Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées ce dimanche après-midi place de la République à Paris pour rendre hommage à Shaoyao Liu, ce père de famille tué par la police à son domicile le 26 mars dans des circonstances encore très floues. Un recueillement extrêmement émouvant en présence de la famille du défunt qui s’est terminé par quelques tensions entre des jeunes et la police.

Deux cents jeunes ont manifesté en marge du rassemblement près de la place de la République au cri de « Police assassins ».

On ne les a quasiment pas vues partir. Environ deux cents personnes, une très grande majorité de jeunes, parfois même très jeunes, se sont détachées du rassemblement en hommage à Shaoyao Liu pour une manifestation improvisée autour de la place de la République. Quelques uns portent des masques médicaux sur le visage et défilent au cri de « Police assassins ! « . Il est 15h45 environ lorsqu’ils arrivent rue du Temple, beaucoup manifestant pour la première fois. Ils vont au contact des CRS, qui les empêchent de progresser. Quelques projectiles sont lancés en direction des forces de l’ordre, souvent des bouteilles d’eau. En réponse, les CRS lancent du gaz lacrymogène. Les jeunes reculent et décident de prendre la direction de Bastille.

« C’est un rassemblement, pas une manifestation », entend-on depuis la tribune lors du passage près de la place du petit cortège. Rien n’y fait : les jeunes manifestants sont déterminés et continuent leur marche d’un pas soutenu. Ils ne réussiront pas à atteindre Bastille, bloqués de toute part par les forces de l’ordre, avant de faire demi-tour à place de la République accueillis une fois encore par des gaz lacrymogènes. Le face-à-face avec la police durera encore 20 minutes avant que les derniers groupes se dispersent définitivement.

« Mais qui va nous protéger de la police ? »

Rassemblement en hommage à Shaoyao Liu, tué par la police, place de la République, Paris, dimanche 2 avril 2017

Quelques heures plus tôt, le rassemblement en hommage à Shaoyao Liu avait débuté dans un recueillement extrêmement poignant au pied de la statue colossale de Marianne. Rendez-vous avait été donné par les associations de la communauté chinoise à 13 heures. Très vite, la place se remplit et plusieurs milliers de personnes convergent sur l’esplanade. Il y a des couples, des amis venus en petit comité ou en groupe plus fourni, des familles entières aussi. Un chant funéraire en mandarin est diffusé tout le long de la cérémonie. Une grande banderole blanche est accrochée aux barrières installées au pied de la tribune : chacun est invité à y écrire son nom. Tous tiennent une rose blanche, certains ont fabriqué des ciseaux en carton qu’ils brandissent ou des petites pancartes indiquant : « Attention aux ciseaux, la police va vous tuer ». Shaoyao Liu, ce père de famille de 56 ans, tenait des ciseaux au moment où il a été tué par la police alors qu’il se trouvait chez lui. Dans la foule, on aperçoit des banderoles avec les inscriptions « J’aime la France ».

Chan Jan Ji est venue avec son fils de 9 ans, Louis. « Il me pose beaucoup de questions sur ce qui s’est passé. Il me demande surtout : « pourquoi la police a tué ce monsieur ». Malheureusement, nous ne savons pas lui répondre ». Quasiment tous y vont de leur anecdote et de leur expérience de l’insécurité comme Guan Xiaohua, 30 ans. « On a peur. Ma mère a été agressée pour son sac. Depuis, je ne me balade qu’avec cette petite sacoche. Et le soir, quand je rentre du travail, c’est mon mari qui vient systématiquement me chercher à la sortie du métro », raconte cette habitante de La Courneuve. « Mais le problème, c’est qu’aujourd’hui, l’insécurité, c’est la police qui la créée. Mais qui va nous protéger de la police ? », s’interroge une autre manifestante.

« Nous ne sommes pas manipulés par la Chine, merde ! J’en ai rien à foutre de l’Ambassade de Chine moi ! »

Beaucoup d’émotion dans la foule présente en hommage à Shaoyao Liu, place de la République, Paris, dimanche 2 avril 2017.

