Régis, 23 ans, prend sa pause près d’un espace vert à l’écart des bruits du marché de Saint-Denis. On parle élections avec lui. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce scrutin ne l’intéresse pas tellement. « J’ai prêté moins d’importance aux législatives qu’à la présidentielle. On en parle un peu mais on est moins informés sur les candidats. Et honnêtement, j’ignore encore si je vais voter. » Un point de vue que partage Christiane, 65 ans, rencontrée un peu plus loin. « J’ai reçu le programme dans une enveloppe qui est toujours fermée. Je ne connais pas les candidats, il y en a trop, on ne sait pas qui choisir. » Josette, 55 ans, a quant à elle bien ouvert son enveloppe, mais elle ne s’en sent pas plus avancée. Pour elle, c’est le scrutin lui-même qui ne fait pas sens. « Pour la présidentielle, on savait pour qui voter. Là, on ne sait plus, on est perdu. On nous dit qu’il faut aller voter mais on ne sait pas à quoi correspondent les législatives ! »

Sofia, 29 ans, Dyonisienne, n’ira pas voter.

Au premier tour de la présidentielle, c’est Jean-Luc Mélenchon qui est arrivé en tête avec 43,39 % des voix, loin devant Emmanuel Macron qui en a obtenu 23,02%. Sofia, 29 ans, est employée d’un grand magasin de sport à Saint-Denis; plus qu’un manque d’information, c’est un manque de confiance dans le scrutin qui la pousse à se désintéresser du processus. Cette ex-Marseillaise explique avec un haussement d’épaules : « Les élections n’ont rien changé à ma vie. Le Pen a toujours le même discours et je trouve Macron trop arrogant. Je ne sais pas qui sont les candidats aux législatives, ni vraiment ce qu’ils sont censés faire. Je n’ai pas vu de vraie campagne sur le terrain pour sensibiliser les jeunes ».

J’ai l’impression qu’il n’y a pas d’enjeu. J’aimerais qu’il y ait une révolution

Pas convaincue, c’est le moins qu’on puisse dire de Myriam, 28 ans, ex-habitante d’Argenteuil établie à Saint-Denis depuis trois ans. Elle le dit d’emblée : elle n’ira pas voter. « Je n’ai qu’une minute de trajet pour aller au bureau de vote, mais je ne me déplacerai pas pour les législatives. J’ai voté à la présidentielle car l’enjeu était clair. Là, j’ai l’impression qu’il n’y a pas d’enjeu : que la majorité passe ou non, les grandes directives resteront les mêmes, il n’y aura pas de révolution. Si le vote blanc était pris en compte, je voterais blanc. » Alors, qu’est-ce qui la ferait se déplacer? « J’aimerais qu’il y ait une révolution, que les choses changent, à Saint-Denis surtout. »

À quelques minutes du centre ville, le paysage change. Les bâtiments de quelques étages entourés de commerces sont remplacés par des barres d’immeubles. Quelques magasins sont éparpillés çà et là et les passants sont principalement des adultes qui rentrent du marché. Bintou, 42 ans, originaire du Mali, est l’une d’eux. Avec un sourire, elle avoue ne jamais avoir pris le temps de demander une carte électorale. « Qu’est-ce que ça va changer pour moi ? Ca ne sert à rien de voter pour l’un ou pour l’autre. Ils sont tous pareils : beaucoup de promesses, mais rien ne va changer pour nous ici à Saint-Denis. Et je pense que Macron va nous poser beaucoup de problèmes, à nous les travailleurs, surtout les immigrés. » Qui aurait-elle préféré voir à la présidence? « J’aurais voulu que Marine Le Pen passe, pour voir si elle allait vraiment nous mettre dehors ou si ce n’était que des paroles, de la politique. Sinon, le FN continuera à se présenter. Là, on aurait clarifié les choses une bonne fois pour toutes. Mon fils a voté pour elle, » lance-t-elle avec un demi-sourire.

On nous lance des ‘je vous aime’ en période électorale, puis plus rien. On ne veut pas des ‘je vous aime’, on veut du vrai changement

Régis, 23 ans, ne sait pas s’il ira voter.

