Samedi 18 mars, le Bondy Blog a reçu dans ses locaux Fabrice Arfi, journaliste et responsable des enquêtes à Mediapart, pour une Masterclass. Pendant plus de trois heures et face à une trentaine de participants, le journaliste de 35 ans, qui se décrit comme un « plumitif », a évoqué son parcours, ses enquêtes notamment l’affaire Cahuzac et livré sa vision de la profession.

« Je pense que dans l’histoire des gens qui ont rejoint Mediapart, nous avons tous, de manière directe ou indirecte, une empreinte liée à la défense du journalisme face à des influences très diverses qui essayent de le maltraiter et de l’humilier« . Ce samedi 18 mars, Fabrice Arfi est invité dans les locaux du Bondy Blog pour une Masterclass. Une trentaine de personnes sont présentes et écoutent attentivement le journaliste de Mediapart égrainer son parcours.

C’est à 18 ans, son bac ES en poche, que Fabrice Arfi débute sa carrière en rejoignant le service culture du Figaro, à Lyon, d’abord en stage avant de devenir pigiste permanent. « Un statut particulier : vous êtes mal payé mais vous êtes toujours là« , plaisante-t-il. Le journaliste sera ensuite en charge de la chronique judiciaire du Figaro Lyon, avant de vouloir changer d’horizon. Il travaille alors pour Marie-Claire Rhône-Alpes, des journaux d’annonces légales et fait des émissions pour France 3 Rhône-Alpes. Il collabore aussi avec la presse nationale notamment avec Le Parisien Aujourd’hui en France, Le Monde et sera pigiste police/justice pour l’AFP.

En 2005, son histoire à lui dans laquelle « le journalisme est maltraité » débute. À cette époque, un homme d’affaires lyonnais lui propose de monter un hebdomadaire dans la capitale des Gaules. À seulement 24 ans, il devient donc rédacteur en chef adjoint de La Tribune de Lyon mais les choses ne se passent pas comme prévues. « Très vite, au sein de la rédaction, nous nous sommes rendus compte que celui qui tenait la bourse avait lancé le journal dans le cadre de la prochaine élection municipale pour être un soutien de Gérard Collomb« , raconte-t-il. Après plusieurs cas de censure, les journalistes se mettent en grève. Des têtes tombent : Fabrice Arfi ainsi que deux de ses collègues sont virés.

« Aucune des affaires que j’ai traitée n’a démarré de la même façon »

Fabrice Arfi, lors de la Masterclass du samedi 18 mars au Bondy Blog.

En 2008, Fabrice Arfi intègre l’équipe de Mediapart, quelques mois même avant le lancement du média. Il est aujourd’hui le responsable des enquêtes du pure-player. Fabrice Arfi est souvent décrit comme un « journaliste d’investigation » mais lui a toujours refusé cette étiquette. « Pour moi, il y a deux journalismes : le journalisme d’information et le journalisme de commentaire« . Et d’ajouter : « Je ne dis pas qu’il y en a un qui est meilleur que l’autre. En revanche, je défends l’idée qu’il y a une primauté de l’un sur l’autre, il y a d’abord les faits et ensuite des commentaires« . Naturellement, Fabrice Arfi se classe dans la première catégorie. « Je préfère être ce petit artisan qui arrive avec son histoire et la propose à tout le monde« , explique-t-il.

L’affaire Karachi, l’affaire Bettencourt, l’affaire Cahuzac ou encore l’affaire des financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy… Voici quelques unes des enquêtes au palmarès du journaliste de Mediapart. Comment débute une affaire ? « La recette, c’est qu’il n’y en a pas car aucune des affaires que j’ai traitée n’a démarré de la même façon. Ce qui est excitant dans notre métier, c’est l’intranquillité que l’on procure en publiant des informations qui dérangent mais c’est aussi l’intranquillité de notre propre travail qui ne commence jamais à la même heure et dont on ne sait jamais comment cela va se passer », indique le reporter. « On doit être en mesure de dompter l’imprévu et parfois être comme un montagnard qui est au pied d’une immense falaise et qui ne sait pas quel chemin il doit prendre pour la gravir. C’est le moment que je préfère dans mon travail : je sais qu’il y a quelque chose mais je ne sais pas encore comment y arriver« , complète-t-il.

