[#LÉGISLATIVES2017] Le jeune Juan Branco, qui s’est fait connaître pour sa défense de Wikileaks, est candidat France insoumise aux législatives dans la 12e circonscription de Seine-Saint-Denis. Latifa Oulkhouir l’a suivi lors d’un après-midi tractage sur le marché de Clichy-Montfermeil moins à l’aise qu’on pourrait croire. Reportage. 

Sur son profil Facebook, un de ses partisans dit de lui que s’il s’était engagé il y a un an, il aurait apporté à Mélenchon les fameuses 600 000 voix qui lui auraient permis d’être au second tour ! C’est que, comme on le lit partout, il est jeune (même pas 30 ans) et brillant, Juan Branco. Docteur en droit, diplômé de Sciences Po Paris et de l’Ecole Normale Supérieure, il est conseiller juridique de Julian Assange, passé par le quai d’Orsay et la Cour Pénale Internationale. Mais il y a des choses qui ne s’apprennent pas. Comme faire campagne au quartier. L’ambiance qui règne au marché aux saveurs de Clichy-Montfermeil où il est venu tracter ce jeudi 1er juin, est loin de celle des couloirs feutrés des cabinets ministériels. Et comme il n’y a pas d’établissement qui propose une option « s’ambiancer sur un marché de quartier », cela se sent.

Il y a comme une timidité de primo-candidat chez lui. Il n’enchaîne pas les discussions et les poignées de main avec l’aisance des vieux briscards. Il attend que ses militants lui ouvrent la voie. Il essaie de ne pas paraître trop raide dans son costume dont on lui fait remarquer que la veste n’est pas tout à fait repassée. C’est que quelques minutes plus tôt, Juan Branco, disons 1m80, était plié en deux dans une petite citadine de location en train de lire sur Twitter les réactions sur son dernier tractage. Lui et son équipe ont imprimé et collé partout un tweet de Jordan Bardella, le candidat FN, évoquant « l’ensauvagement des banlieues » dans l’affaire Zyed et Bouna. BFMTV l’a contacté pour avoir sa réaction. Stratégie de communication efficace.

« Juan Pablo Escobar ! »

Les gens discutent volontiers avec lui. Son nom à consonance hispanique fait sourire. « Juan Pablo Escobar ! » s’amuse-t-on à le surnommer lorsqu’il passe devant un stand. Le voyant approcher, un groupe de jeunes s’écrie : « Bonjour la République en marche ! » Sûrement la faute au costard, même froissé. « Ah non ! » dit-il en souriant à moitié. La remarque fait écho avec ce qu’il admettait quelques heures plus tôt : « Oui, c’est vrai que moi, ma sociologie à tous les niveaux, c’est Emmanuel Macron ».

Un peu plus loin, dans un éclat de rire un peu gras, quelqu’un lui demandera « hé, t’es PD ou pas ? » En réponse, une pudeur de gazelle. L’ambiance est celle d’un marché. Le désintérêt pour la politique est réel. Et c’est qu’en cette fin de journée de mois de Ramadan, on discute plus volontiers chorba et bricks que législatives. Les gens ont soif, mais ça les intéresse peu de savoir qui va ou non se faire boire les 11 et 18 juin prochains. Une jeune électrice de François Asselineau, vendeuse occasionnelle de miel sous forme de pâtisseries, lui promet de lire son tract et lâche un « mais c’est vous dessus ! » Plus loin, un jeune assure qu’il ne votera pas. « On a voté Hollande, on y a cru et pourtant c’est toujours la même merde ». Il prendra quand même le prospectus qu’on lui tend. Juan Branco avance que Jean-Luc Mélenchon pourrait bien être Premier ministre si la France insoumise l’emporte. En réaction, des regards circonspects.

« J’ai chialé devant avec ma mère et ma sœur et j’ai envoyé un message à Mélenchon en lui disant : ‘tout ce que vous voulez' »

Ce désintérêt, Juan Branco est bien placé pour le comprendre. Jean-Luc Mélenchon a mis du temps avant de le convaincre, dit-il. Les choses se sont passées comme dans une comédie romantique. Ils se rencontrent pour la première fois en mars 2016, sur un plateau télé. À l’écran, Juan Branco tient à montrer qu’il se méfie désormais de la politique et de ceux qui en font. « Il m’a beaucoup dragué, il voulait qu’on se voit le week-end même, mais je lui ai dit que j’étais un traumatisé de la politique », rapporte-t-il. Puis en novembre il y a eu la victoire de Fillon, et « Macron qui était en train d’instrumentaliser le système ». « Alors j’ai appelé Mélenchon, on s’est vus et il m’a fait un check-up pendant 5 heures sur tous les sujets politiques ». Le discours de Marseille au mois d’avril 2017 achèvera de le convaincre. « J’ai chialé devant avec ma mère et ma sœur et j’ai envoyé un message à Mélenchon en lui disant : ‘tout ce que vous voulez' ». Début de la lune de miel.