Sur la tribune installée au pied de la statue, les organisateurs prennent la parole avant l’arrivée de la famille. Parmi eux, Sacha Lin-Jung, restaurateur à Paris, qui demande au micro que toute la vérité et la justice soient faites. Les manifestants répètent à leur tour « Vérité, dignité, justice ». « Nous sommes aussi là pour rétablir beaucoup de vérités parce qu’il y a beaucoup d’informations fausses et dangereuses qui ont circulé dans les médias et les réseaux sociaux », poursuit Sacha Lin-Jung. Il fait allusion aux accusations de manipulation de la mort de Shaoyao Liu par les autorités chinoises. « Il n’y a pas d’organisation mafieuse derrière notre engagement ». Olivier Wang, maire adjoint du 19ème arrondissement, impliqué dans l’événement, pousse lui un coup de colère. « Nous ne sommes pas manipulés par la Chine, merde ! J’en ai rien à foutre de l’Ambassade de Chine moi ». Le jeune avocat lance un appel au président de la République pour réclamer la justice avant de continuer : « Nous ne voulons pas plus que les autres. Nous voulons les mêmes droits que les autres Français car oui, nous sommes Français ».

Olivier Wang, maire-adjoint de la mairie du 19ème arrondissement, avocat, engagé dans l’organisation de cet hommage.

« C’est le moment de prendre nos responsabilités. Nous devons nous exprimer, poursuit Sacha Lin-Jung. Il y a des violences policières qui touchent toute la France, tous les Français ». « Police assassin », crie une dame du public. « Peut-être qu’ils l’ont assassiné, on ne sait pas », rétorque au micro Sacha Lin-Jung.

« Nous sommes là, unis, en tant que soutien pour un homme et non pas un Chinois. C’est un père de famille qui vit en France et travaille en France », lance Sacha Lin-Jung dans une pique adressée à certains médias qui ont appelé Shaoyao Liu « Chinois » notamment dans leurs titres.

Hormis Olivier Wang, aucun élu n’a fait le déplacement. « C’est un regret. D’ailleurs, les politiques sont très silencieux sur la mort de ce monsieur. Mais je crois que s’agissant de cet événement, ils ressentent un malaise, pensant que ce type de mobilisation est communautaire. Ça ne l’est pas. Nous sommes tous concernés par ce dont on parle aujourd’hui ».

« Je suis née en France et ce pays de droit va rendre la justice »

La famille de Shaoyao Liu à leur arrivée. Parmi eux, l’épouse et ses enfants vêtus de blanc en signe de deuil.

14h30, la famille de M. Liu arrive sur la place. Les enfants vêtus de blanc, signe de deuil dans la communauté chinoise, et la mère, effondrée, les yeux bouffis par les larmes, avancent très difficilement vers la tribune .« Il n’y a pas de chaises ? », crie un des organisateurs qui attrape un tabouret de la foule et la tend à l’épouse du défunt. Les proches brandissent haut le portrait de Shaoyao Liu tandis que résonnent les pleurs de la famille.

Les milliers de personnes se recueillent en communion avec la famille, beaucoup pleurent, émus aux larmes par la solennité du moment. Un « Papa », lancé par une des filles de Shaoyao Liu transperce la minute de silence observée sur la place. Un à un, les organisateurs, les proches et quelques manifestants viennent se recueillir devant le portrait du père, déposent une rose et présentent leurs condoléances à la famille. Devant, quelques uns allument les bougies disposées par terre et qui forment les lettres de « Vérité, justice, dignité ».

Une des filles de Shaoyao Liu au micro à la tribune pour remercier les soutiens et demander la vérité et la justice suite à la mort de son père tué par la police.

Au tour des enfants de Shaoyao Liu de prendre la parole à la tribune. Deux de ses filles s’avancent toujours avec beaucoup de difficulté, remercient les soutiens. L’une d’entre elles lance un appel au micro : « Ne risquez pas votre peau pour nous. Je suis née en France et je crois que ce pays de droit va rendre la justice à mon père et à ma famille, et si c’est le contraire, je sais que je pourrais compter sur vous ». La famille quitte les lieux. Avec elle, certaines caméras et journalistes s’en vont aussi. La foule, elle, commence à entonner des « Police assassins » de manière plus forte, plus répétée, les mêmes qui seront scandés quelques minutes plus tard par les 200 jeunes autour de la place. « Nous avons accompagné nos parents, nous nous sommes recueillis en soutien à la famille. Mais nous voulions aussi crier notre colère pour ne pas rester silencieux face à ce crime, nous dit l’un d’entre eux. Cela pourrait arriver à n’importe lequel d’entre nous demain. Les fleurs, ce n’est pas suffisant ».

Nassira EL MOADDEM

Crédit photo : Mohammed Bensaber

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