« Un journaliste doit avoir l’esprit mal tourné »

Pour donner du corps à ses propos, Fabrice Arfi évoque plus en détail l’affaire Cahuzac, du nom de l’ancien ministre du Budget qui a dissimulé de l’argent dans des paradis fiscaux. L’enquête commence  en 2010 avec la révélation de l’affaire Bettencourt et met notamment en cause Eric Woerth, ministre du Budget de l’époque. Jérôme Cahuzac, lui, est alors président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Et selon Fabrice Arfi, les propos que tient Jérôme Cahuzac, membre du Parti socialiste, à l’encontre d’Eric Woerth, ministre de droite, détonnent avec ceux de sa famille politique. Puis en 2014 surgit l’affaire de l’Hippodrome de Compiègne dans laquelle apparaît une nouvelle fois le nom d’Eric Woerth. Jérôme Cahuzac est devenu ministre du Budget. « À chaque fois que Woerth est en difficulté, Cahuzac vole à son secours« , remarque Fabrice Arfi.

Le journaliste de Mediapart se demande s’il y a un lien entre les deux hommes. Il cherche alors à comprendre qui est Jérôme Cahuzac, il retrace son parcours politique, son parcours professionnel, de comprendre son environnement amical, personnel, ses réseaux. « Un journaliste doit avoir des intuitions, des a priori, c’est-à-dire qu’on doit avoir l’esprit mal tourné. Il ne faut pas avoir peur de ses propres a priori car quand on voit juste, ça devient une intuition », affirme ce fils d’une enseignante à la retraite et d’un ancien policier en charge de la lutte contre la corruption et les dérives financières.

Après plusieurs semaines d’investigation et de rencontres, Fabrice Arfi apprend qu’un inspecteur du fisc a tenté, dans les années 2000, d’enquêter sur un compte caché en Suisse de Jérôme Cahuzac. Il apprend ensuite qu’il y aurait un enregistrement dans lequel Jérôme Cahuzac évoque ce fameux compte bancaire. « J’ai réussi à obtenir la copie de ce foutu enregistrement grâce à une bouteille d’Armagnac« , raconte-t-il en souriant. « L’état d’ivresse dans lequel nous étions avec mon interlocuteur n’est pas étranger à mon succès. Il faut parfois savoir tenir l’alcool ! » Quelques semaines plus tard, le scandale éclate. Après quatre mois de dénégations, Jérôme Cahuzac a admis détenir un compte à l’étranger et a démissionné, déclenchant une crise politique.

« Je ne suis pas un juge frustré »

« Je n’ai aucun plaisir à porter l’estocade à quelqu’un. Je n’ai pas de jouissance à dire à quelqu’un que je vais fracasser sa carrière« , se défend Fabrice Arfi face aux critiques de ceux qui l’accusent de vouloir être un procureur. « Je ne suis pas un juge frustré. Mon boulot, c’est de raconter le monde tel qu’il est de la manière la plus honnête possible. (…) Le rôle du journaliste n’est pas de se satisfaire de la parole officielle« , insiste celui qui se décrit à plusieurs reprises comme « un plumitif« .

Fabrice Arfi affirme que les médias doivent être critiqués, que les journalistes doivent avoir en tête les critères de déontologie de la profession chaque jour et qu’ils doivent aussi être en mesure de justifier leurs enquêtes. « Faire une erreur quand on est journaliste, c’est grave mais ne pas la reconnaître c’est pire« , estime-t-il. Fabrice Arfi défend aussi l’idée d’un « journalisme partageur« . « En dehors d’une rédaction, on doit pouvoir mener des enquêtes avec des collègues d’autres médias nationaux voire même étrangers« . À l’instar de l’enquête de Mediapart intitulée « Pédophilie dans l’Eglise : le poids du silence », menée en collaboration avec les équipes de Cash Investigation et diffusée sur France 2.

Kozi PASTAKIA

Crédit photo : Mohammed BENSABER

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