Dimanche 9 juillet, alors que certaines rues de Paris étaient inondées, pas de chômage technique pour les livreurs de repas à vélo. Ceux qui roulent pour Deliveroo n’ont toujours pas reçu de prime pluie. Rencontre avec Anthony*, un des fondateurs du Collectif des livreurs autonomes de Paris qui témoigne des conditions de travail. 

Le Bondy Blog : Comment est né le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP) ?

Anthony : Le CLAP s’est formé à la suite du rassemblement des livreurs de toutes les plateformes de plusieurs villes de France, le 15 mars 2017, place de la République à Paris. Moi, je venais tout juste de commencer à travailler pour Deliveroo. Puis, cela s’est concrétisé lors d’une discussion sur Blocus Paris-Banlieue, un groupe Facebook qui s’est formé lors des blocages de lycées pendant les mouvements contre la loi Travail. On a fait une réunion à trois et on a invité Jérôme Pimot, un livreur historique [Ex-coursier à vélo, engagé aujourd’hui dans la création d’une coopérative pour donner un cadre social à ces travailleurs, un des fondateurs du CLAP, ndlr].

On est une dizaine. On a presque tous la vingtaine. On est essentiellement des étudiants mais il y en a qui font ça à plein temps. On bosse dans les principales plateformes, UberEats, Foodora, Stuart et Deliveroo, tous sous le sous le statut d’auto-entrepreneur. On est plusieurs à être syndiqués, chez SUD Commerce et la CGT services à la personne. Ces syndicats nous soutiennent. Mais le Clap se veut suffisamment souple pour pouvoir gérer toute forme d’actions et accueillir tout livreur. On est encore un petit collectif mais on a pas mal de sympathisants sur les réseaux sociaux notamment.

Le Bondy Blog : Quelles sont les difficultés rencontrées au quotidien par les livreurs ?

Anthony : C’est un métier dur et dangereux, physiquement et nerveusement. Paris est pensé pour les bagnoles et les rares espaces qui nous sont concédés, personne ne les respecte. Tu as des bagnoles dessus, des scooters qui remontent les pistes cyclables en contresens. Hop tu reçois une course, vite tu te dépêches d’y aller, c’est nerveux, c’est fatigant.

Le Bondy Blog : Ça peut arriver de négliger la sécurité pour faire plus de courses ?

Anthony : Carrément. Déjà, tu vas vite. Moi, je ne prends pas les pistes cyclables parce qu’il y a toujours des couacs, des gens qui marchent dessus, des cyclistes plus lents. Donc, je vais sur la chaussée et il y a des conducteurs qui me le reprochent. Ce sont des moments de tension. Tu as les taxis qui vont être un peu véhéments. Il faut faire avec. Donc, parfois oui tu grilles les feux rouges. Parfois, aussi, tu roules sur le trottoir parce que c’est plus compliqué de se taper le rond-point où les gens ne veulent pas s’arrêter pour toi alors ils vont klaxonner, te menacer. Être livreur à vélo à Paris c’est dangereux partout et tout le temps. Soit parce que tu ne respectes pas le code de la route, soit parce que les autres ne le respectent pas. C’est pour ça qu’au CLAP on essaie de s’ouvrir à la question du cyclisme dans Paris.

Le Bondy Blog : Travailler avec une application, c’est comment ?

Anthony : Chez Deliveroo, il n’y a aucune transparence. Tu ne sais pas comment sont attribuées les courses. On te dit d’abord : « Tu as une course ici dans tel restaurant ». Une fois arrivé sur place, tu coches et ensuite on va te dire quelle commande tu as. Et c’est une fois la commande récupérée qu’on te dit où livrer. Ça peut être des courses très longues donc très fatigantes. Moi, je fais les XIe et XIIe arrondissements et je livre très régulièrement dans le XXe où je remonte toute la rue de Ménilmontant, qui est quand même très dure, plusieurs fois par soirée. Ça m’arrive régulièrement de faire une course sur 4 km et tu fais ça en 15 minutes. Alors que dans les statistiques qu’ils nous envoient, tu es considéré en retard quand tu dépasses 10 minutes par course. Et on ne sait pas ce qu’ils font du taux de retard.

