Des centaines de Sénégalais originaires d’Europe et d’Afrique se sont rassemblés fin janvier à Aulnay-sous-Bois pour rendre hommage au Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie des Mourides. Le Bondy Blog s’est invité à la cérémonie. Reportage.

En ce dimanche de la fin janvier à Aulnay-sous-Bois, ville de la banlieue parisienne (Seine-Saint-Denis), ils sont nombreux à avoir fait plusieurs centaines voire des milliers de kilomètres, depuis le Sénégal, la Gambie, et d’autres pays d’Europe comme l’Italie ou les Pays-Bas. Dans cet espace loué par le collectif des Mourides de France, à l’initiative de l’événement, situé près de la place Mercure, deux grandes salles accueillent les centaines d’adeptes du mouridisme, une confrérie musulmane fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, Sénégalais né vers 1850. Sa philosophie : « Travaille comme si tu ne devais jamais mourir et prie comme si tu devais mourir demain ! » Les fidèles vont célébrer durant toute une journée, dans une ambiance à la foi familiale et spirituelle, les enseignements du Cheikh.

Aux étages, six chambres où séjournent gratuitement quelques fidèles ; d’autres ont pu compter sur la solidarité de la diaspora pour se loger ou sont restés dans la maison de l’association des Sénégalais communément appelé Ker Serigne Touba, à quelques mètres de là. À l’extérieur, une cour permet à la communauté de cuisiner durant cette journée de rassemblement. Certains sont là depuis déjà deux jours. À l’intérieur, l’ambiance est empreinte de solennité et de spiritualité. La journée, dédiée aux œuvres de Serigne Touba, autre nom du Cheikh, est placée sous le signe du recueillement. Comme le veut la tradition, femmes et hommes sont séparés. Tous les âges sont représentés. Un point commun : petits et grands sont vêtus de leur plus belle parure pour l’occasion.

Lecture du Coran et de poèmes du Cheikh

Hommage au Cheikh Ahmadou Bamba, à Aulnay-sous-Bois.

D’immenses photos du marabout, mises en valeur par des jeux de lumière impressionnants, ornent les murs de la grande salle. Allongés, assis ou accroupis sur les grands tapis colorés, les fidèles se serrent dans la pièce déjà pleine à craquer, alors que la cérémonie d’hommage a commencé dès 8 heures, sous l’ordre de Serigne Hamzatou M’backé, petit fils de Serigne Touba. Il faut dire que toute la communauté mouride, ou presque, n’avait aucune envie de rater cette fête. La joie et la gaieté se lisent sur chacun des visages.

La journée culturelle s’ouvre par une lecture du Coran, comme lors des trois dernières éditions qui se sont déroulées en Espagne, au Brésil et en Allemagne. Le choix de la ville d’Aulnay-sous-Bois, dans la banlieue parisienne, n’est pas due au hasard : c’est la « capitale » des fidèles de la confrérie en France, la ville où s’est installé le collectif des Mourides. Après le Coran, place à la célébration des poèmes du Cheikh, à la fois guide spirituel et grand intellectuel.

L’heure de l’exil

Le grand Ssoufi musulman est une figure respectée partout en Afrique. Le mouridisme se développe entre le Sénégal et la Gambie à une époque où les deux pays sont régis par l’administration française pour le premier et l’empire britannique pour le second. Alors que le nombre de disciples ne fait que grossir, des milliers de personnes venant de toute l’Afrique, sans distinction d’origine, convergent vers le Cheikh ; les rapports avec les colons, qui craignent une agitation politique, se tendent. En 1891, les Mourides sont dispersés de force, le Cheikh est forcé à l’exil accusé par l’Administration de « troubler l’ordre » en rameutant autour de lui les mécontents. Toute sa vie, Ahmadou Bamba sera en butte aux persécutions et souffrira l’angoisse de l’exil.

Dans ses écrits, le Cheikh incitait la population à suivre le droit chemin et rappelait les recommandations du prophète Mohamed. Les valeurs de spiritualité mais aussi de travail et de discipline forgent la philosophie du mouridisme. Une valorisation du travail d’ailleurs très nouvelle à l’époque, où ceux qui travaillaient étaient considérés comme inférieurs, en raison du système de castes issu des royaumes wolofs. Il y a d’abord le travail physique d’une part – celui fait pour gagner sa vie -, le travail d’ordre religieux et enfin un troisième travail qui est le fait de rendre service à la diaspora à laquelle on appartient. C’est à partir de cette pensée que s’est développée la confrérie, d’une part à l’intérieur du Sénégal, mais aussi à l’extérieur.

« Travailler ensemble sur les valeurs communes du mouridisme »

Préparation du repas lors de l’hommage au Cheikh Ahmadou Bamba, Aulnay-sous-Bois.

Quelques discours rappelant les enseignements du Cheikh, la récitation de poèmes (les « khassaïdes« ) et les lectures du Coran viennent briser le silence religieux qui plonge les fidèles dans un recueillement absolu. Vient ensuite le repas : un immense couscous préparé par les petites mains d’une poignée de disciples et accompagné de boissons sucrées, de café et de thé. « Nous sommes bien accueillis dans une ambiance très chaleureuse, souligne Ibrahima, qui vient spécialement d’Amsterdam pour l’occasion et pour qui c’est la troisième édition après l’Allemagne et l’Espagne. Il est du devoir de notre communauté de travailler ensemble sans concurrence sur les valeurs communes du mouridisme et sur ce que le Cheikh nous a légué ».

« Nous sommes réunis, hommes et femmes, grands et petits, dans ces moments propices et de communion pour célébrer les textes d’Ahmadou Bamba. Cette initiative du groupe de « dialibatou Marakhibe » [ndlr. Du nom d’un des poèmes du Cheikh et autre nom du collectif des Mourides de France] de nos frères et sœurs nous rassemble et nous rappelle notre rôle au sein de la confrérie mouride« , explique de son côté Moustapha. Vers 15 heures, des hommes se placent en rond et récitent des poèmes, des chants qui s’étendent à des kilomètres grâce aux hauts-parleurs placés sur les toits de l’immeuble.

Devoir d’exemplarité

Tenue traditionnelle de vigueur à la journée d’hommage au Cheikh Ahmadou Bamba, Aulnay-sous-Bois.

Saliou, lui, est un Sénégalais de la diaspora, originaire d’Italie. Cette journée d’hommage, il ne l’aurait ratée pour rien au monde, essentielle, selon lui, pour réunir les troupes dispersées aux quatre coins du monde. « Ce qui me marque le plus aujourd’hui, c’est ce lieu et la diversité des personnes qui l’occupent. Je souhaite vraiment que nous, disciples du Cheikh, soyons exemplaires. Nous devons nous comporter comme de véritables Mourides en respectant les règles de chaque pays qui nous accueillent ».

« Je n’ai jamais assisté une journée aussi importante de recueillement, de joie dans les cœurs. C’est une journée remplie de bienfaits, s’exclame Aïcha, qui tient à remercier les organisateurs de l’événement. À travers cette journée, j’ai fait pas mal de connaissance. On doit encore multiplier ces initiatives pour faire davantage connaître aux gens qui était le Cheikh ». Les fidèles sont unanimes sur l’importance de poursuivre cet hommage afin de revaloriser le patrimoine historique de la figure du Cheikh et de ses enseignements. Aïcha en est persuadée. « Forums, conférences, tables-rondes… Continons à répandre nos valeurs ! »

Kab NIANG

Crédit photo : Vitor CERVI

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