Pour ces législatives, on lui a laissé le choix. « On m’a proposé une dizaine de circonscriptions », affirme Juan Branco. Il choisira la 12ème de Seine-Saint-Denis. Une circonscription hautement symbolique car elle recouvre Clichy-sous-Bois, cœur des révoltes urbaines de 2005. Et particulière aussi car il faudra convaincre les électeurs de Vaujours ou de Coubron qui ont porté Marine le Pen en tête au premier tour de l’élection présidentielle.

Parachutage ?

Si, sur le marché, personne ne lui a reproché de ne pas être du coin, (il a principalement grandi à Paris et a un cabinet d’avocat dans le VIe arrondissement), ses adversaires vont très vite dénoncer le parachutage. Il se défend. Il rappelle d’abord qu’il aurait pu aller dans une circonscription plus facilement gagnable comme la 2e de Seine-Saint-Denis (Pierrefitte/Saint-Denis). « Le seul endroit où ça m’intéresse de bosser, c’est ici », assure-t-il, lui qui a travaillé en tant que juriste sur l’affaire Zyed et Bouna avec l’avocat Jean-Pierre Mignard (un temps pressenti pour être lui aussi candidat sur cette circonscription). Il a également fait un live-tweet du procès qui « a été vu par 1,5 million de personnes », rappelle-t-il. Il avance qu’il est venu à Clichy et Montfermeil une quarantaine ou une cinquantaine de fois ces cinq dernières années sans avoir besoin de GPS pour trouver le chemin.

Pour lui, la circonscription a besoin d’un député qui pèse, qui puisse répondre au besoin de politique qu’exprime la circonscription. C’est la raison pour laquelle il a rejoint Jean-Luc Mélenchon. La candidature du leader des Insoumis a permis selon lui, de redonner de l’espoir à des électeurs sans illusion, d’empêcher une « désadhésion » totale à la politique. Mais qui puisse aussi faire connaître les problèmes des habitants du territoire. « Ma médiatisation est le fruit de mon parcours et mon parcours fait que la parole que je porte va être écoutée. Moi, au conseiller ministériel, je pourrais lui dire : ‘écoute gamin, ce que t’as fait, je l’ai fait et dix fois mieux que toi en prenant dix fois plus de risques et dans la foulée j’ai dix fois plus de force de frappe que toi, tu peux me faire croire qu’il y a un discours d’impuissance mais moi je sais comment ça fonctionne alors maintenant je vais voir le ministre avec toi' ». 

« J’aurais les outils pour faire chier les préfets, faire chier les ministres jusqu’à ce que ça bouge »

Juan Branco ne fait pas de promesses en termes de logement, d’emploi ou de transports en commun. Pas la compétence des députés. Ce qui le motive, c’est de s’engager pour pousser le système dans ses retranchements. « J’ai une plus grande satisfaction à m’engager sur un territoire comme celui-là. (…) J’aurais les outils pour faire chier les préfets, faire chier les ministres jusqu’à ce que ça bouge ».

Il donne l’impression du sauveur qui souhaite mettre ses compétences d’élite au profit des plus faibles. Et quand on lui dit que pourtant, il ne ressemble pas à ces populations de Clichy ou de Montfermeil, il se redresse et ne cache pas son agacement. « Moi je suis jeune, je suis né en Espagne, à l’étranger. Je viens d’une famille d’immigrés, mes parents viennent de petits villages et ont fui des dictatures. Ils ont le même parcours que beaucoup sauf qu’ils ont réussi après » (son père est producteur de cinéma, sa mère psychanalyste). Mais il admet ne pas avoir connu « la souffrance qu’on peut connaître en termes de discriminations ou de violence ».

Sa candidature dans cette douzième circonscription est une sorte de rétribution. « J’ai l’humilité de quelqu’un qui sait qu’il a eu une chance incroyable, que ce n’est pas une question de mérite et qu’il doit rétribuer ça ». On dirait bien que Juan Branco est entré en politique comme on entre dans les ordres.

Latifa OULKHOUIR

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