 50 paniers repas pour les sans-abris en partenariat avec l’association de dialogue inter-religieux « Les Voix de la Paix ». Il raconte aussi les activités réalisées grâce à la synagogue comme ce voyage en Israël durant lequel il a été marqué par la rencontre avec des habitants druzes, une composante de l’islam chiite. La calligraphie n’est pas une partie de plaisir pour tous. « C’est une catastrophe. Pourquoi ça ne veut pas écrire ? » lance, Alexia, désemparée.

Les Sevranaises, âgées de 12 ans, s’en sortent : Salma, de l’autre côté de la table, se rappelle de son enseignement à la mosquée, Ikrame se débrouille aussi. Haja, elle, rigole quand elle entend Oren Giorno, 30 ans, le responsable jeunesse de la Synagogue dire : « Je tiens à dire que dans mon prénom, y’a un woow (la lettre waw) ». Eclats de rire ! Et un combat est enclenché entre les A des alphabets arabes et hébreu: « Votre alif est tendu », » Et vous, votre alef est tordu, on dirait un x ». Celle qui prononce ces mots c’est Julie Roubah, l’animatrice en calligraphie. « Les alphabets se ressemblent beaucoup. La lettre « noun » par exemple est la même des deux côtés ». Julie est assez bluffée par l’investissement des jeunes dans cet atelier. « Ils sont tellement motivés dans la compréhension qu’ils veulent aller trop vite« . Née à Alger, elle est arrivée en France à 15 ans. Elle apprend l’arabe et use de son art pour transporter son autre langue, l’hébreu. Elle a été sous les ailes de Frank Lalou, considéré comme un maître dans l’écriture hébraïque et Hassan Massoudi, génie irakien de la calligraphie arabe.

« A la première rencontre, dans une salle, il y avait un énorme tableau. J’ai commencé à écrire mon prénom en hébreu et l’une des filles de Sevran a répliqué en arabe. On s’est demandé comment écrivait l’autre », explique Oren Giorno. Oren a grandi dans le 91 et vit maintenant dans les Yvelines. Il se rappelle avoir été le seul juif de sa classe. « Il est nécessaire de se réunir pour se rencontrer et déconstruire les préjugés « , précise Yacine Hilmi.

Il est 12h et les fidèles prennent place dans la grande salle pour commencer les préparatifs du rituel du séder de Pessah. Le rabbin, Yann Boisière, par ailleurs fondateur des Voix de la Paix, commence ainsi : « Regardez comme c’est bon d’être ensemble entre frères ». Noah Ben Soussan, l’une des participantes, 14 ans, Parisienne, est animatrice à la synagogue. Elle m’explique ce que comporte le plateau de Séder : persil, eau salée, matza (un pain non levé), jus de raisin rouge (office de vin), œufs qui sont consommés afin de célébrer la sortie d’Egypte. « Les jeunes du groupe se sentent bien. Pourquoi les adultes ne se sentiraient pas ainsi ? », se demande Noah.

Découverte d’un rite   

Les jeunes filles de Sevran prennent plaisir à découvrir le rituel, curieuses de comprendre les différences. Comme pour tout rite, il y a un certain nombre de règles à respecter. Un fidèle, la trentaine, échange avec les filles et s’improvise intermédiaire pour le reste de la cérémonie. Les familles sont présentes. Tout le monde participe. Les jeunes sont invités à lire des passages du manuel pédagogique de la célébration. Le rabbin est très pédagogue : il pose des questions et tout le monde est invité à répondre, même les parents. On remercie les jeunes invités de Sevran de leur présence qui se lèvent pour recevoir les acclamations.

Les enfants entonnent le chant des nombres et entame une chorégraphie religieuse, imitant les dix commandements par exemples. Salma et Haja ne comprennent pas grand chose mais imitent les mouvements. Elles sont plutôt contentes de pouvoir intégrer ce groupe par la musique. Les jeunes juifs sont portées par le dernier chant, célèbre, « Al Kol élé ».

Pour Yann Boissière, la rencontre réelle est d’une importance capitale. « Plus on se rapproche concrètement, plus on casse les préjugés. Et on espère que quelque chose se passera ». Le projet pilote fonctionne bien et dans les mois à venir, au moins quatre autres villes françaises offriront cette possibilité à d’autres jeunes. Samia Hathroubi est convaincue de l’utilité de ce programme. « L’objectif est de mettre en commun nos forces par des actions de solidarité. Il faut déconstruire les préjugés selon lesquels juifs et musulmans sont voués à se haïr parce que nous le voyons à chaque fois, ce n’est pas le cas ».

Yousra GOUJA

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