À proximité de la nationale 1, plusieurs travailleurs s’affairent dans un garage. A l’évocation des élections législatives, l’exaspération se lit sur le visage de Salah, 52 ans, gérant de l’établissement. Posant ses outils, il se lance dans une longue diatribe. « J’ai voté pour la présidentielle, mais là, je n’ai pas envie de voter quand je vois toutes les arnaques qui ont lieu ici. Voter pour qui ? C’est la loi du plus fort, quand on est réglo, on ne gagne pas. Et il y a un malaise. Les appartements du centre-ville sont vendus, mais dans la périphérie, comme ici, on continue de construire des logements sociaux pour maintenir les immigrés dans le ghetto. Et malgré les vols, la drogue, les fraudes, les pouvoirs publics n’agissent pas. On nous lance des ‘je vous aime’ en période électorale, puis plus rien. On ne veut pas des ‘je vous aime’, on veut du vrai changement ».

Pour Farida, 55 ans, ce qui manque, c’est surtout une volonté de la part des élus d’approcher la population locale. « J’incite mon entourage à voter, mais ici, il existe un vrai désespoir, les jeunes ne croient plus en rien. Alors, voter pour quoi ? Les élus viennent le temps d’une campagne, puis on ne les voit plus, et il faut attendre des mois pour obtenir un rendez-vous avec eux. Pendant ce temps, les problèmes demeurent : insalubrité des logements, insécurité, drogue, précarité, carences du système éducatif… Les promesses sont creuses et les budgets sont mal utilisés. Par exemple, des festivités sont organisées aux frais du contribuable, mais sans discussion avec la population pour déterminer ce qui fonctionne ou non. » Elle est interrompue par Malika, sa voisine de 36 ans, voilée, qui passe en s’esclaffant. « Moi, je vais voter ! Je suis fière de dire qu’on vote, même si on ne me donne pas de tract à cause de mon tissu sur la tête ! »

Il va falloir choisir un candidat, mais ça ne changera rien

Comment remédier à ce manque d’information ? Pour Betty, 33 ans, il faut mener son enquête tout seul. « Je vais à la mairie me renseigner. On ne peut pas voter comme ça, et les recherches Internet ne suffisent pas : parfois, on y trouve des informations fausses. » Ce qu’elle sait déjà des législatives ne l’a toutefois guère enthousiasmée. « Je n’ai pas vu grand-chose de bon, notamment sur la question du travail. Là, si Macron est président, c’est parce que les gens n’ont pas eu le choix. Je n’ai pas aimé la manière dont s’est passée la présidentielle, avec toutes ces affaires qui ont comme par hasard surgi quand les candidats ont commencé à monter. Cela nous a obligés à voter par défaut. Normalement, les législatives doivent permettre de faire contrepoids, mais je ne suis pas convaincue. Et je n’apprécie pas l’opportunisme de ceux qui tout à coup se présentent et veulent en quelque sorte être à la place de Macron. » La perplexité de Betty est partagée par Adam, 33 ans. Lui ira voter, mais sans conviction quant à l’issue. « J’irai voter comme j’ai voté lors de la présidentielle. Il va falloir choisir un candidat, mais ça ne changera rien. Nous, les travailleurs, nous souffrons beaucoup, les gens en ont marre ».

Boubou, 36 ans, ancien habitant de la cité Joliot-Curie, vote à chaque élection.

Détour ensuite par la cité Joliot-Curie, dont les tours tranchent avec le ciel bleu. Boubou, 36 ans, est un ancien habitant du quartier qui y revient parfois. Au fil des minutes, des enfants, des jeunes garçons et des jeunes filles de la cité arrivent et le saluent, tandis qu’il garde sur eux un regard attentif. Lui ira va voter, il le fait systématiquement depuis que son épouse l’y a incité. Mais il ne sait pas encore pour qui. Lui non plus ne compte guère sur les politiques. « Macron est passé, » déplore-t-il. « Maintenant, il faut voter aux législatives. Il n’y a qu’à voter à gauche, ou écolo. On ne peut pas se plaindre si on n’agit pas ou si on vote blanc. J’incite tout le monde à voter ».

Arrivé en cours de conversation, Samir alias Toop’s, 38 ans, ne cède pas aux incitations de son ami et refuse d’aller voter. « Je ne me sens pas représenté par qui que ce soit. Je n’ai même pas voté à la présidentielle. Pas parce que je suis inconscient, mais parce qu’aucun candidat ne me parle. Il ne s’agit pas de baisser les bras, mais le vote utile, je n’y crois pas. Ce sont tous des escrocs accro au pouvoir, ils pensent à eux, pas à leur prochain. Et à la fin, c’est toujours la même chose : c’est nous, les gens d’en bas, qui payons. » Un jeune garçon qui passait par là et a entendu qu’on parlait des élections lance en riant : « Il faut toujours voter ! »

Sarah SMAÏL

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