Le 19 août 1982, à l’occasion de sa session extraordinaire d’urgence sur la question de la Palestine, l’Assemblée générale de l’ONU, « consternée par le grand nombre d’enfants palestiniens et libanais (…) victimes innocentes des actes d’agression d’Israël », a décidé de faire du 4 juin la Journée internationale des enfants victimes innocentes d’agressions. C’est la résolution ES-7/8. Comme chaque année, les militants des Droits de l’Enfant que nous sommes attendons impatiemment la réaction de nos pouvoirs publics ainsi que leur proposition pour en finir avec cette insupportable réalité.

Le but de cette journée : reconnaître les souffrances endurées par les enfants du monde entier, victimes de violences physiques, sexuelles et mentales. Mais cette reconnaissance passe avant tout par des actes, des engagements forts, et une mobilisation de l’Etat.

En France, 2 enfants décèdent chaque jour sous les coups

En France, les enfants victimes de violences – qu’ils soient victimes directes ou témoins – sont, dans leur immense majorité, abandonnés sans protection ni soin. Il est toujours important de rappeler que deux enfants décèdent chaque jour sous les coups. Ces chiffres sont d’ailleurs souvent sous-évalués. 140 000 enfants sont témoins directs de violences conjugales. Selon les estimations, environ 124 000 filles et 30 000 garçons sont victimes de viols et de tentatives de viols chaque année. Ce ne sont pas que des chiffres, ce sont des quotidiens faits de souffrance.D

Dans le monde, un enfant sur quatre a subi des violences physiques, une fille sur cinq et un garçon sur treize des violences sexuelles, un enfant sur trois des violences psychologiques. Nous savons qu’avoir subi des violences dans l’enfance est la principale cause de décès précoces à l’âge adulte, le déterminant principal de la santé 50 ans après, et peut faire perdre 20 ans d’espérance de vie. Selon l’étude des chercheurs Vincent Felliti et Robert Anda, avoir subi des violences dans l’enfance est la première cause de suicide, de dépression, de conduites addictives, d’obésité, de risque de précarité et de risque de subir, à nouveau, des violences.

Bien plus qu’un sujet sociétal, il s’agit d’une problématique de santé publique, reconnue comme tel par l’Organisation Mondiale de la Santé depuis 2014. Il est primordial que les enfants puissent se sentir protégés par les adultes qui les entourent. Cela est encore plus vrai lorsque les adultes les plus proches, ceux que les enfants considèrent comme leurs premiers protecteurs, sont défaillants dans cette protection ou pire, en sont même les auteurs.

Nous sommes encore trop nombreux à porter des œillères

Ce sujet, qui transcende les clivages partisans est éminemment politique : il convoque les représentations de la famille, de la liberté éducative, du rôle de l’Etat et de l’école, des droits de l’enfant, de l’éducation à la sexualité et de la responsabilité dont chacune et chacun d’entre nous est investi envers tous les enfants.

Malheureusement, nous sommes encore trop nombreux à porter des œillères, à ne pas vouloir voir ces violences. Chaque fois que des violences à l’égard des enfants sont médiatisées, chaque cas de mal-traitance continue de nous surprendre et de nous indigner. Pourtant, les violences faites aux enfants sont encore trop taboues.

Cette préoccupation doit se comprendre dans un contexte socio-économique : en France, selon la Croix-Rouge, 3 millions d’enfants vivent en dessous du seuil de pauvreté (soit avec un revenu inférieur à 950 euros par mois). Le taux de pauvreté est, par ailleurs, particulièrement élevé chez les enfants issus de l’immigration. En outre, selon l’Insee, 30 000 enfants sont sans domicile fixe et vivent dans la rue ou dans des centres d’hébergement avec leurs familles.

Chaque année en France, environ 100 000 enfants sont signalés comme étant en danger, généralement maltraités, négligés ou risquant de l’être par leurs parents. Nombre d’entre eux sont confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance : le numéro « Allô Enfance Maltraitée 119 » enregistre, quant à lui plus d’un million d’appels par an.

Interdire explicitement les châtiments corporels au sein du foyer dans la loi

Le Comité des Droits de l’Enfant, chargé de l’application de la Convention internationale, note que les châtiments corporels sont encore fréquents à l’encontre des enfants, aussi bien dans le cadre familial que scolaire. En effet, l’usage de la violence envers les enfants dans le cadre d’un droit de correction n’est pas interdit en France. Une solution pour remédier à ce problème serait d’interdire explicitement les châtiments corporels au sein du foyer dans la loi.

La situation des mineurs isolés étrangers est elle aussi particulièrement préoccupante : 8 000, en 2016, selon le décompte officiel des autorités, venus en France dans l’espoir d’une vie meilleure. Souvent, ils sont placés dans les zones d’attente des aéroports, sans examen précis de leur situation, ni des conséquences de leur renvoi dans leur pays. Lorsqu’ils sont sans connaissance de la langue française, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. La plupart de temps, ils n’ont accès ni à un soutien administratif ni à un soutien psychologique.

Ceux qui parviennent à entrer en France sans toutefois disposer d’un titre de séjour, n’ont souvent pas accès à une formation professionnelle. Délaissés, ils sont livrés à la délinquance, aux trafics, à la prostitution… Il est donc primordial de leur accorder un statut, afin de régler leur prise en charge et, ainsi, favoriser leur intégration sociale, scolaire et professionnelle. En effet, leur condition de migrants ne justifie pas qu’ils soient privés de la jouissance de leurs droits fondamentaux. Les mineurs étrangers doivent bénéficier de l’ensemble des droits garantis par la Convention des droits de l’enfant, au même titre que n’importe quel enfant né ou vivant légalement sur le territoire français.

Quelles propositions pour cette urgence ?

L’enjeu majeur est de lutter contre cette tolérance sociale face aux violences qui sont faites aux enfants. Bien des drames assaillent encore trop d’enfants et de mineurs dans notre monde et en France. Qu’une journée nous le rappelle dans l’année, c’est un premier pas auquel on ne devrait pas rester insensible.

Nous sommes le 4 juin 2017 et comme chaque année, les militants des droits de l’enfant que nous sommes attendons impatiemment la réaction de nos pouvoirs publics, du ministère des Solidarités et de la Santé. Surtout, nous attendons leurs propositions car il nous est insupportable de savoir que demain, comme hier et aujourd’hui, deux enfants mourront victimes de coups.

Muriel SALMONA, psychiatre, présidente de l’association « Mémoire Traumatique et Victimologie« 

Lyes LOUFFOK, auteur de « Dans l’enfer des foyers », éditions Flammarion et membre du Conseil national de la Protection de l’Enfance

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