Le pourcentage d’acceptation des courses est constamment affiché dans l’application. Quand le taux de présence est trop bas, moins de 50%, ça peut arriver quand tu prends des vacances, ils te retirent tous les shifts [créneaux, ndlr] sur lesquels tu t’étais inscrit. Pour se désinscrire d’un shift, et ce même si il y a plus de livreurs que de places disponibles, il faut poser une absence minimum 24h à l’avance. Ils ont aussi changé les plages horaires des shifts, avant c’étaient des plages de 2h15 à l’heure des repas, 19h30-21h45 le soir, auxquelles on pouvait rajouter 45mn avant et/ou après. Maintenant ce ne sont plus que des plages de 1h. Donc parfois, tu peux avoir juste une heure de taf dans la journée. C’est absolument pas rentable de te déplacer, et certains habitent assez loin de Paris. Et puis, ils refusent de payer toute commande acceptée même 10 secondes après la fin de ton shift.

Le Bondy Blog : Un bug de l’algorithme  ?

Anthony : On ne sait pas comment il marche ! Certains pensent que plus tu es rapide, plus on va te donner des courses longues. D’autres imaginent que plus tu te déconnectes, plus tes courses sont longues. On ne sait pas non plus quelle sera la distance de la course a priori : on la connaît seulement une fois arrivé au restaurant et après avoir renseigné l’application. On ne sait pas non plus à quelle heure on est censé arriver au restaurant. Parfois, on arrive 20 minutes avant que la commande soit prête. Parfois, le temps d’arriver, la commande est froide donc il faut la refaire. Parfois ce sont les restaurateurs qui abusent. Ça m’est déjà arrivé d’attendre une heure. On était plusieurs livreurs. Le mec nous a dit qu’il y avait eu un bug, puis, qu’il préférait servir d’abord les clients en salle. Ça nous a donc fait une heure d’attente où on n’a pas été payé.

Le Bondy Blog : Comment améliorer la situation ?

Anthony : Il y a plusieurs points de vue au Clap. Certains considèrent que comme c’est du salariat déguisé, qu’on devrait être salariés. Moi, je ne suis pas tout à fait d’accord avec cela parce qu’il y a une certaine flexibilité qui n’est pas négligeable. Jérôme Pimot travaille sur une coopérative de cycliste. Ça peut être une solution. Moi, je suis plutôt sur une lutte syndicale de base pour une augmentation de la rémunération. Déjà, on n’est pas tous payé pareil chez Deliveroo : il y a l’ancienne tarification pour ceux recrutés avant l’été 2016 qui touchent 7,50 euros de l’heure plus 4 euros par course et la nouvelle tarification, à 5,75 euros par course. On peut aussi imaginer un minimum de congés, un droit au chômage. Ça existe bien pour les intérimaires, pourquoi pas nous ?

Il y a la question des primes. Chez Deliveroo, il y a celle du dimanche soir qui est une blague ! Avant, ils garantissaient trois courses de l’heure le weekend. Même si on ne les faisait pas, on était payé 17,25 euros de 19h30 à 22h30. Maintenant c’est 2,5 courses entre 20 et 22h. Donc ça ne fait que 14,375 euros. Avant la prime pluie était plus fréquente, maintenant elle est quasi inexistante et quand elle est là, elle est très décevante. Une prime dénivelée, ce serait bien aussi mais aussi une prime au kilomètre, pour l’entretien du vélo car les roues, tu les uses assez vite et il faut changer les chambres à air régulièrement, les patins de freins aussi.

Ce qui serait intéressant, ce serait d’avoir un revenu minimum décent. On n’a pas de vacances, pas de chômage. Je pense que ce serait raisonnable d’avoir 15/20 euros de l’heure, quand tu sais que les premiers prix pour une roue c’est autour de 40 euros. Une assurance santé ce serait bien aussi. D’un côté, on nous met la pression pour qu’on soit rapides, performants mais on n’a aucune protection sociale, c’est quand même un poids de savoir que si on tombe, les frais d’hôpitaux c’est pour notre pomme.

Le Bondy Blog : Peux-tu revenir sur la fameuse prime pluie ?

La prime pluie attribuée par Deliveroo, la dernière date du 18 mai 2017 selon Anthony.

