Foued, un père de famille de 31 ans, est incarcéré pour tentative d’homicide volontaire sur un policier. Il est accusé d’avoir tenté d' »égorger » un fonctionnaire de police. Sa famille dénonce, elle, une « bavure » de la police. Enquête.

Que s’est-il passé dans la nuit du mardi 30 au mercredi 31 mai ? Vers 4h30, Foued*, 31 ans, père de deux filles de 4 ans et 4 mois, originaire des Louvrais, quartier populaire de Pontoise, se retrouve face à la police au stade des Cordeliers à Pontoise dans le Val-d’Oise. Sa famille le retrouvera 16 heures plus tard à l’hôpital de la ville

Mardi 30 mai, au soirFoued se rend à l’anniversaire de D., une amie, qu’elle fête dans un parc de la ville de Saint-Ouen-l’Aumône. Ils sont cinq potes : Sophie, Abdel, B., D., et Foued. Selon les témoignages des amis de Foued, D. a bu de façon déraisonnable, en plus des médicaments qu’elle prend pour traiter de graves problèmes de santé. Elle commence à s’exciter et à hurler sur ses amis. Ils décident alors de la raccompagner en voiture chez elle à Pontoise et de finir leur soirée au stade des Cordeliers, proche d’une zone pavillonnaire de la ville, un endroit qu’ils ont l’habitude de fréquenter. Ce soir-là, d’après les amis de Foued, des jeunes étaient déjà sur place à faire de la moto. B., elle, est restée dans la voiture : enceinte, elle préfère se reposer.

B. voit D. revenir dans une crise de nerfs. « Elle a commencé à casser des boîtes aux lettres, elle insultait les gens, elle faisait beaucoup de bruit, raconte B. Les voisins sont sortis, ont appelé la police ». Chacun décide alors de rentrer chez soi pour éviter les ennuis. Foued appelle alors sa compagne pour lui indiquer qu’il va rentrer et que tout va bien. Il est environ 4 heures du matin.

« L’un des pompiers avait une tête un peu choquée. La police bloquait l’accès pour nous empêcher de voir »

Les équipages arrivent trop vite. « Un camion et quatre berlingots », rapporte Sophie. B. , elle, est toujours dans la voiture, Sophie et Abdel s’y dirigent. Foued et D. eux, sont restés derrière, dans le stade. Abdel et Sophie racontent que des agents se placent devant l’entrée du stade pour la bloquer. Une fois les trois amis dans la voiture, très rapidement, ils décident d’aller chercher Foued de l’autre côté du stade, au niveau de l’autre entrée : ils supposent qu’il s’y trouve. Ils démarrent et font lentement le tour du terrain. Ils voient, en chemin, D. en train de se faire contrôler par la police. Selon leurs témoignages, elle essaie de frapper les agents. Des riverains racontent avoir également entendu des cris à ce moment-là.

En arrivant de l’autre côté, les amis de Foued disent avoir aperçu les gyrophares des pompiers. Abdel raconte s’est approché en prétendant être un riverain de retour à son domicile. Il voit un policier assis au sol. « Passe pas par là ! », lui aurait alors lancé un des policiers. « Je rentre chez moi, j’ai le droit de passer par là« , aurait protesté Abdel. « Tu veux courir ou quoi ?, répond l’agent. Passe pas par là ! ». Il retourne alors à la voiture. Sophie, Abdel et B. pensent alors que les pompiers étaient là pour D. et repartent à la recherche de Foued. Dans leur ronde, ils repassent devant les lieux. « Un pompier nous a regardés de façon très bizarre, se souvient B. Il devait savoir qui nous cherchions et ce qu’il s’était passé, mais il n’a rien dit », suppose B. « Il avait une tête un peu choquée, se remémore Sophie. La police bloquait l’accès pour nous empêcher de voir ». Foued demeure toujours introuvable.

« Ne vous inquiétez pas, nous savons que vous n’avez rien vu« 

Après plusieurs heures de recherche, B. se rend un peu désespérée chez D. Elle s’y trouve mais dit ne pas se souvenir de ce qui a pu se passer. « À ce moment-là, la police est arrivée pour lui remettre une convocation au commissariat pour le lendemain à 9h. Je les ai laissés et j’ai attendu devant la porte », raconte B. D. indique à B. avoir dit aux policiers qu’elle ne pourrait pas répondre à la convocation car elle avait rendez-vous au tribunal pour la garde de ses enfants. « Elle avait peur que son attitude de la veille pèse de façon négative devant le tribunal », rapporte B.

Au cours de l’entretien, l’un des policiers aurait dit à D. pour la rassurer : « Ne vous inquiétez pas, nous savons que vous n’avez rien vu », rapporte B. « Je me demande s’ils disaient ça pour la rassurer ou si ce n’est pas peut-être parce qu’ils ont des choses à cacher ». Depuis, D. aurait totalement coupé le contact avec ses amis.

 »Le mieux, c’est que vous vous déplaciez »

Les trois amis préviennent la sœur aînée et la compagne de Foued tôt dans la matinée. Ils se tournent vers le commissariat de Cergy et l’hôpital qui ne leur donnent aucune information. « Je contacte le commissariat une deuxième fois et j’entends une voix derrière l’agent qui a pris l’appel, un chef j’imagine, qui dit de ne donner aucune information, affirme la sœur de Foued, Hadjère. L’opératrice me dit en chuchotant :  »Le mieux, c’est que vous vous déplaciez ». J’ai compris qu’il y avait quelque chose de grave ». Il est alors environ 16 heures ce mercredi 31 mai. Elle se rend au commissariat de Cergy et apprend alors que son frère se trouve à l’hôpital René Dubos à Pontoise et qu’il « aurait agressé un policier ».

Elle fonce le voir avec les amis et la femme de Foued. Les policiers qui surveillent la chambre de Foued leur auraient refusé dans un premier temps l’accès. C’est l’intervention de l’avocate du jeune père de famille qui leur a permis de le voir. Hadjère raconte que son frère venait de « sortir du coma » et qu’il se trouvait dans un piteux état. « On aurait dit qu’un bus lui était rentré dedans. Il était blessé totalement au visage. On ne voyait presque plus ses yeux, sa lèvre était gonflée. Il a essayé de s’exprimer mais impossible de comprendre ce qu’il disait ». Hadjère a peu de doutes sur l’origine des blessures. « Vue la forme des marques, il a pris des coups de matraque en travers de la tête, et au sol je pense ». Elle affirme qu’il ne se souvient de rien : il ne comprend ni où il est ni ce qu’il fait là.

Pertes de mémoire et d’équilibre, vertiges mais pas de suivi médical selon les proches de Foued

Foued et sa fille de 4 ans dans les bras.

Il est auditionné le lendemain, jeudi 1er juin, « encore en robe de chambre, toujours délirant et amnésique », s’indigne sa grande sœur. Foued est alors placé en détention provisoire le lendemain, vendredi 2 juin, à la maison d’arrêt d’Osny, dans le Val-d’Oise. Sa soeur dit s’inquiéter pour l’état de santé de Foued. « Il devait y avoir un suivi médical, ça n’a pas été fait. Il devait faire un scanner pour vérifier l’état neurologique avec ses blessures. Il devait aussi faire une radio car il peut y avoir des côtes cassées. Rien de cela n’a été fait », affirme-t-elle.

Hadjère assure qu’il souffrirait de pertes de mémoire de court terme : il oublierait, par exemple, les conversations de la veille, aurait manqué de tomber plusieurs fois en promenade, souffrirait de vertiges, tournis, maux de tête, selon les propos de camarades de détention, rapportés aux proches. « Un médecin était venu le voir, très tôt, après son placement en détention. Il a dit qu’il fallait faire des scanners et radios en urgence », assure Hadjère qui maintient qu’aucun de ces examens n’a été fait.