Anthony : Dimanche soir, c’était le déluge à Paris. Foodora, UberEats et Stuart les ont déclenchées, Deliveroo non. La dernière que j’ai vue chez Deliveroo, c’était le 18 mai. S’il pleut, faire trois courses dans l’heure, ce n’est pas mal. 5 euros pour 6 courses, c’est donc pour 2h de boulot. Au lieu de dire : « pour compenser le fait que tu ailles moins vite, on va te filer 10 balles sur ta soirée« , ils disent : « fais tant de courses et tu auras plus de sous« . C’est très malsain. Ils te poussent à faire des courses et à chaque fois ce ride safe qui te…

Le Bondy Blog : Aucune consigne de sécurité à part ride safe quand il pleut ?

Anthony : Dimanche, ils n’ont rien envoyé à personne. Ce soir-là, j’ai vu que pas mal de gens réagissaient à nos tweets en interpellant Deliveroo. Mais le community manager s’occupait plutôt du festival des plaintes, pas un mot pour les livreurs !

Le Bondy Blog : Avez-vous eu des remontées d’accidents dimanche ?

Anthony : On a lancé un appel à témoins. Il y a eu pas mal de chutes, des téléphones foutus bien sûr. Moi je ne travaillais pas mais je sais qu’avec autant d’eau, tu ne vois pas les trous dans la chaussée, tu glisses, tu freines mal. Ça bousille le matériel, les freins s’usent beaucoup plus vite. Les roues, c’est pareil, à moins d’avoir un VTT assez performant.

Le Bondy Blog : Ce qui n’est pas le cas de tous les livreurs, j’imagine ?

Anthony : T’as vu mon vélo, il est pas mal. Mais moi quand il pleut, je préfère ne pas travailler parce que je sais que je ne vais pas freiner. Ça m’est déjà arrivé de descendre l’avenue Gambetta sous des trombes d’eau, j’étais obligé de me raccrocher aux poteaux pour freiner. J’ai téléphoné au service client pour dire que je ne pouvais plus continuer, ils ne comprenaient pas. Ils ne sont pas très alertes là-dessus.

Le Bondy Blog : Des espoirs avec le nouveau gouvernement ?

Anthony : Macron veut supprimer le Régime Social des Indépendants (RSI), donc à voir. La réforme du code du travail, on n’est pas concerné. Mais nous les livreurs à vélo, on sait ce que c’est de ne pas avoir de code du travail. Notre problème, c’est de ne pas avoir accès à tous les bénéfices des cotisations sociales. S’il y a un mouvement social à la rentrée, on y participera. Ne serait-ce qu’en solidarité avec les autres travailleurs.

Le Bondy Blog : Qu’est-ce que l’on vous souhaite pour l’avenir du collectif ?

Sur la page Facebook Collectif Coursier, un ambassadeur Deliveroo se moque du témoin de l’article de l’Obs

Anthony : On aimerait fédérer beaucoup plus de livreurs pour établir un rapport de force avec les plateformes, pour qu’enfin on ait des rémunérations dignes. En mai, Deliveroo s’est même permise de retirer les primes du dimanche pour les mettre sur les jours fériés. Tant qu’il n’y aura pas de résistance, les plateformes continueront à rogner sur nos gains.

Nous on veut vraiment peser là-dessus, donc on va s’organiser. Ne serait-ce qu’organiser des liens entre livreurs, autres que ceux initiés par les ambassadeurs Deliveroo ou les capitaines Foodora. Ils sont auto-entrepreneurs comme nous mais un peu mieux payés pour faire l’interface. Très clairement, là-dessus, ils ne servent à rien !

On n’a pas encore envoyé de communiqués ou courriers officiels aux plateformes. On essaie de réunir le plus d’infos possible. On va bientôt mettre en ligne des questionnaires sur les conditions de travail des livreurs. Là, par exemple on a interpellé Deliveroo directement sur Twitter, pour la prime pluie. Ils n’ont pas répondu. Pour l’instant, c’est plutôt informel mais on ne va rien lâcher, surtout si l’opacité sur le modèle économique des plateformes persiste.

Propos recueillis par Rouguyata SALL

*prénom modifié

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