« Il a été mis en examen pour tentative d’homicide. Si le fonctionnaire de police ne s’était pas écarté, il était égorgé »

Le parquet réfute complètement la version de la famille et des proches. Surtout, le chef d’accusation retenu contre Foued est extrêmement grave. « M. Foued *** a été placé en détention provisoire le 2 juin 2017 à l’issue d’une ouverture d’information diligentée des chefs de tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique, violences volontaires aggravées et rébellion en récidive légale. Son état de santé n’était pas incompatible avec sa détention », indique le procureur de la République, Eric Corbaux.

Pire, le procureur indique que Foued a tenté d' »égorger » le fonctionnaire de police. « Il a été hospitalisé pas très longtemps. Il a reçu un coup de couteau à cran d’arrêt au niveau du cou où il a une longue estafilade et.dont il porte encore la trace actuellement. Il a eu des jours d’incapacité totale de travail. Le coup était porté de manière extrêmement directe et précise. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est poursuivi pour tentative d’homicide. Il n’a pas été mis en examen pour violence sur agent de la force publique, mais bien pour tentative d’homicide. Si le fonctionnaire de police ne s’était pas écarté, il était égorgé ». 

Le procureur de la République nous affirme que Foued « avait interdiction de conduire un véhicule à moteur. Or, au moment de l’arrivée des forces de l’ordre, il faisait du rodéo sur une moto. Les fonctionnaires de police lui ont demandé de s’arrêter, il a laissé la moto, il a pris la fuite. Les fonctionnaire l’ont rattrapé, poursuit le procureur. C’est à ce moment-là qu’il a sorti un couteau à cran d’arrêt et qu’il a voulu porter un coup au fonctionnaire de police. Il a de nouveau essayé de s’échapper, puis il a été interpellé dans un second temps, après qu’il a essayé de s’emparer de l’arme de service des policiers. Il a été neutralisé et a pu être menotté ».

Sur son état de santé, là aussi, la version du parquet est en opposition totale avec celle de la famille. « Lorsqu’il a été ramené aux services de police, il était parfaitement conscient. Puis, il a été emmené à l’hôpital où il est resté environ 24 heures. Son état de santé à été vérifié. Il était conscient, puisqu’il a signé les PV de placement en garde à vue et a reçu la notification de ses droits », précise le procureur. S’agissant du coma dans lequel il aurait été selon la famille, le procureur affirme avoir en sa possession « un certificat médical qui indique que ce coma était simulé ». Quant aux coups présents au visage d’après la famille, « c’est arrivé pour le maîtriser, ils étaient en légitime défense, répond le procureur. C’est arrivé après qu’il a donné des coups de couteau et blessé un agent de la force publique. Les fonctionnaires n’ont jamais sorti ni leur arme ni aucun élément ».

« Si Foued avait essayé d’égorger le policier, il n’y aurait pas eu qu’une simple égratignure »

 « De toute la soirée, je ne l’ai pas vu avec un couteau. Nous étions à un anniversaire, pourquoi en aurait-il eu ?, s’interroge B. Ce n’est pas du tout le genre à avoir un couteau sur lui, et s’il en avait eu un, il aurait certainement sorti, il aurait joué avec. Après, l’endroit où on s’est posé, il y a des gens qui font des barbecue, il y a plein de choses qui traînent ». « À ma connaissance, il n’en avait pas, confirme Sophie. « Un couteau ? « Pour quoi faire ?, s’interroge Hadjère. Foued fait 1 mètre 93, il te met par terre en moins de deux ! »

Les proches en sont persuadés : pour eux, il s’agit d’une « bavure » que les forces de l’ordre s’efforceraient d’étouffer. « On pense qu’il s’est évanoui au premier coup, car on n’a entendu aucun bruit derrière. On était à une dizaine de mètres. On aurait forcément entendu quelque chose », fait savoir son amie Sophie. « S’il y a eu une bagarre. pourquoi n’y a-t-il eu aucun bruit, aucun cri ? D’autre part, s’il s’était évanoui au premier coup, cela signifierait également qu’il était inconscient lorsqu’il a pris les autres coups ».

Selon Sophie, auditionnée au commissariat de Cergy le 1er juin, le policier qui dit être victime de l’agression n’a qu’une légère égratignure au niveau du cou. Même témoignage de la part de B. « La policière m’a dit que Foued avait essayé d’égorger le policier. L’égratignure qui se trouvait sur le cou de son collègue, c’était supposé être dû au couteau. Franchement vue la force de Foued, s’il avait essayé de l’égorger, il n’y aurait pas eu qu’une simple égratignure ».

« Déjà condamné pour actes de torture et de barbarie »

« Foued X a déjà été condamné à plusieurs reprises, y compris pour actes de torture et de barbarie en réunion commis en 2009 par la cour d’assises du Val d’Oise à une peine de 10 ans de réclusion criminelle », précise le procureur.

De son côté, Hadjère, la soeur de Foued, assure que « la prison lui a justement permis de faire un gros travail psychologique. Il a repris ses études, passé un diplôme, travaillé. Il n’a eu aucun problème de comportement. Il avait l’objectif d’ouvrir une entreprise de restauration avec sa compagne. Il était sur son projet et souhaitait déménager. Il voulait quitter l’Ile-de-France et s’installer en province, refaire une vie, tout refaire. » 

Des questions restent en suspens aussi sur l’attitude de la police autour de l’enquête. Sophie rapporte avoir été appelée jeudi 1er juin pour être auditionnée. De son côté, Abdel a également tenté de faire sa déposition dans la foulée de l’incarcération de Foued. « La première fois qu’il s’est présenté, on lui a dit qu’il y avait une commission rogatoire, qu’ils ne pouvaient donc par prendre sa déposition, et qu’il devrait revenir à la fin du mois de juin », témoigne Sophie. Abdel y retourne jeudi 15 juin, accompagné de Sophie et de B. « Durant la déposition de B., l’un des agents lui a dit  »si j’avais été à la place de mon collègue, il aurait pris deux balles dans la tête », rapporte Sophie.

Des policiers de Cergy déjà accusés de violences

Y a-t-il eu bavure des policiers de Cergy comme le disent les proches de Foued ? Les policiers du commissariat de Cergy sont déjà l’objet d’une enquête de la police des polices, l’IGPN. A la sortie d’une soirée dans la nuit du 4 au 5 mai 2017, deux agents de police de Cergy auraient insulté, menacé et passé à tabac violemment Pierre B., étudiant de 22 ans. Ceci se serait passé sur la voie publique d’abord puis à l’intérieur du commissariat de Cergy ensuite, comme la victime le raconte à nos confrères du Parisien. L’étudiant a porté plainte pour « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique« . Six attestations confirment les accusations de l’étudiant, précise le quotidien. L’Inspection générale de la police nationale a déjà auditionné le jeune homme lundi 22 mai. Selon nos informations, une confrontation est prévue à la rentrée entre Pierre B. et les policiers.

« Nous ne sommes pas face à une bavure policière, mais face à un individu qui a frappé des agents avec un coup de couteau, rétorque le procureur. On est particulièrement vigilant dans ce département. On a des enquêtes en cours sur des cas de violences non justifiées de la part d’agents. Parce que c’est vraiment une priorité de rétablir la confiance avec les forces de l’ordre. Mais quand ce n’est pas le cas, ce n’est pas une bavure. Ce sont des actes qui étaient nécessaires pour maîtriser un individu qui essayait de les frapper à coup de couteau ».

La famille de Foued envisage elle aussi de faire un signalement à l’IGPN pour qu’une enquête soit lancée. Elle a également décidé d’organiser un rassemblement ce samedi 24 juin, dzns l’après-midi devant le commissariat de Cergy.

Alban ELKAIM

*À la demande de la famille de Foued, le nom de famille n’est pas donné

* À la demande des personnes interviewées, seule l’initiale du prénom à été donné

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